En plan serré sur la pochette d' »Eléor », Dominique A offre un visage serein, scrutant la lumière au loin. La lumière comme un fil conducteur cher à son œuvre. Alors que « Vers les lueurs » sonnait comme l’aboutissement d’un cycle, le résumé parfait de ce qu’il faut bien appeler maintenant une carrière, que peut-on attendre de ce dixième album studio ?
En réalité, Dominique A poursuit un mouvement intérieur inauguré avec son précédent album. Le disque nouveau se présentant dans sa désormais longue discographie toujours comme le contre-pied de celui qui le précédait. En leur temps, « Remué » et « Tout sera comme avant » en furent des preuves éclatantes. Plus près de nous les orchestrations amples et la limpidité de « Vers les lueurs » témoignaient bien d’un travail collectif alors que « La Musique », plus introspectif dans le fond et la forme, avait été composé et réalisé seul. Ici, Dominique A semble en effet prendre le risque du surplace, creusant le même sillon que les titres les plus courts de « Vers les lueurs », loin des vertiges occasionnés par « Le Convoi », s’étirant sur près de dix minutes. Jamais depuis « La Fossette » il ne nous avait en effet proposé une suite de titres n’excédant pas les quatre minutes, collant assez bien avec ce que l’on a coutume d’appeler le format chanson – à haut risque.
« Eléor » est somme toute assez proche de son prédécesseur : des paysages invitant au voyage, des éléments fougueux, de petits récits, des rêves où quelques clés nous sont données, le reste étant à (ré)inventer. Comme ce « Cap Farvel » non loin de Nanortalik (qui l’avait déjà inspiré dans « La Musique »), paysage lunaire offert à deux amants prêt à plonger sous la banquise pour y retrouver ce qu’ils ont perdu, ou encore ces Okies dans « Oklahoma 1932 », hagards, attendant sur le quai d’une gare une destination encore inconnue. Outre ces ellipses temporelles du plus bel effet, « Eléor » est aussi une porte vers des destinations chimériques, tel ce « Central Otago » du nom d’un improbable territoire néo-zélandais, dont la sonorité exotique invite à un court récit, enjoué et brillant.
Se dégage bien une certaine sérénité, une immédiateté, une transparence, même si derrière la douceur des harmonies et de cette voix se cachent parfois fatalité et vœux inassouvis. « Au revoir mon amour », l’un des plus beaux titres de l’album, composé avec Laetitia Velma, nous impose cette double lecture. Et l’adage sibyllin « Mieux vaut ne pas s’aimer qu’un jour ne plus s’aimer » heurte forcément. Une tristesse sans fond, à la limite du murmure, qui dit l’arrachement aux choses et leur irréversibilité. Ce qui finalement a toujours été à l’œuvre depuis « La Fossette ».
Désormais libre de toute contrainte, sans référence musicale à égaler, Dominique A nous revient donc avec un disque dont l’ambition semble être guidée par le plaisir, celui de faire coexister des mots et des lignes musicales toujours mouvantes, en repoussant loin l’émotion facile ou l’auto-analyse. Un plaisir qui nous est donné à partager et qui se bonifie peu à peu, au fil des écoutes. Il est comme un vieil ami qui donne de ses nouvelles entre de longues plages de silence et se rappelle à nous. Un indispensable ami dont les mots touchent au plus près depuis déjà plus de vingt ans. Avec cette ligne de conduite parfaitement résumée dans « L’Océan », peut être le plus beau morceau d’ »Eléor » : une force fragile, paradoxale, que sa voix incarne magnifiquement, et d’une immense mélancolie, évitant le pathos et toujours retenue. « Si ma ligne de vie venait à se casser j’aimerais pour finir avoir encore le temps / de monter sur la dune et de voir écumer / j’aimerais pour finir regarder l’océan. »