DEERHUNTER – Microcastle
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Nous n’allons pas faire le compte de tout ce que "Microcastle" offre de moments fulgurants à l’auditeur patient et attentif. Les qualités y sont trop nombreuses et il est, même après de multiples écoutes, désarmant de se trouver devant un disque parvenant à s’imposer sans avoir besoin d’user de gros sabots. Rusé et insidieux, il s’agit du type même de gibier qui ne se laisse pas ferrer aisément, y compris au piège des catégories. Quelques pistes tout de même. Nous rencontrons du shoegazing qui sonnerait comme du My Bloody Valentine naturellement produit, sans effets de pédales et de fuzz outranciers (la terrible "Intro"), un bijou dream pop au spleen racé ("Agoraphobia"), d’incandescents murs de son qui n’oublient jamais d’être délicats, un proto-blues velvetien à la mélodie protéiforme et dégorgeant de collages ("Saved by Old Times"), des ballades qui cachent bien leur jeu ou ressuscitent des Cocteau Twins sous médication (la superbe "Calvary Scars" et son unique vers : "crucified on a cross in front of all my closest friends", "Activa"), un intense single à tiroirs diablement construit ("Nothing Ever Happened", alchimie ultra réussie de Sonic Youth, Dinosaur Jr. et Pavement) et beaucoup d’autres choses moins évidentes.
Thématiquement, à se pencher sur les textes à la fois précis et lacunaires, Deerhunter semble disséquer les affres d’une génération passée à l’âge adulte tout en ayant gardé les doutes et les inquiétudes de l’adolescence, ce sans complaisance ni facilité. Pas de formules, pas de leçons, pas de morales à en tirer. "Microcastle", c’est chacun de nous, isolé, se demandant ce qu’il a à donner et partagé entre l’envie de briser les barrages et la tentation de s’enfermer dans son espace intérieur. Le disque est ainsi un étrange mélange de lucidité et d’accablement, les deux pôles constamment associés, souvent au sein même d’une même chanson.
Intelligemment, les paroles ne s’apesantissent jamais sur la douleur. Certes, les narrateurs, qui semblent parfois être un seul et même individu s’autopsiant à divers degrés de l’existence, font part de leurs misères intérieures, de leurs problèmes de communication, d’une façon brutale car directe, mais s’abstiennent de tout racolage. "Nothing ever happened to me, life just passing, flash right thru me" chante Bradford Cox, d’une manière tellement entraînante, presque véhémente, qu’il semble dire "Voilà ce que je ressens. Pas la peine, cependant, d’en faire une tragédie. C’est tout à fait normal." On se demande d’ailleurs à quel point le chanteur/guitariste/supposé leader de Deerhunter fut impliqué dans le processus de création tant il s’avère souvent lointain, sa voix parfois noyée sous les effets, doublée, amplifiée d’une étrange façon, chuchotante, absente plus de la moitié du temps. On sait aussi qu’il a laissé le très gros du disque aux deux guitaristes Josh Fauver et Lockett Pundt, et toute la rythmique à Moses Archuleta. Surtout, l’auditeur bute sur un paradoxe.
"Agoraphobia", certainement le titre le plus proche de l’univers personnel de Cox, le plus nu et musicalement "clair" de l’album, celui sur lequel il aurait été à l’avant-poste, est justement l’unique sur lequel il est totalement absent. "Je prends ce que je peux / Je donne ce qu’il me reste" déclare-t-il sur "Green Jacket"…
Ecouté distraitement, l’ensemble paraît léger, doux, quelque peu décoloré. En s’y plongeant, "Microcastle" se révèle d’une densité peu commune, comme un disque à guitares décomplexé, audacieusement in your face à certains moments, rythmiquement pesant et avant tout bourré d’imagination. Frais et passionnant, ce n’est cependant pas le disque ouvertement pop que Cox nous promettait suite au "Fluorescent Grey EP". Peu importe. "Microcastle" a tout d’un géant.
Julian Flacelière
Intro
Agoraphobia
Never Stops
Little Kids
Microcastle
Calvary Scars
Green Jacket
Activa
Nothing Ever Happened
Saved by Old Times
These Hands
Twilight at Carbon Lake