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Disques

Deerhoof – Actually you can

Deerhoof en grande forme nous prouve que quand on peut on veut. Ou, comme le disait Alexandre dans La Maman et la Putain : « moi, je peux ce que je veux ».

C’est le marronnier discographique le plus excitant de notre génération : Deerhoof est de retour, encore et toujours.

Toujours autant atomisée, la musique semble même avoir informé voire déformé le groupe. On sait que les membres vivent désormais loin les uns des autres et la pandémie (avant-guerre, on disait le Covid) ayant bloqué les voyages et notamment les tournées, cela a dû compliquer les choses pour ce nouvel album. Mais Deerhoof a montré qu’il sait rassembler et même se réassembler. On imagine au passage, les échanges de fichiers, les réunions virtuelles qui ont présidé au joyeux bordel de « l’enregistrement ». Actually you can, donc.

C’est bel et bien l’album de la réunion des possibles. Curieusement, c’est l’album le plus réussi de ces dernières années qui ont été riches en expérimentations (cf les invitations de “Mountain Moves”). On sent partout les collages et pourtant une unité retrouvée. Comme dans les albums d’un autre temps (Lou Reed, The Wave Pictures), les guitares sont spatialisées : John Dieterich à droite et Ed Rodriguez à gauche. Pour ceux qui ont encore des chaînes hi-fi dignes de ce nom…

Sur “Be Unbarred, O Ye Gates of Hell”, le riff metal côtoie la bubblegum pop la plus rose bonbon, sur fonds de mathématiques modernes : le titre est tout de déchirures et de rondeurs.

“Department of Corrections” colle riffs ivres, balancement hystérique, final débile en onomatopées, avorté lui-même avec un collage savant que ne renierait pas Battles.

On est sous le choc quand “We Grew and We Are Astonished” déboule tout de douceur inattendue et de remontées acides du Jefferson Airplane. Reste qu’on est loin du flower power, plutôt côté youtubeurs :

« You’re a star

I’m a star

And here’s how we became then

we said

are you going straight to video »

À peine reposé, on reprend la batucada avec “Scaricity Is Manufactured” aux rythmes sud-américains, avec riff se souvenant de la Bamba mais sous des coloris postpunk. On n’aime pas parler de la couleur de la peau des gens mais on sait que le guitariste Ed Rodriguez s’amuse de ses origines : cf. les costumes de la tournée de 2012 ou encore ici sur cette parodie de morceau latino.

On retrouve toujours ce brouillard dans les basses et cette batterie hyper sèche qui sont la marque de l’album, rappelant l’ambiance des sono abruties des stades et autres festivals de plein air. De ces évidents défauts, Deerhoof tire une esthétique nouvelle. C’est bel et bien l’ambition : retrouver le « son » à la fois puissant et étriqué des compagnons de tournée Radiohead et Red Hot Chili Peppers (notamment la doublette Flea-Chad Smith).

Mais Deerhoof est loin d’être monolithique. Sur “Ancient Mysteries, Described”, on assiste à une multiplication des plans : basses funky, accords stridents math rock, harmonies glorieuses. Ce serait presque un hit  sans les revirements de genres, les soli dans le quasi silence. Idem pour “Plant Thief”, où l’on retrouve tonalités et faconde hard rock dans un lyrisme pop : c’est la grande salade de Deerhoof.

On est encore soufflé par les légèretés qui relèvent un plat tout de même chargé, que ce soit avec “Our Philosophy Is Fiction” et sa belle atmosphère sixties garage, ou “Divine Comedy”, pop légère une fois de plus avec des collages encore plus baroques : un riff funky par ci par là et un finale en charivari.

On imagine Greg Saunier en couturier de luxe arrangeant les compositions de ces petits camarades de jeu. De fait, c’est la batterie qui unifie tout, à la fois légère et sèche, on l’a dit, sans doute avec l’aide de la basse de Satomi chargée de remplir les interstices.

Comme toujours, on est dans un album politique, d’opposition mais surtout de reconstruction, lié à l’autonomie et à ses propres cultures (“Be Unbarred, O Ye Gates of Hell”, avec ces oppositions société de consommation et potager personnel) et à la création de nouveaux hymnes pour ré-enchanter la vie :

« Old gangs cash only

mid gangs cards only

new gangs hearts only. »

(“Ancient Mysteries Described”)

Deerhoof joue toujours la carte du tendre.

Avec l’aide de Johanna it’s a D.eer

“Actually You Can” sort sur Joyfulnoise le 22 octobre.

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