La 36ème édition du festival le plus défricheur de l’Hexagone continue d’accroître sa fréquentation avec 64 000 visiteurs pour un total de 173 représentations assurées par 99 groupes de 33 pays en 5 jours. Compte-rendu de notre séjour rennais du 3 au 7 décembre.
Mercredi : soirée d’ouverture éclectique
Après les traditionnelles accréditations, les Transmusicales commencent pour nous par une première soirée à l’Ubu, petite salle où il vaut mieux se placer tôt si l’on veut voir quelque chose. C’est le jeune Max Jury qui est chargé d’ouvrir les festivités. On l’avait découvert avec son « Christian Eyes » sur la compilation Kitsuné « America 3 ». A seulement 21 ans, ses compositions au piano surprennent par leur maturité. Admirateur de Gram Parsons et Emmylou Harris, c’est une chanteuse bien actuelle qu’il reprend à la guitare avec le « West Coast » de Lana Del Rey. A noter qu’il s’agit de l’un des coups de cœur de Jean-Louis Brossard, co-directeur du festival. La soirée se poursuit avec la chanteuse à la voix grave Sabina échappée de Brazilian Girls. Puis c’est à la soudanaise Alsarah, entourée de The Nubatones, d’ensoleiller la salle avant de laisser conclure la formation psychédélique de Forever Pavot.
Jeudi : rock français versus rap anglais
Les concerts commencent dès l’après-midi à l’Etage, l’occasion de découvrir des groupes en devenir. On arrive après le passage de Fawl mais juste à temps pour Eagles Gift. Dans une attitude savamment dosée entre assurance et insolence, ils parviennent à créer une ambiance lourde et atmosphérique, maintenant la salle sous tension. Première satisfaction de la journée. A l’entrée de la salle, une affiche promeut la scène caennaise, estampille que l’on commence à associer au travail de qualité que mène le Cargö dans l’accompagnement des groupes en développement. Gandi Lake est l’un des poulains de l’écurie de la Smac locale. Le premier single « Weather Vanes » avait suscité notre intérêt mais le set s’avère moins pop que ce premier titre. Le groupe s’adonne à un live rock plus profond. Arrive alors la tornade lilloise Bison Bisou, et son chanteur aussi hyperactif que Nic Offer des Chk, Chk, Chk. On aime leur façon de livrer un rock désespéré comme s’ils étaient sur scène pour la dernière fois. Déjà programmés aux Bars en Trans en 2012 puis à l’Etage cette année, objectif le Parc Expo pour le triplé ?
A quelques centaines de mètres de là, se tient le Focus Canada. On aura manqué Pierre Kwenders et le rap de Dead Obies mais on se hâte pour assister à plus de la moitié du concert de Rich Aucoin. Accompagné du tandem Encore!, le canadien déploie autant d’énergie que ses compatriotes d’Arcade Fire. L’espace de la scène doit lui sembler restreint car lui non plus ne tient pas en place. Il passe une partie de chaque titre à se mêler à la foule en brandissant une ampoule électrique éclairée. A noter également, le travail autour de la vidéo, entre cut up autour du terme « sorry » pour la chanson « Désolé » ou l’incrustation des paroles près desquelles il s’accole dans un karaoké revisité. Le clou du spectacle participatif est le déploiement d’une immense toile de parachute qui recouvre le public à la façon des drapeaux géants dans un stade. Original, ce garçon vêtu d’une superposition de tee-shirts dont un orné du slogan « Vive Chirac, Vive la France » !
Il est 20 h, le moment de rejoindre le Parc Expo. On passe un peu de temps à attendre pour le contrôle. On se sustente car il faut de l’énergie pour affronter le froid qui nous guette à chaque changement de hall. On commence par le 8. C’est Ousseynou Cissé, alias Clarens, bassiste de la formation rennaise Juveniles qui présente son projet solo articulé entre soul et électro. On l’aurait plus volontiers apprécié dans l’ambiance feutrée de l’un des Bars en Trans. On surveille l’heure de passage de Courtney Barnett. On s’y attendait, on passe un agréable moment au son de la guitare de la jeune australienne bien entourée sur scène, mais la comparaison d’avec Patti Smith est prématurée. On passe voir quelques minutes de Curtis Harding. Sur notre chemin se trouve la Green Room. On va faire les curieux devant l’italien Marco Barotti et sa batterie gonflable conçue pour le live. Arrive le moment le plus attendu du jeudi, l’ange blond Kate Tempest et son flow hallucinant. Passage réussi pour sa première tournée. Retenez-bien ce nom, vous avez des chances de le revoir passer. On ne s’attarde pas jusqu’à la fin car un autre jeune espoir s’apprête à monter sur scène. A seulement 17 ans, on dirait Raury biberonné au Michael Jackson, mais c’est une reprise de « Smells Like Teen Spirit » de Nirvana qu’il interprète de façon rock. Néanmoins la révélation n’aura pas vraiment lieu, trop de pression pèse sur ses frêles épaules, il fait tomber son micro et son set se trouve écourté d’un quart d’heure. Dommage. Nouveau passage par la Green Room, chemin le plus court entre les halls 3 et 8 pour le norvégien Andre Bratten. Si le lieu présente l’avantage d’être configuré en une pièce de forme circulaire, les DJ, au milieu, surplombent la scène, ce qui les éloigne d’autant du public. Leur set est filmé du dessus et projeté sur des écrans fixés aux murs. On manquera A.WA, Sekuioa et F.E.M, on apercevra Molotov Jukebox sans conviction, avant de déclarer forfait et d’aller au devant d’une navette pour regagner Rennes.
Vendredi : frisson sur la chanson versus hypnose sur l’électro
La journée commence à nouveau à l’heure du tea-time. On vient voir I Me Mine. On arrive juste à temps pour leur entrée, introduite pompeusement par « Also Sprach Zarathustra » de Richard Strauss qui sert aussi de thème au film « 2001, l’Odyssée de l’espace » de Kubrick. Les titres sont bien joués et certains comme « My Precious » sont efficaces. On est gêné par une absence de liaison entre les morceaux et l’enchaînement quelque peu mécanique du set. L’hommage appuyé aux Beatles dans les choix vestimentaires ne suffit pas à constituer une atmosphère scénique. On était pas venu pour eux mais on se laisse prendre au jeu d’autres caennais, ceux de My Summer Bee. On avait tendu l’oreille à leur EP lors de leur passage au festival Nordik Impact. Il y a une amplification plus intéressante sur scène. On pense à We Have Band ou Dead Rock Machine en plus pop – ils reprennent d’ailleurs « Smaltown Boy » de Bronski Beat.
A l’invitation de la Champagne-Ardenne et de son dispositif d’accompagnement des groupes locaux, on assistera à notre unique Bar en Trans du cru 2014. On aimerait en profiter plus mais les programmations se chevauchent entre les deux festivals, il faut choisir… On nous remet un tote-bag contenant 3 EP cartonnés, Helper, Baptizein & Secret Folk et Ya-Ourt. Le premier est DJ et associe de l’electronica proche de Fakear pouvant flirter avec la techno de Prodigy. On apprécie. Le second officie dans un tout autre registre, celui du garage-punk. Le chanteur Baptizein a une forte présence sur scène tendance démoniaque ! On retient sa « Beatrix Kiddo » (la tueuse à gage dans « Kill Bill » !), dans une énergie contenue et un timbre proche de Mark Lanegan. On part avant d’entendre Ya-Ourt car on prend toutes les précautions qui s’imposent pour passer les formalités de transfert entre Rennes et ses halls périphériques. On veut absolument arriver à temps pour Grand Blanc. Un crochet par l’un des stands de gastronomie locale et nous voici devant les Messins. L’attente est forte de découvrir sur scène l’une des révélations de 2014. Aussitôt propulsés au Parc Expo sans passer par la case Bars en Trans et Liberté. On leur souhaite moins de pression que leur voisin de label Moodoïd en 2013. Quelques minutes suffisent à frissonner et être gagné par la conviction qu’ils passeront haut la main l’épreuve du hall, pas toujours un cadeau pour les groupes ayant peu tourné. On découvre les titres en live qui ne figurent pas sur l’EP. Le mariage de la chanson et de la cold wave fonctionne. Benoît le chanteur nous fait penser à un Patrick Dewaere au bout de sa vie. Il fait noir dans les textes de Grand Blanc qui pourtant nous irradient. On parie sur un album prometteur à guetter chez Entreprise. Ce qui est parfois délicat après avoir été touché par un live, c’est de passer sans transition à d’autres univers. Difficile de rentrer dans Dad Rocks!, Jungle by Night, Méta, Méta ou Cosmo Sheldrake. On arrive à la fin de The Avener qui nous a réservé son « Fade Out the Lines », remix du titre porté à l’origine par Phoebe Kildeer and the Short Straws. Nous voilà en place pour les nouvelles « créatures » que Rone s’apprête à dévoiler. On avait en mémoire les nombreuses projections qui avaient émaillé son précédent show. Cette fois, l’accent est mis sur un ballet de lumière, tendance Gesaffelstein, la chaleur en plus. On est captivé par la facilité déconcertante avec laquelle Erwan Castex nous embarque. On a du mal à s’extraire de notre posture contemplative aux trois quarts du set qui s’est adjoint de la vidéo. Mais l’heure tourne et le tandem Smoove & Turell a commencé. On arrive au coeur de la northern soul, ça swingue, ça groove ici et là entre cuivres et voix puissante. Les amateurs de Jamie Lidell apprécieront. L’autre nom que l’on lit beaucoup sur les lèvres ce soir est en fait une association de lettres pas toujours prononcés dans l’ordre : DBFC. Comparés à LCD Soundsystem, il y a de ça dans le titre « Humdrum », le set se révèle en réalité beaucoup plus pop, dans une harmonie avoisinant Django Django. Grosse soirée pour l’électro, on file voir Ten Walls, la belle surprise de ces Trans en matière de DJ. On est bien parti pour faire la clôture de la soirée en compagnie de Thylacine. On l’avait vu mixer sur « Tokyo Reverse », film étonnant de 9 heures en slow TV suivant un homme marchant à reculons dans les rues de Tokyo. Il n’est pas question de cela ici mais toujours de saxophone. Car William Rezé vient du jazz et introduit son instrument à ses compositions hypnotiques et dansantes comme on peut l’entendre sur le titre « Home », le tout joliment rehaussé par les projections en toile de fond.
Samedi : au cœur du rythme
Après trois jours de concerts, on repose un peu nos jambes et nos oreilles pour aller se lover confortablement dans l’amphithéâtre des Champs Libres pour les conférences du Jeu de l’Ouïe. On n’est pas les seuls à être venus écouter Pascal Bussy et notre camarade Vincent Arquillière, chargés d’esquisser le portrait d’une ville : Manchester. On part du swing des années trente pour remonter les décennies jusqu’à nos jours. On exhume les noms et lieux mythiques du punk et du post-punk. La conférence est suivie d’un concert de Naked (on Drugs), l’association d’un Anglais et d’un Français (le chanteur), étendue sur scène à six musiciens dont deux au saxophone.
Dernier jour au Parc Expo, on connaît le chemin pour aller jusqu’à Oso Leone. On avait été séduit à l’écoute de leurs deux albums. Il en va de même de leur prestation scénique emplie de sobriété, où les instruments sont au centre de la proposition et notamment deux batteries. Ce troisième soir au Parc Expo est placé sous le signe de la rythmique. Tumi Mogorosi était d’ailleurs convié à illustrer le sujet de la conférence de la veille. Le batteur de jazz sud-africain est superbement entouré de sa formation de cuivres, cordes et choristes. Il bat parfois à même les paumes des mains. Le public ne s’y trompe pas et salue la performance dans un hall 3 encore clairsemé en début de soirée. On a faim, on a froid, les trajets entre les halls nous amènent à recharger les batteries justement, le temps de tester le salon de thé du hall 5 et sa scénographie cosy. On manque un peu de The Ringo Jets. Une moitié de set suffit à nous donner un aperçu de la fougue qui les anime. Et puis on se réjouit de voir une femme à la batterie du trio turque… On arrive en pleine battle de danse entre les musiciens de Vaudou Game parmi un public enjoué. Un micro-climat règne sur le hall 8 au chant du Togolais dans le même appareil qu’il prend la pose sur la pochette d’ »Apiafo » torse nu, vêtu d’un pantalon jaune, de nombreux colliers autour du cou. Le public semble à son aise, si l’on en juge l’engouement à répondre à la question répétée de Peter Solo : « Ça va ? ». Mais l’attraction pour Jambinai est plus forte. Ce quintet coréen est l’ovni immanquable de la programmation, le point culminant de cette édition, allant chercher aux tréfonds nos émotions. Il incarne la quintessence des Trans, la possibilité d’y voir des groupes venus de loin, comme plusieurs, à souligner que c’est leur première fois en France mais combien d’entre eux aurons-nous l’occasion de revoir ? Autre hall, autre ambiance, Lizzo, imposante rappeuse, occupe seule le devant de la scène jusqu’à faire monter quelqu’un du public pour le dévêtir puis l’affubler d’un tee-shirt à sa gloire avant d’entreprendre une danse chaloupée. Le hall 8 affiche alors complet, impossible pour les retardataires d’y accéder. On s’exfiltre pour brièvement avoir un aperçu d’Islam Chipsy en attendant Money For Rope. On a omis de mettre ces Australiens dans notre sélection et on le regrette. Ils revendiquent les influences de leurs compatriotes The Saints ou Radio Birdman. Ce samedi est définitivement placé sous le signe de la batterie, car comme Oso Leone, le groupe en a placé deux pour mieux déverser un déluge de décibels. On migre au hall 9 transformé en club berlinois géant où quelques milliers de personnes s’animent sur les beats du russe Boris Brejcha. On partage notre dernière heure entre Fumaça Preta, Clap! Clap! et The Hacker. Rien ne parvient plus à retenir notre attention alors on se résigne à quitter l’enceinte du Parc Expo pour la dernière fois en 2014.
Dimanche : soirée de clôture new-yorkaise
Dimanche, on trouve encore la ressource de monter au théâtre de l’Aire Libre, antenne d’accueil de la création jouée cinq soirs d’affilée. Moses Sumney en première partie, sied à un concert de l’après-midi. Le jeune américain demande rapidement si le public est toujours éveillé car il sait que les fauteuils sont confortables et qu’il ferait la sieste à notre place. On se laisse volontiers bercer par la voix jazzy de celui qui a participé au « Blue Note Tribute » pour la Blogothèque sur le « Moanin’ » de Bobby Timmons. Une voix qui lui permet aussi d’emprunter les chemins de la soul. On aime particulièrement sa façon d’utiliser ses trois micros et sa pédale loop dans une alternance guitare, voix et clappements de mains. Alors qu’il confie aimer les chansons tristes, l’intervalle entre les morceaux montre un visage profondément joyeux. Il glisse quelques mots en français avant de se lancer à capella dans une pseudo-improvisation human beat box, clapping et battement de pied. Il revient en rappel sur le titre « Replaceable ». Après l’entracte, c’est au tour de Jeanne Added d’investir les lieux. On avait écouté attentivement son « EP#1 ». Virage à 360 degrés pour la Rémoise placée sous l’aile de Dan Levy, moitié de The Dø, dont le premier album est à paraître chez Naïve à la mi-janvier. Il y a de quoi être dérouté voire perdu pour ceux qui ont découvert la musicienne dans un univers dépouillé laissant une large place à sa voix. L’orientation prise est une pop aux confins de l’électro à l’image du premier single dévoilé « A War Is Coming ». Alors ça clignote de partout, néons au sol, murs d’ampoules et ballets de lumière. On préfèrera « He Comes Back » à l’harmonium avec la saxophoniste de The Dø Marielle Chatain ou encore le titre « Suddenly ». On aime le travail mi-classique mi-électronique de la batteuse Anne Paceo associé au clavier de Narumi Hérisson que l’on a découverte avec le trio Tristesse Contemporaine.
On redescend en ville pour l’appétissante soirée de clôture donnant carte blanche au label new-yorkais Godmode à l’Ubu, où nous avons commencé cinq jours plus tôt. On commence avec Soft Lit dont on ne peut que retenir le nom tant la chanteuse Tara Chacon le répète à chaque inter titre ! On est séduit par la voix sensuelle de la belle qui distille une pop mélancolique. On poursuit avec Courtship Ritual qui avait retenu notre attention en amont dans sa filiation avec Cocteau Twins. La chanteuse Monica Salazar s’efface pour laisser le devant de la scène à un danseur et une danseuse venus performer le temps du concert. On est en jambes pour accueillir le très attendu Shamir Bailey. Et alors là, on peut le dire, on a bien fait de ne pas écourter le séjour à la porte du Parc Expo de Rennes. Le jeune américain de 19 ans mérite le buzz médiatique dont il fait l’objet. Une voix, une attitude androgyne, tel un ange posé là qui va se livrer à une séance de free hugs et le public de recevoir les câlins de celui qui est pour nous la troisième plus belle découverte de ces Trans avec Jambinai et Grand Blanc. Il y a un peu de consanguinité chez le label new-yorkais, les chanteuses du premier et second groupe sont choristes du troisième et tout le monde joue ensemble. La soirée en est d’autant plus cohérente. Une partie de la salle n’attendra pas Montreal Sex Machine malgré les sets de qualité de Black Commando aux changements de plateaux. Dommage, car cette soirée Godmode est un sans faute avant de se poursuivre en mode clubbing.
Rendez-vous est pris du 2 au 6 décembre 2015 pour la 37ème édition !