CLOGS – Lantern
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Une année qui commence avec un disque des Clogs dans la boîte aux lettres ne peut être complètement mauvaise. Pourtant, le quatuor "classico-expérimental" américain (qui partage deux de ses membres, le violoniste Padma Newsome et le guitariste Bryce Dessner, avec The National) ne fait pas vraiment partie de ces formations dont chaque nouvel album déclenche, à tort ou à raison, un emballement médiatique. Le rapport de l’auditeur à leur musique, souvent excitante mais pas vraiment à la manière des Strokes ou des White Stripes, est forcément plus intime. Les Clogs sont comme ces amis lointains mais chers qui, une fois l’an à peu près, nous donnent de leurs nouvelles : ils ont déménagé, se sont mariés, ont eu un enfant, et pourtant, au fond, ils sont restés les mêmes. Si, sur leurs trois albums précédents, "Thom’s Night Out", "Lullabye for Sue" et "Stick Music", le groupe refusait de s’en tenir à une formule et préférait explorer plusieurs directions musicales, il n’en avait pas moins réussi à imposer une patte, un style, un son n’appartenant qu’à lui.
Dès les premières mesures de "Lantern", on se retrouve donc en terrain connu. Pourtant, le morceau n’est pas d’eux mais d’un compositeur italien du XVIIe siècle (qui lui a donné son nom, Kapsburger ou Kapsberger), et c’est la "baroque guitar" de Luca Tarantino qui joue la mélodie. Le suivant, "Canon", que sa structure répétitive peut rapprocher de certaines expériences post-rock, est une collaboration avec les Français Charles-Eric Charrier et Rasim Biyikli, connus sous le nom de Man. Ici, ce sont les notes grêles d’un mélodica, instrument que le groupe n’avait jamais employé jusqu’alors sur disque, qui dominent. Ailleurs, on entend du ukulélé, du piano, de la "mandola" ou la basse d’Aaron Dessner (frère jumeau de Bryce, lui aussi membre de The National), en plus des instruments habituels de la formation : guitares, violon, alto, basson, percussions, et la voix frémissante de Padma Newsome pour une apparition comme toujours furtive, sur le morceau-titre.
Après la restriction instrumentale de l’exigeant "Stick Music", tout en cordes, "Lantern" marque donc un nouveau pas vers d’autres sonorités. C’est aussi un disque plus lumineux (comme son titre le laisse supposer), plus habité, plus fluide et (un peu) plus facile d’accès que les trois précédents. Mais pas pour autant exempt de surprises, de contrastes marqués – aux trouées de silence de "Compass" succède le nettement plus vigoureux et dense "Voisins", lui-même suivi du piano solo de "Tides" – et de petits cataclysmes sonores (le crescendo saturé de "The Song of the Cricket"). Par moments, c’est une énergie presque rock qui s’en dégage, comme si le jeu de Padma et Bryce s’était affermi au fil des concerts avec The National. Les Clogs semblent donc avoir atteint la plénitude de leurs moyens et l’équilibre parfait entre chacune des forces musicales en présence. On leur fait néanmoins confiance pour ne pas s’endormir sur leurs lauriers et ajouter d’autres chapitres passionnants à leur belle odyssée sonore.
Vincent Arquillière
Kapsburger
Canon
5/4
2:3:5
Death and the Maiden
Lantern
Tides of Washington Bridge
The Song of the Cricket
Fiddlegree
Compass
Voisins
Tides (Piano)