Louis Warynski mène sa barque à sa manière : après avoir signé la fin de sa trilogie d’EP avec « Al Abama« , il donne un successeur à « 613« , premier volet long format d’une carrière déjà riche. L’occasion de donner un nouveau coup de rein, d’oser encore et toujours, et de surprendre.
La surprise est plurielle avec « Invisible ». Les deux morceaux avec des passages vocaux sont une réelle nouveauté : il n’est plus question d’une simple synthèse vocale, mais bien de participations extérieures, Gerard Kurdian (de This Is the Hello Monster) et Matt Elliott, avec qui il a collaboré sur le dernier opus de The Third Eye Foundation. Pas des petits calibres donc, mais plutôt des musiciens à l’univers bien affirmé. Mais l’univers de Chapelier Fou est ainsi fait qu’il y a des recoins, des tas d’interstices où se glisser, même si le tableau final est très dense.
On y entend tellement… Des percussions, sans doute plus que ce qu’il a pu produire dans le passé. Elles ouvrent, elles s’effacent et reviennent, mais donnent à certains morceaux une tonalité nouvelle dans le répertoire de Chapelier Fou – un peu moins de lyrisme, jusqu’à un premier contrepied mélodique, puis un second. Mais à peine font-elles leur apparition que les morceaux d’après partent dans une autre direction. Le premier-plan devient le second, les rythmes s’entrechoquent, se croisent et se défont, mais des éléments familiers demeurent : le violon, la présence de boucles, le mélange analogique-synthétique rendu ainsi permanent. Les titres des morceaux restent toujours aussi cryptiques, encouragent l’exploration et l’écoute en profondeur. Loin de me bloquer, c’est comme un encouragement que je l’ai perçu. Si je n’ai pas encore percé le mystère de « Fritz Lang », titre vertigineux aux multiples facettes, il fait étal du talent de Louis Warynski sans que cela semble intimidant. Il reste en effet toujours de quoi se raccrocher aux morceaux : une mélodie en premier plan qui passe de la mélancolie à l’exaltation (« L’eau qui dort »), les sons ronds de « Le tricot » aux groses mailles douillettes, les heurts mélodiques accentués de « Protest » ou la guitare aux reflets post-rock qui ouvre « P Magister ». « Invisible » peut ainsi être décortiqué presqu’à l’infini, offre réellement une nouvelle lecture à chaque écoute. Disque pluriel, disque symbolique d’un artiste au talent de conteur inépuisable, capable de se réinventer sans cesse sans jamais travailler du chapeau.