Il était une fois les « Premières vies » de Blind Digital Citizen. C’est ainsi que l’on pourrait commencer par narrer l’histoire du premier long format du quintet français que l’on nommera BDC pour faire court. On avait déjà eu l’occasion d’en dire quelques mots lors de leur concert donné pour le festival Fireworks. Autant vous aviser d’emblée, on va se livrer au principe de l’analogie mais BDC ne ressemble à rien, c’est un électron libre dans la sphère de la chanson-rock-electro aux contours mouvants.
Quelques singles et EP depuis 2011 ont constitué autant d’occasions de pénétrer dans l’univers du groupe, un monde imaginaire entre fantasy et science-fiction. Il suffit de scruter les illustrations réalisées pour l’artwork du disque par Jean, le chanteur, et les références aux mondes parallèles de Moebius et Jodorowsky pour s’en convaincre. L’album s’ouvre sur « Perù », on pense alors à Florent Marchet et son album concept « Bambi Galaxy« . Car c’est bien de contrées célestes, étrangères, inhospitalières dont il est question dans les textes de BDC. C’est le cas de « Reykjavik 402 » où l’on imagine H.F. Thiéfaine chanter sur les musiques de Steve Moore et Anthony Paterra. Sur scène, on pense à Pink Floyd, ce qui n’est pas aussi perceptible en enregistrement studio sur lequel l’ingénieur du son Adrien Pallot a officié (Bot’Ox, Jackson and His Computer Band). Si l’on peut aisément qualifier BDC comme s’inscrivant dans la lignée d’un Alain Bashung, de « Play Blessures » à « Figure Imposée », ce n’est pas tant pour une similarité de style musical mais plutôt de champ lexical. Il y a une double lecture dans les textes de BDC, une poésie qui se lit autant qu’elle s’écoute, l’un et l’autre vont de pair pour apprécier la musicalité de l’objet à condition de tendre l’oreille. Vous croyez entendre les « ports » quand il faut lire « les porcs » sur « Reykjavik 402 », « la mort » pour « l’amor » sur « Dvek« , « Tu dors » pour « Tu dores » sur « Cumbia »… Il faut donc un peu de temps et de concentration pour apprivoiser les codes mais l’on est rapidement intrigué puis séduit. Comme à la visite du « Palais de cristal » et son refrain qui prend aux tripes « Et même si tu ne me regardes jamais / Au fond je sais que tu es partout où je vais / Partout où je me sauverai ». Ce cri se détache du spoken word dominant et des nombreuses ambivalences qui nous tiraillent, « Hommage atroce / Beauté stérile / Couteau précoce / Amour fragile ». Les chansons peuvent sembler énigmatiques, à l’image de « Cumbia » et ses influences sud-américaines comme les origines de la danse du même nom. Les synthétiseurs y miment les sonorités de flûtes et d’ocarinas. La chanson mentionne plusieurs fois 1986, « Tandis que les sirènes hurlent à la centrale on brûle ». Peut-être une façon de nous remémorer un certain 26 avril du côté de Tchernobyl ? Parmi les trois titres repris des précédents EP sur les dix que compte l’album, figure le très électro et explicit lyrics « Ravi ». BDC chante l’urgence d’une vie à consumer par les deux bouts. La sexuelle « Ravi » donne place à l’anxiogène « Parachute » : « Un homme s’apprête à sauter d’un avion / Pour atterrir sur un pays hostile…/ Il a même pas atterri qu’il s’fait déjà tirer dessus » sur une musique digne de Jon Hopkins. Plus texte dit que chanson, « 3645 », coordonnées GPS de notre for intérieur, est comme une respiration pour seul guide de soi. Nombre des compositions sont déroutantes, de longs formats parfois sans couplet ni refrain comme « Fantôme » et son final au saxophone. Pour le ministère de la Vérité de l’orwellien Big Brother, « La guerre c’est la paix », pour BDC, c’est l’avenir sur « War » : « Le meilleur est avenir / Le meilleur est ici / Ici c’est l’avenir / L’avenir est ici ».