En 2012, avec l’album “Rats”, Balthazar trouvait un déséquilibre particulièrement excitant entre précision mélodique et désinvolture sonore. Un style vocal souvent outrageusement slacker, une rythmique parfois au fin fond du temps venaient tirailler des lignes mélodiques désarmantes d’évidence ; le tout était mis en scène par une production discrète, spacieuse, laissant à chaque instrument, choisi avec tact et joué avec mesure, le loisir de faire résonner les fréquences secrètes qui teintaient ses notes.
L’album fut un succès mais Balthazar, et c’est tout à son honneur, ne s’en est pas tenu à ce qui aurait pu devenir une formule. Déjà “Thin Walls” (2015) resserrait ce petit théâtre sonore autour d’un couple basse-voix structurant efficacement la majorité des titres – jetant un éclairage sépia sur d’autres titres plus proches de “Rats”, qui savaient en tirer parti avec, semble-t-il, une certaine malice.
Du nouvel album, “Fever”, le morceau-titre placé en ouverture donne le ton. Une ligne de basse à la fois ronde et nerveuse, toute de slide et d’attaques percussives, lance, soutenue par des touches électro, l’inexorable martèlement d’une grosse caisse disco, aéré par des percussions syncopées et une guitare presque méconnaissable tant ses cordes sont maltraitées. Marteen Devoldere développe un chant-mantra, soutenu en arrière-fond par Jinte Deprez et des chœurs lancinants, et tous se rejoignent en un refrain des plus traîtres, en hululement et voix de tête. La production est imparable et joue magistralement des réverbérations et des espaces, liant l’ensemble sans jamais en noyer les composantes. La chanson dure six minutes, mais ce n’est pas encore assez et l’album aurait pu s’y arrêter.
Il continue pourtant.
De fait, “Fever” (la chanson) paraît seule synthétiser les deux personnalités musicales qui se sont exprimées dans les projets alternatifs des deux têtes chantantes de Balthazar (Warhaus pour Devoldere et J. Bernardt pour Deprez). Aucun des autres titres ne réitère le miracle hypnotique de ce morceau parfait en son genre ; mais il vient tous les hanter. Souvent pour le meilleur, lorsque les aspérités vocales et instrumentales viennent, discrètement désormais, altérer une texture musicale plus unie, et donner une chaleur qui paraît alors rétrospectivement manquer au titre d’ouverture. Quand Deprez veloute sa voix (“Wrong Faces”), quand, dans les aigus ou après de longues phrases, la ligne de chant s’estompe et se fragilise, (“Roller Coaster”, “I’m Never Gonna Let You Down”), alors c’est l’ensemble qui devient plus expressif, plus délicat.
Et ce n’est sans doute pas un hasard si ce sont dans ces titres que le groove d’acier se fait plus chancelant, les instruments plus librement approximatifs, le mixage même plus audacieux – la basse bourdonnante de “Watchu Doin’” semble se maintenir à la limite supérieure du seuil de saturation de la piste d’enregistrement, les notes de la guitare bruitiste de “Roller Coaster” sont presque inaudibles, et la section rythmique elle-même y redevient hésitante. Les rares motifs de cordes de l’album, qu’on pourrait croire simplement orientalisants, se mettent par leurs chromatismes au diapason de ces écarts contrôlés qui sucrent les morceaux les plus réussis. Inversement, les titres les moins prenants sont ceux où, de crooning superflu (“Phone Number”, “Grapefruit”) en hymne bêta (“Entertainment”), toute rugosité, toute nuance s’effacent – peut-être parce que les compositions elles-mêmes s’y révèlent moins fortes, et moins tolérantes au jeu.
On a sans doute le droit, contre les artistes eux-mêmes, de ne pas voir dans “Fever” un nouveau départ – l’album se nourrissant lui-même de références marquées, notamment à la Motown, dans tel break d’introduction (“Wrong Vibration”) ou par le rôle central confié à une basse souvent claquante. Mais cette nouvelle aventure dans le monde connu ménage des rencontres parmi les plus séduisantes.