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Concerts

Arlt et Gilles Poizat, la Boule Noire, Paris, le 5 juin 2022

Ce soir de juin, il pleut sur le boulevard Rochechouart, et une immense foule rentre doucement dans la Cigale pour regarder Big Thief (réduit à un trio, mais redevenu quartette pour le concert du lendemain). Nous choisissons plutôt de faire un pas de côté à la Boule Noire pour y voir Arlt, de retour sur scène et sur disque avec “Turnetable“.

L’ambiance dans la salle est très détendue. On croise une certaine idée de la scène francophone : Chevalrex, qui tient le stand d’Objet Disque, Bertrand Belin, fidèle ami du groupe, qui discute dans un coin, Eric Chenaux avec quelques autres têtes de Murailles Music. Au bout de quelques minutes, l’obscurité se fait et Gilles Poizat – échappé entre autres d’Orchestre Tout Puissant Marcel Duchamp – arrive discrètement sur scène. Seul, quoique bien équipé : un bugle et un clavier modulaire qui, depuis lacène, se résume surtout à un entrelacs de câbles de couleur (on croit reconnaître un Buchla, mais le doute nous assaille).

Chaque morceau se concentre sur un dispositif étrange où chaque note de trompette se retrouve samplée, triturée, traitée pour résonner comme un long bourdonnement méditatif. Le synthétiseur s’occupera du reste, une ligne de basse et une rythmique minimaliste. Les textes poético-ludiques de Gilles Poizat s’invitent par moments sur la musique, en accentuant encore la singularité. Un dernier titre proto-techno viendra réchauffer le public avec quelques pas de danse avant de laisser la place au duo tant attendu.

La scène a maintenant des airs de fête foraine. Eloise Descazes joue des field recordings avec un vieux walkman à K7. Sing Sing fait tourner son inimitable rythmique syncopée lo-fi pour ampli réverbéré. A un moment, on entend le bugle, on se retourne et on voit Gilles Poizat jouer, juché sur l’une des banquettes latérales de la salle. Les textes sont toujours aussi surréalistes, bizarres, drôles et tragiques. On accueille les plus ou moins vieux titres – “Le Pistolet“, “Soleil Enculé“, “Les Fleurs”, “Tu m’as encore crevé un cheval”, “La Rouille“ – comme de vieux amis que l’on n’avait pas vus depuis longtemps. On écoute les nouveaux avec attention, voire fascination : “Le Renard“, répétitif jusqu’à en devenir lysergique, “Oh Bagnole“, tube définitif qui, dans un monde parfait, tournerait en boucle sur France Inter, “Le Village”… Si Arlt est ici réduit à sa plus simple expression, sans Mocke à la guitare ni l’effectif élargi du précédent album (Ernest Bergez alias Sourdure est quand même à la console et on imagine que son rôle est essentiel), Eloïse compense en bricolant plus qu’avant, triture les sons, joue un peu de concertina, et le concert prend parfois des allures d’atelier créatif.

On resterait bien là encore une heure ou deux, juste pour y voir les deux chamanes construire et déconstruire ses morceaux comme certains invoquent les esprits pour les laisser s’échapper. Même si, à force, il ferait presque partie des meubles (une table façonnée par un artisan, à la fois massive et élégante, avec les pieds un peu de travers ?), Arlt reste une anomalie persistante dans la chanson française. Pour le plus grand bonheur d’un petit cercle de fidèles qui mériterait évidemment de s’élargir.

Avec la collaboration de Vincent Arquillière.

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