Avec son fond de scène et son plafond pailletés, le club MOTH (papillon de nuit), à Hackney, pourrait être rebaptisé « Firefly » (luciole). Ce n’est toutefois pas une soirée particulièrement glitter qui y a lieu ce dimanche, où un public assez nombreux est venu combattre le blues de la fin de semaine, attiré par une belle programmation et par l’entrée gratuite. L’endroit n’étant pas franchement central, on met un peu de temps pour y arriver (Londres, c’est bien quand on aime le bus) et l’on manque le premier groupe, Happyness (oui, avec un “y”), auteur d’un premier album indie pop de bonne facture.
Quand on pénètre dans la salle, sans avoir été contrôlé par qui que ce soit et après avoir croisé un David Thomas très concentré assis en haut des marches d’un escalier, les quatre Néerlandais de Rats on Rafts, signés sur le label britannique Fire, sont en pleine action, et à plein volume (les Anglais semblent prendre moins de précautions que les Français pour ce qui est des décibels).
La dégaine du chanteur guitariste (frange brune, chemise noire à gros pois blancs, jean noir serré, boots noires) pourrait nous faire croire qu’on est remonté trente ans en arrière et qu’on s’est retrouvé à une soirée du label Creation au Living Room. Mais aucune nostalgie ici : déjà impressionnant sur disque, leur post-punk psyché et noisy, aussi vicieux que jouissif, gagne encore en intensité sur scène, au fil d’un concert sans temps morts.
Le temps de descendre une pinte d’IPA avec une éminente représentante du label Fire et le groupe suivant démarre, dans un genre très différent. Constitué en grande partie de vétérans de l’indie rock anglais, Prescott joue un rock instrumental, répétitif et expérimental qui rappelle un peu les morceaux les plus accessibles des Residents. Le son est à la fois bizarre et très clean, c’est plus une curiosité qu’autre chose mais il faut reconnaître que les musiciens ont de la bouteille et maîtrisent leur sujet.
Le bouquet final consiste à faire cohabiter sur la petite scène les membres de TOUS les groupes de la soirée, entourant le Pere Ubu en personne, David Thomas. Assis dans un fauteuil, il parle plus qu’il ne chante et souffle par moments dans une espèce de corne de brume. Apparemment, il n’y a pas vraiment eu de répétitions, certains musiciens agitent simplement un tambourin ou pianotent sur un Casio, et on ne sait pas trop d’où viennent les morceaux joués (des compos récentes de Pere Ubu ?).
Mais la méga-jam tient la route et s’avère même plaisante à écouter, d’autant plus étonnamment que Thomas semble avoir fait un sort à une bouteille de rouge, comme à son habitude. Le public, qui mêle hipsters, simples curieux et sexagénaires peut-être même pas égarés, est captivé, il y en a même qui dansent. C’est sur une très vague reprise de “Ticket to Ride” des Beatles – peut-être le plus beau massacre de ce morceau depuis son pompage par les Happy Mondays sur “Lazyitis” – que s’achève cette soirée raisonnablement folle, et typiquement londonienne.