AIR – Paris, Salle Pleyel, 06 Juin 2010
On avait fini par se lasser de Air. Pas que leurs derniers albums étaient mauvais, non, loin de là. Le petit dernier "Love 2" contenait même quelques perles ("Tropical Disease", "Heaven’s Light") que les critiques avaient trouvé de bon ton de snober bêtement. Non, ce sont les concerts que donnait le groupe au fil des années qui finissaient par nous agacer. Des shows toujours parfaits, mais sans âme. Depuis la tournée "Talkie Walkie", le duo versaillais avait cessé d’expérimenter, d’innover. L’envie, la créativité, l’énergie qu’il déployait sur scène à l’époque de "Moon Safari" avaient disparu au profit d’une exécution musicale millimétrée mais peu intense. Jean-Benoît Dunkel et Nicolas Godin semblaient s’être peu à peu renfermés sur eux-mêmes, réfugiés dans leur grand studio parisien, un cocon luxueux bâti comme paravent au monde extérieur. La série de concerts donnée ce mois-ci est venue, en partie, inverser la tendance.
Le concert du groupe dans la superbe Salle Pleyel (qui, ces dernières années, s’est ouverte avec bonheur aux musiques actuelles amplifiées) s’inscrit dans le Domaine Privé que leur a offert la Cité de la Musique. Une carte blanche qui a permis au duo de présenter, lors de quatre soirées exceptionnelles, plusieurs facettes de leur univers musical : l’obsession des claviers vintages avec les new-yorkaises d’Au Revoir Simone, l’exploration des codes du songwriting avec Jarvis Cocker, la passion pour les musiques de film seventies avec le concert de "Virgin Suicide" et, enfin, le dévouement quasi mystique du duo pour la douceur harmonique avec l’Orchestre National d’Ile-de-France. Le clou du spectacle. Un orchestre symphonique de 34 musiciens dirigé par Didier Benetti interprétant en compagnie des intéressés leurs chansons les plus cinématographiques. Voilà qui a pu faire chavirer les cœurs des fans déçus et les pousser à débourser au minimum une trentaine d’euros pour emprunter le soir du 6 juin l’ascenseur luxueux de Pleyel. Sans compter qu’à part un spectacle à guichet fermé à Los Angeles en 2004, le groupe n’avait jamais confronté, sur scène, ses compositions à une formation orchestrale élargie.
Ça démarre avec un "Do the Joy" spatial auquel l’orchestre n’apporte pas grand-chose et on craint vite que l’arrangeur en chef (Roger Neil qui avait déjà oeuvré sur le péplum "10 000Hz Legend") ne se soit contenté de remplacer les nappes de claviers de J.B par des mouvements de cordes. Craintes vite dissipées quand arrivent les magnifiques "Radian" (et ses flûtes remplies de félicité), "Don’t Be Light" (quelle intro !), "Tropical Disease", "Talisman", "Highschool Lover" ou l’enivrant "Alone in Kyoto". La musique du duo prend alors une dimension inédite, dramatique. Les arrangements orchestraux ne sont jamais pompeux, arrogants ; ils conservent ce subtil équilibre qui a forgé la renommée du duo et auquel Roger Neil s’est attaché pour la construction de cette cathédrale sonore : "La musique de J.B et Nicolas est toujours subtilement composée et agencée. En plus d’être de talentueux musiciens, ils sont des arrangeurs très doués qui savent exactement quels éléments mettre dans leurs chansons et où. Mon rôle, lorsque j’écris pour eux, est d’insérer des orchestrations sans qu’elles ne nuisent au caractère de la musique telle qu’ils l’avaient préalablement définie."
Petite déception cependant : le duo, timide comme à son habitude (voire un peu neurasthénique), se contente de jouer la set list habituelle de leur tournée, l’orchestre venant se greffer aux chansons sans qu’il y aie de réelle "création" (pas de chanson répétée uniquement pour l’occasion par exemple). Mais on chipote.
Le concert, court, se termine par "La Femme d’Argent", lente montée orgasmique dans laquelle les cordes, magistrales, serrent la gorge du spectateur jusqu’au final apocalyptique. Résultat : triomphe dans la salle. Ça faisait bien longtemps qu’on n’avait pas vu le duo changer d’Air à ce point là. On aura même un peu de mal, après un tel spectacle, à retourner voir le groupe en live, seul, dans son plus simple appareil.
Rémi Mistry