Mettons tout de suite les choses au clair : je fais partie de ceux qui considèrent que les choses sérieuses commencent avec « Climate Of Hunter », atteignent le sommet avec « Tilt » puis s’envolent pour des contrées vierges et sauvages avec « The Drift ». C’est dire si j’aimerais tant refaire le chemin à l’envers et si je paierais même cher pour revivre un seul instant le temps du bonheur à l’ombre de la première écoute de « The Drift ». Hélas, même si on a toujours envie de croire en ses idoles, ce « Bish Bosch » est une véritable déception, un décalqué-collé de « The Drift », un palimpseste de « Tilt » et c’est là le plus triste. Guitares métal, rythmiques brutales (souvenons-nous que l’idole s’enthousiasmait déjà pour… Nine Inch Nails à l’époque de « Tilt » !), collages concrets (ici les bruits de machettes remplaçant la viande et l’étrange cube de bois de « The Drift »), voix d’outre-tombe avec écho amplifié (aussi ridicules que dans « Le Parrain III »), longues digressions poétiques boursouflées. Ça fait mal de le reconnaître… et de se sentir assimilé, de fait, à ces cosaques de la critique que Scott s’amusait à épingler dans « Cossacks Are » dans l’album précédent.
Chargeons donc.
Le pire est peut-être que le tout suscite l’ennui, là ou « The Drift » était un voyage et surprenait à tout instant, tour à tour émouvant, effrayant, abyssal, souvent tout ensemble.
Tout ici sonne comme une répétition : « Clara » évoquait la fin de Mussolini et si on a pu sourire avant de s’y plonger, le voyage de douze minutes ne laissait pas indifférent. Ici, « The Day the « Conducator » Dies », nous rappelle cet étrange Noël 1989, où nous avions pu suivre le procès et l’exécution de Ceausescu, quasi en direct sur la 5 de Berlusconi, et le résultat prête presque à sourire lorsque Scott termine la chanson (soit un recopiage de test d’entrée de l’Eglise de Scientologie ?) par le thème de « Jingle Bells » sur glauque n’ spiel. C’est d’ailleurs là où ça fait le plus mal : lorsque Scott Walker prête à sourire.
A moins que ce ne soit un projet ? Un disque d’autodestruction de mythe ? Un disque politique comme l’était « The Drift » à sa manière mais version nihiliste ? L’idée ne nous quitte pas à l’écoute des trompettes et des guitares en forme de trompettes sur l’épique « SDSS14+13B (Zercon, A flagpole Sitter) « . « Bish Bosch » est donc peut-être un disque de fin du monde, annonçant la fin du temps à la Messiaen et donc révélateur de son époque, tout à fait contemporain dans l’expression de son angoisse froide comme un lointain astre mort.
Cela dit, nous n’avons que rarement (malgré les quatre faces bien remplies du disque), lors de l’écoute de « Bish Bosh », l’envie de rejoindre Scott, seul assis sur son drapeau, à l’image de Alvin « Shipwreck » Kelly (voir photo en page 7 du saint recueil).
Certes, on apprécie l’ambition, la persistance de l’idée fixe, les bouts de références culturelles jetées en pâture aux exégèses walkeriens (cf pour ma part, la lecture d’anecdotes de Giorgio Vasari concernant la relation entre le pape Jules II et Michel Ange dans « Epizzotics » ou des bouts de suédois pour débutants comme « au revoir » et « rien » dans « Tar »), l’adjonction de sonorités et de rythmes hawaïens (le tube « Epizzotics » qui swingue à mort dans tous les sens du terme).
Mêmes les pseudo-bruits de pets qui me rappellent avec délice la voix de Donald Duck sur « The Escape » ou le braiement de l’âne dans « Jolson & Jones » ne me heurtent pas plus que ça, mais le fait est qu’on n’a pas souvent envie de se replonger dans le mish mash de « Bish Bosch ».
Par contre, si le monde explose le 21 décembre et que les armées de Lucifer s’assemblent pour le combat final, nul doute qu’elles rabattront leurs troupes au son des visions dantesques de « Bish Bosch » et qu’il ne restera plus que nos yeux pour pleurer de ne pas les avoir ouverts lorsque Scott, tel un Virgile post moderne, voulait nous faire visiter les Enfers.