Ce confinement est pour beaucoup d’entre nous l’occasion de nous replonger dans quelques disques obscurs et oubliés. Et, parfois, d’y retrouver des chansons qui ont compté, et qui nous évoquent des souvenirs. Aujourd’hui, “Special Angel” d’Air Miami et “Let Me Be the One” de Phil Krauth (1995).
En 1993, Unrest, trio de Washington D.C. assez culte dans le circuit college rock/DIY américain mais à peu près inconnu en France, publiait son dernier album, “Perfect Teeth”, sans doute son meilleur. Un disque que j’aime au point de le posséder à la fois en vinyle et en CD (achetés pour une somme dérisoire dans les deux cas, certes). Mark Robinson et Bridget Cross allaient ensuite de leur côté fonder Air Miami tandis que le batteur Phil Krauth continuait en solo. En 1995 sortaient leurs premiers albums respectifs, “Me, Me, Me” et “Cold Morning”. Ce sont deux disques assez brefs (autour de 36 minutes), aux morceaux courts pour la plupart, à une époque où la suprématie du CD en incitait beaucoup à remplir plus que nécessaire. Je ne les avais pas écoutés depuis longtemps, et je me demande d’ailleurs qui le fait régulièrement (et, plus largement, qui les possède : pas grand monde, sans doute, du moins en France). Vingt-cinq ans plus tard, ils ont gardé un petit charme tenace, là où d’autres plus célébrés en leur temps ne m’évoquent plus grand-chose.
Les deux albums sont sortis sur le label TeenBeat, celui d’Air Miami étant pris en licence par 4AD, qui avait déjà publié “Imperial F.F.R.R.” (via son éphémère sous-label Guernica) et “Perfect Teeth” d’Unrest. Fondé entre autres par Mark et Phil, alors lycéens, au milieu des années 80, TeenBeat était à la fois inspiré par Dischord (le grand label hardcore de DC) et par Factory, ses créateurs piquant à Tony Wilson l’idée de donner des numéros de catalogue à tout et n’importe quoi, pas seulement à leurs sorties discographiques, et celle de traiter le graphisme en interne. Les premières références étaient des répétitions d’Unrest enregistrées sur cassette, n’existant qu’en un seul exemplaire, que leurs camarades de classe pouvaient emprunter comme dans une médiathèque et dupliquer. L’activité s’est peu à peu professionnalisée par la suite, tout en conservant un certain amateurisme. Aujourd’hui, le label ne semble plus très actif, mais il a toujours un site Internet qui prend les commandes.
“Me, Me, Me” d’Air Miami est la suite logique de “Perfect Teeth”, dont il affine la formule. D’un côté, des chansons brèves et très catchy, comme les deux qui ouvrent le disque : “I Hate Milk” (au clip aussi absurde que son titre) et “World Cup Fever” (l’une des rares odes au soccer signées par un groupe américain). De l’autre, des morceaux plus lents et mélancoliques, généralement chantés par Bridget, qui regardent clairement vers l’Angleterre, celle d’Alison Statton (Young Marble Giants, Weekend), Virginia Astley ou Tracey Thorn période Marine Girls. Le son indie rock typique de l’époque (enregistré… à Miami, le disque a été produit par Guy Fixsen, qui œuvrait alors avec pas mal de groupes noisy-psyché londoniens) est ainsi tempéré par moments par de délicats arpèges de guitare et des boîtes à rythmes vintage (“Afternoon Train”). Pas évident de distinguer un morceau sur ce disque qui met dans le mille presque à tous les coups, mais allons-y pour le doux “Special Angel” qui n’est pas sans rappeler Galaxie 500 et Luna, chanté par un duo qui oublie ici ses prétentions arty et expérimentales (comme cette manie d’indiquer le rythme en BPM de chaque morceau).
“Cold Morning” de Phil Krauth est un disque plus fuyant, plus difficile à appréhender, qui sonne comme une collection de démos un peu lo-fi. Les chansons sont sous copyright “Upon Entering The Hotel Adlon”, titre d’un morceau de Henry Cow (1), mais la musique est nettement plus calme que le free-prog du groupe anglais. S’il fallait rapprocher d’un artiste actuel son mélange à la fois candide et un peu tortueux de folk et de pop psychédélique, ce serait peut-être Chris Cohen, autre discret autarcique. Là aussi, on peine à choisir un extrait. Le touchant “Waves Crashing” ferait un candidat idéal, mais on opte finalement pour le morceau de clôture, “Let Me Be the One”, dont le texte est emprunté au film “Nashville” de Robert Altman. Deux minutes et des poussières, pas de refrain, juste une belle supplique amoureuse qui referme idéalement ce disque modeste.
Il n’y eut pas d’autre album d’Air Miami, même si Mark Robinson eut d’autres projets par la suite. Phil Krauth en sortit encore trois (sur TeenBeat, bien sûr), que je n’ai jamais écoutés. La dernière fois que j’ai vu Mark, Bridget et Phil, c’était sur des vidéos live d’Unrest reformé, en 2010.
J’espère qu’ils vont bien.
(1) Tiré de l’album… “Unrest”. “Teenbeat” est aussi le titre d’un morceau d’Henry Cow. On peut quand même se demander combien de lycéens américains écoutaient ce groupe au milieu des années 80…