Fin de notre série rétrospective sur la discographie de Tahiti 80 avec, donc, un passage en revue du premier album sorti à la toute fin du siècle dernier. Il s’agit pour l’essentiel d’une reprise d’un texte que Xavier Boyer nous avait envoyé à l’occasion de la réédition en vinyle du disque, avec quelques ajouts tirés d’un entretien récent.
« “Puzzle”, c’est un titre d’album, et d’une chanson, qu’on avait avant d’aller à New York. Ça résumait bien la teneur du disque : des chansons écrites sur plusieurs années, en mode pop mais avec des arrangements variés. D’ailleurs on devait avoir quarante morceaux à l’époque, le plus ancien était “Mr Davies” et le plus récent “Yellow Butterfly”, qui a fini en tête de tracklisting.
En octobre 1998, Pedro, Médéric, Sylvain et moi sommes partis aux USA avec des cahiers de chansons, quelques instruments et autres bandes magnétiques pour retrouver Andy Chase dans son studio “The Place” situé dans le Meatpacking District à Manhattan – qui deviendra “Stratosphere” entre l’enregistrement et la sortie de “Puzzle”. Difficile d’éviter les clichés du dépaysement… Je venais de « monter » à Paris juste avant la signature avec Atmosphériques en septembre 98, mais bon, NYC ça fait quand même quelque chose quand on s’y rend pour la première fois, en plus pour y enregistrer un album. Un dimanche où l’on avait le mal du pays, on a voulu fêter le début des sessions dans un dinner qui avait un menu “champagne” : arrivent des gobelets en plastique avec une sorte de mousseux et des glaçons dedans, les serveurs qui nous prenaient pour des Québécois n’ont pas compris pourquoi on n’avait pas fini…
C’était génial d’enregistrer ce disque avec Andy, on a tout appris avec lui, c’était à l’ancienne : on travaillait sur un magnéto à bandes 24 pistes (on était aux débuts de ProTools), ça demande une certaine rigueur. D’ailleurs, faire un disque, c’est très méthodique, on couche d’abord les batteries et les basses, puis les guitares ou claviers principaux, ensuite les voix, ce n’est que vers la fin des sessions qu’on commence à expérimenter. L’atmosphère était détendue même si on bossait beaucoup et qu’on apprenait à se connaître avec Andy. Au studio, on avait parfois la visite d’Adam Schlesinger [son collègue au sein du groupe Ivy, décédé en 2020, NDLR], on a emprunté des guitares à Lloyd Cole… Pour les cuivres, Andy a rapidement pensé à Eric Matthews qu’on connaissait à travers Cardinal et un papier dans les “Inrocks” qui l’avait présenté comme un homme orchestre : une rencontre brève mais inoubliable. En tant que fans de pop, on se retrouvait à vivre quelques-uns de nos fantasmes.
Pour le mix, notre label a contacté Tore Johansson, un des seuls noms sur lequel tout le monde était d’accord. On s’est tous retrouvés, groupe + Andy + D.A. en février 99 à Malmö dans son studio Country Hell (nom d’un morceau des Cardigans et aussi parce que le studio se trouvait en rase campagne). Pour le coup, on devenait spectateur, on entendait notre disque changer avec la touche Tore, le son devenait plus agressif, et les chansons épurées. Quand il a fini de mixer “Heartbeat”, il s’est levé et a esquissé quelques pas de danse à la John Travolta, ce qui est un peu fou car Tore n’était pas très expansif. Quinze jours plus tard le disque était fini, et on rencontrait Laurent Fétis pour la pochette. On a d’abord sorti “I.S.A.A.C EP”, et quelques semaines après la chanteuse japonaise Kahimi Karie qui sortait d’une collaboration avec Olivia Tremor Control nous demandait de lui écrire et de produire deux titres… Un avant-goût du Japon.
Je repense de temps en temps à cette époque et je me dis qu’on avait une certaine innocence, une naïveté. Ça ne sert à rien de trop se projeter, de faire de grands plans de carrière, ça rajoute de la pression. On a pris chaque album comme il venait, sans jamais faire de vrai break même si les albums mettent plus de temps à se faire et à sortir. Aujourd’hui, quand un disque sort, c’est fini, il est dans la nature et tu ne peux pas faire grand-chose à part tourner pour le soutenir. Avant, c’était un peu différent, il y avait une vie plus longue, avec des étapes successives.
Comme on avait toujours la tête dans le guidon, on ne s’est jamais posé trop de questions, du genre « est-ce qu’on va faire dix albums ? cinq ? ». Quelque part, c’est l’une des raisons pour lesquelles on est encore là. On ne s’est pas fixé d’objectifs dingues, et on ne nous en a pas non plus trop imposé. On a pourtant eu un énorme tube au Japon avec “Heartbeat”, qui passe encore sur les radios là-bas, et c’est aussi grâce à ça qu’on est toujours là ! Mais ce sont des choses que tu ne peux absolument pas prévoir, personne n’a la formule magique pour faire des tubes à chaque album… En tout cas, le fait d’avoir eu un morceau qui rapportait de l’argent et qui nous avait apporté une certaine notoriété, ça nous a permis de continuer à exister, et surtout de ne faire que ça. Forcément, quand tu as d’autres activités à côté, tu es moins disponible, tu ne peux pas consacrer autant de temps à l’écriture et au reste. On a été à 100 % dans Tahiti 80 depuis qu’on a été signé en 1998, et même un peu avant. On faisait des études en espérant que quelque chose se déclenche.
“Puzzle” est sorti en France fin 1999, puis en 2000 pour le reste du monde. Rétrospectivement, on a eu la chance d’avoir du temps entre la formation du groupe et la sortie du premier disque, on a pu travailler nos chansons et notre son tranquillement. Après la parution de “Puzzle”, tout est allé très vite, jusqu’à aujourd’hui en fait…
Le reste de la série :
“Wallpaper for the Soul”
”Fosbury”
“Activity Center”
“The Past, The Present & the Possible”
“Ballroom”
”The Sunshine Beat Vol. 1”
“Here With You”
“Hello Hello”