(Faux) groupe d’indie pop sympathique mais jusque-là un peu brouillon, Trust Fund opte pour l’acoustique et les arrangements de cordes sur un nouvel album post-hiatus où brille l’écriture déliée d’Ellis Jones.
Avouons qu’on était passé jusqu’ici à côté de la musique de Trust Fund, groupe à l’effectif fluctuant réuni à partir de 2012 autour du Britannique Ellis Jones, basé à Bristol. Il est vrai que ses enregistrements n’étaient pas forcément très faciles à trouver – et encore fallait-il être au courant de leur existence. L’album de 2018 “Bringing the Backline” avait ainsi été publié en vinyle par le groupe lui-même, et en cassette par le microlabel français Tiger Bay ; autant dire qu’il n’avait pas dû être en tête de gondole dans les grandes enseignes culturelles même s’il avait été remarqué par plusieurs médias anglo-saxons. Tout est cependant disponible sur les sites de streaming, et l’on découvre rétrospectivement une bedroom indie pop lo-fi, parfois un peu noisy ou teintée d’electro (désolé pour le défilé d’anglicismes), pas forcément inoubliable mais toujours alerte et plaisante.
Cette aventure confidentielle aurait d’ailleurs dû en rester là. Juste après la sortie de “Bringing the Backline”, le chanteur et auteur-compositeur du groupe est parti en Norvège pour entamer à la trentaine une carrière universitaire (il vit maintenant au Canada), mettant de fait fin à Trust Fund. Difficile de dire s’il avait décidé d’arrêter définitivement la musique et s’il a changé d’avis, ou s’il envisageait seulement un long break.
Toujours est-il qu’un nouvel album du (faux) groupe, opportunément intitulé “Has It Been a While?” – c’est aussi le titre de l’avant-dernier morceau –, vient de paraître sur le label allemand Tapete, ce qui devrait offrir à la musique d’Ellis Jones une diffusion plus large. Et ce ne serait que justice, tant ces nouvelles chansons révèlent un songwriter au sommet, qui semble prendre ici un nouveau départ même si l’on ne saurait présumer de la suite.
Le changement d’esthétique (annoncé par une poignée de chansons diffusées en ligne en 2022-2023) est évident dès les premiers arpèges de guitare classique de “Leaving the Party Early”, le morceau d’ouverture. Jones a débranché les amplis, calmé le tempo et opté pour une pop aux accents folk, ou un folk aux accents pop, sur ces douze morceaux concis (la moitié ne dépassent pas les trois minutes) et infiniment gracieux, dont les mélodies vocales éblouissantes – malgré un registre limité – restent en tête après seulement quelques écoutes. Des arrangements pour quatuor de cordes d’une grande finesse ajoutent encore de la noblesse à l’ensemble, en évitant toujours l’écueil du chichiteux qui peut guetter ce genre d’entreprise.
Si l’album affiche une belle cohérence sonore, il réserve quelques surprises qui déjouent le risque de monotonie : la voix de Celia MacDougall du groupe Radiant Heart (auteur pour l’instant d’un unique album, en 2020) sur le duo “The Mirror”, dont l’émouvante fragilité fait écho à celle d’Ellis Jones ; une trompette sur “I Look For Him” ; des effluves bossa sur le morceau titre ; et de nouveau une voix féminine (celle de Celia, encore ?) sur celui qui clôt le disque, “One Calendar Year”.
L’ombre de Nick Drake et de son génial arrangeur Robert Kirby plane inévitablement, un peu trop grande peut-être ; les Kings of Convenience, le Ben Watt de “A Distant Shore”, le Colin Blunstone de “One Year” ou le Belle and Sebastian des débuts seraient des références mieux calibrées. D’autres noms d’artistes et formations aimés, voire adorés, viennent à l’esprit au fil des écoutes : The Clientele, Blueboy, The Lilac Time, Fantastic Something, Harvest Ministers, John Cunningham, Harvey Williams… Une confrérie discrète d’orpailleurs du vague à l’âme, dont Trust Fund mérite assurément de devenir membre avec ces chansons qui nous tiendront chaud cet hiver.