Compte rendu de deux jours de concerts en plein centre d’Orléans, faisant la part belle à des groupes et artistes émergents, d’ici et d’ailleurs.
Le festival Hop Pop Hop a pour particularité de se dérouler dans divers lieux du centre-ville d’Orléans. Cette année, ils sont au nombre de trois et très proches les uns des autres : le Campo Santo (*), à l’intérieur duquel a été adjointe cette année une deuxième scène appelée Micro Campo ; le jardin de l’Evêché, derrière la cathédrale ; et l’Institut, salle utilisée la majorité de l’année pour des concerts classiques, seul lieu intérieur et dédié lors du festival à des prestations souvent plus calmes et intimistes, le public assis sous de magnifiques lustres et les musiciens sur une scène formant un grand demi-disque cerné de miroirs.
Vendredi 15 septembre
Le festival commence le vendredi par le rock psyché-dada des montréalais Hippie Hourrah. On remarque surtout le look du chanteur, avec un short en lamé, ainsi que des titres assez étirés, mais comme ils sont reprogrammés moins d’une semaine après à Orléans on ne verra que deux morceaux qui ne permettent pas de rentrer complètement dans le concert.
Car on doit filer au Jardin de l’Evêché pour les touaregs Etran de l’Aïr, venus du Niger (ouf, ils ont pu
arriver malgré la ministre des Affaires étrangères), et se présentant en tenues d’un bleu superbe. Avec des titres plus enjoués que ceux de la plupart des groupes touareg, mais des points communs (en particulier la guitare principale, souvent jouée en « solo » même hors des solos), ils enthousiasment de bout en bout le public présent. Premier grand moment du festival.
Changement de style avec le rappeur nordiste Ben PLG, qui se démarque par la présence d’un guitariste sur scène en plus du DJ, et par plusieurs titres où les paroles, le flow et la musique sont imprégnés d’un véritable spleen – moments les plus intéressants car une émotion se dégage, dommage que soient aussi présents dans le set des morceaux plus ordinaires.
A l’Institut, les chansons très calmes et chantées en italien de Radio Hito, projet solo féminin, jouées
d’abord sur un superbe piano Steinway et apprivoisant le silence, donnent l’impression de faire le grand
écart sans entraînement et on a du mal à y rentrer dedans au début – d’autant qu’elle-même semble éviter le regard du public durant cette première partie. Mais la sensibilité et les changements de tonalité inattendus en plein morceau finissent par nous toucher. Pour la deuxième moitié du set, Zen My Nguyen s’assoit sur le bord de la scène avec un synthétiseur sur les genoux, et si le son change, le rythme, non, et l’émotion est toujours là.
Nouveau grand écart avec Gilla Band, et bouchons d’oreilles nécessaires. Mais plus que les compositions post-punk très déstructurées et bruyantes, c’est l’interprétation qui impressionne, à la fois celle de chaque musicien et le dialogue musical pouvant se nouer entre eux. Si la batterie constitue la colonne vertébrale de l’ensemble, le guitariste, qui ne cesse de faire des allers-retours entre le devant et le fond de la scène, joue souvent « free », et le bassiste peut sortir de son rôle rythmique pour faire également des expérimentations bruitistes, utilisant même un pot de yaourt en verre en guise de bottleneck.
Nouveau tour à l’Institut, rempli à ras bord pour la pop-folk de Back and Forth. Si le public semble conquis par le trio d’Argenton-sur-Creuse, et même si l’interprétation est plutôt satisfaisante, les compositions sont trop mainstream pour nous séduire.
Retour au jardin de l’Evêché et à l’Afrique avec les Nana Benz du Togo. Les trois chanteuses, dont une
au synthétiseur, sont accompagnées par deux percussions entièrement « recyclées » : d’un côté, fait-tout, bidons plastiques, boîtes métalliques et vieille valise, de l’autre de grands tuyaux en PVC qui semblent avoir été rentrés de force et du coup pliés dans une grande boîte rectangulaire, le musicien posant alors sur les extrémités des tuyaux des sortes de tongs qui donnent une résonance avec une tonalité originale, entre basse et percussion. Les chansons, interprétées alternativement par les trois chanteuses ou ensemble, et en différentes langues, sont jouées à un rythmé effréné, et difficile, même en fin de soirée, de ne pas bouger. Les paroles, expliquées entre les morceaux, évoquent la nature, le vaudou, mais aussi souvent la condition féminine en Afrique et le patriarcat qui y règne, et militent pour une liberté complète de la femme africaine, y compris celle de ne pas se marier et de ne pas avoir d’enfants si c’est ce qu’elles veulent.
Nouveau moment enthousiasmant du festival, les programmateurs ayant particulièrement bien choisi les groupes africains invités.
(*) Le Campo Santo, qui ressemble à un grand cloître, est à l’origine… un cimetière. Donc les artistes et le public sont au-dessus de squelettes, ce que même les Orléanais oublient dans un événement tel que celui-ci…
Samedi 16 septembre
Les hostilités démarrent dès 16h30 à l’Evêché, sous un (trop) chaud soleil. On découvre les six Rochelais anglophones de The Big Idea, qui chantent chacun à tour de rôle et s’échangent les instruments (beaucoup de guitares) dans une ambiance détendue. Ces originaux ont enregistré leur dernier album “The Fabulous Expedition of Le Grand Vésigue” sur le bateau du même nom avec lequel ils ont traversé l’Atlantique, et qui a inspiré les chansons… Fans du groupe psyché australien Pond, ils peuvent aussi rappeler King Gizzard dans l’esprit. C’est sympathique, frais et souvent inattendu, mais il manque quelques morceaux vraiment mémorables pour emporter totalement l’adhésion.
On part un peu avant la fin pour voir les trois Genevoises d’Alice à l’Institut. Une sorte de mini-chorale féminine avec un synthé cheap joué à deux doigts et des chansons faussement naïves qui, derrière leur aspect candide, portent un regard acéré sur notre société (mention spéciale à la très drôle “La Fête nulle”). Les trois Suisses semblent se concerter entre les morceaux – voire pendant ! –, sans qu’on sache trop si c’est un jeu ou pas. Ce minimalisme et cet amateurisme revendiqué pourraient être simplement plaisants, mais c’est une vraie émotion qui nous saisit devant une musique aussi simple et pure.
Au Campo Santo, David Walters et ses deux musiciens livrent leur « soul tropicale » (titre du nouvel album, sans « e » à la fin) qui groove joliment entre Afrique, Antilles et Brésil. Le son est un peu plus brut que sur disque mais on regrette quand même que le groupe ne soit pas plus étoffé : des percus et une section de cuivres, par exemple, donneraient sans doute une belle ampleur à l’ensemble.
On repart après quelques morceaux à l’Evêché où les quatre Mancuniens de Maruja s’éclatent. De la musique produite dans leur ville, longtemps le centre névralgique du rock anglais, ils semblent avoir retenu les expressions les plus défricheuses et expérimentales. Avec ses passages à la limite du rock fusion, sa rythmique en roue libre et son saxophone volubile, leur étonnant mélange est à réserver aux estomacs solides. Mais difficile de rester indifférent à la puissance du quartette, visiblement ravi d’être là et attaché à établir le contact avec le public.
On part ensuite écouter un groupe dont le nom nous est un peu plus familier, mais dont on connaît peu la musique et qu’on n’a encore jamais vu en live : les Rennais synth cold de Gwendoline, sur la scène circulaire Micro Campo. Le duo de chanteurs/parleurs Pierre et Micka – qui n’imaginait pas faire de la scène au départ, ni même sortir un album – est augmenté d’un guitariste et d’un clavier. Si les rythmiques électroniques font bouger le public, on ne peut pas dire que leurs chansons soient très festives, chroniques désabusées de la lose, du chômedu et de l’ennui qu’on essaie de tuer devant une bière dans un rade plus ou moins miteux, ou cris de rage froide face à la gentrification de leur ville. C’est cru, mollement teigneux, d’un cynisme sincère et résigné. Malgré l’impression d’avoir déjà entendu ça, en mieux (Programme, Bruit Noir) ou en moins bien (Fauve), on est peu à peu séduit par cette absence de pose et de calcul, cette expression sans filtre. Comme cette reprise aussi tendue qu’inattendue de “Pas assez de toi”, l’un des meilleurs morceaux de La Mano Negra, débarrassé de son folklore alterno et rendu à sa noirceur.
Le chanteur de Maruja avait conseillé au public de voir leurs amis de Gurriers qui jouaient une heure après eux sur la scène de l’Evêché. On y retourne donc, et on se prend une des plus belles baffes de la journée. Musicalement, pourtant, rien de fondamentalement nouveau, comme un mélange d’Idles, Fontaines DC, Sleaford Mods (en version guitare-basse-batterie) avec une pincée de Pixies dans la dynamique sonore et le chant parfois hurlé. Mais sur scène, ces jeunes Dublinois qui n’ont pas encore sorti le moindre disque (leur musique s’écoute seulement en ligne pour l’instant) ont une force de frappe redoutable, grâce notamment à un chanteur charismatique et véhément, qui ne relâche jamais la pression. Le public est à fond, et les membres de Maruja ne sont d’ailleurs pas les derniers à pogoter ! On va sans doute vite entendre reparler de Gurriers (dont a par ailleurs revu les membres le lendemain en terrasse d’un restaurant indien d’Orléans, nettement moins à cran que sur scène).
Changement d’ambiance sur la scène de l’Institut avec Borja Flames et ses trois musiciens (deux joueuses de synthés et un batteur), à l’instrumentarium essentiellement électronique. Mais pas de revival synth pop ici, plutôt une sorte de folk inclassable, un brin tribal dans ses percussions mais plutôt doux dans ses sonorités, chanté en espagnol. On pense à l’Argentine Juana Molina, et si les morceaux à la fois linéaires et sinueux de Borja Flames ne nous transportent pas tout à fait autant, ce concert joué dans une semi-obscurité finit par nous captiver.
Retour à l’Evêché pour Ada Oda, un groupe bruxellois qui pratique un rock indé nerveux et accrocheur dans la lignée d’autres formations belges apparues ces dernières années, interprété en anglais ou (plus original) en italien. La chanteuse Victoria (dont on apprendra plus tard qu’elle est la fille de… Frédéric François !), à la voix légèrement éraillée, est charismatique, les musiciens – dont César Laloux qui a joué dans The Tellers et BRNS – sont au taquet, et si la musique n’est pas forcément d’une immense originalité, elle est suffisamment bien fichue pour faire passer un bon moment au public, plus nombreux que dans l’après-midi.
Les ayant déjà vus deux fois à Paris, on attendait le meilleur de Dame Area sur la scène Micro Campo. Et c’est bien ce que nous a offert le tandem barcelonais qui commence à être habitué aux scènes françaises, y compris dans des petites villes. Tout en livrant une véritable leçon d’engagement et de radicalité, Silvia et Viktor auront réussi à faire danser un public qui, on imagine, les découvrait dans sa grande majorité, et dont une bonne partie était déjà sérieusement entamée en cette heure tardive (23h). Pourtant, leurs influences sont moins à chercher dans la house ou la techno que dans la brutalité de l’EBM et les expérimentations early 80’s du rock industriel, qui connurent d’intéressants développements en Espagne.
Si Dame Area se contentait d’offrir un simple décalque de cette musique, cela n’intéresserait sans doute que quelques nostalgiques en long manteau noir, mais le duo la revitalise, lui redonne toute son urgence. Leur maitrise parfaite de leur petit atelier électronique leur permet d’enchaîner tous les morceaux sans jamais laisser retomber la pression, et les bains de foule de Silvia la feront encore monter d’un cran. L’heure de concert terminée, les deux excités redeviennent des jeunes gens affables et souriants, contents de discuter avec quelques spectateurs au stand de merch. Sans doute l’un des plus grands moments de ce Hop Pop Hop, qui se conclut en apothéose en nous donnant très envie de revenir l’an prochain.
Introduction et textes et photos du vendredi : Gilles Ferté.
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