Pour sa deuxième édition, le ADK Festival nous a encore offert un très beau plateau, faisant d’une commune de Normandie le point de jonction entre pop, folk et rock, France et musiques anglo-saxonnes. Petit compte rendu en textes et images.
A 17h30, c’est l’ami Olivier Rocabois qui lance les hostilités, accompagné des quatre musiciens (Jan Stumke, Guillaume Glain, Rémi Alexandre et François Dorléans) avec lesquels il se produit depuis quelque temps déjà et dont on avait déjà pu apprécier la belle cohésion une semaine plus tôt à l’International, à Paris. A Conches, le public n’est pas tellement plus fourni en cette fin d’après-midi, mais il a davantage d’espace et un cadre nettement plus champêtre. Vêtu d’un costume et d’une chemise à jabot du meilleur effet, Olivier présente avec son humour habituel leur prestation comme un « apéritif » avant les concerts d’artistes un peu plus connus, mais celui-ci est plutôt roboratif : le quintette joue en effet une bonne heure, mêlant les highlights de l’album “Goes Too Far” et du EP “The Pleasure Is Goldmine” à quelques deep cuts plus anciennes. Une excellente entrée en matière, qui aura autant séduits les quelques spectateurs familiers de ses chansons (et de sa démesure scénique) que ceux qui les découvraient.
Lui aussi accompagné de quatre musiciens (dont un violoniste très présent), Johan Asherton, qui joue assis, n’a peut-être pas une présence aussi flamboyante, mais peut se prévaloir d’une carrière de plus de 40 ans émaillée d’albums importants même s’ils n’a jamais récolté qu’un succès d’estime. Le plus anglais des chanteurs français, qui ne manque pas d’autodérision, interprète d’une voix grave des extraits de son dernier album en date, “Passiontide” (2020) ainsi que des morceaux plus anciens et une reprise de Roxy Music, “Take a Chance With Me”. La finesse d’écriture de ces ballades folk-rock et la qualité de l’interprétation nous emportent et nous font oublier le froid qui gagne à l’approche de la tombée du jour (ou de la nuit, pour faire référence à l’une des chansons du set, “Nightfall”).
Une demi-heure plus tard, alors qu’on fait la queue pour se sustenter à l’un des food trucks, l’imprévisible et inclassable Brisa Roché commence son concert seule à la guitare sur une scène qu’elle a transformée en lounge ou en boudoir. De loin, on reconnaît la chanson de “Grease” qu’elle parvient à transfigurer. Le concert, qui semble parfois à moitié improvisé, sera ainsi riche en reprises de standards, que l’Américaine installé depuis longtemps en France interprète en duo avec une chanteuse qui l’a rejointe (Little Ellen), puis en trio avec une pianiste de jazz (Ramona Horvath). Sans prétention, l’ensemble a beaucoup de personnalité, de charme et de piquant.
C’est en grande partie pour lui qu’on était venu, et il n’a pas déçu. Ex-Shiva Burlesque et surtout Grant Lee Buffalo, Grant Lee Phillips est rare sur nos terres bien qu’il aime apparemment beaucoup la France où il a encore des fans fervents qui n’ont pas oublié le petit tube “Fuzzy” et d’autres merveilles. Le Californien sera le seul artiste de la soirée à se produire en solo, mais ses compositions sont suffisamment solides pour qu’il puisse se passer d’accompagnateurs. On sent le troubadour habitué à jouer dans des petites salles ou des bars, mais tout aussi à l’aise sur une grande scène en extérieur. La voix, chaude, superbe, n’a quasiment pas bougé en trente ans même si le chant est sans doute plus apaisé, “Jupiter and Teardrop” ou “Honey Don’t Think” sonnent toujours comme des classiques intemporels, et leur interprète donne l’impression d’être le gars le plus sympa et enthousiaste de la terre – et pour l’avoir croisé backstage après le concert, goûtant avec modération quelques productions locales, on n’est pas loin de la vérité. On aurait bien repris un peu de rab, mais ces 50 minutes sans temps morts (conclues par une cover de “Come and Get Your Love”, tube feelgood de 1974 du groupe Native American Redbone) avec un songwriter de premier ordre auront parfaitement réussi à nous faire oublier le froid.
Nos souvenirs des Raveonettes, groupe danois anglophone qui avait débarqué il y a un peu plus de 20 ans, parfaitement synchrone avec le “retour du rock”, datent à peu près de cette époque, et si leur dernier album remonte à 2017, il faut bien avouer qu’on avait perdu leur trace depuis nettement plus longtemps. D’où la bonne surprise de les retrouver en clôture du festival, pas trop marqués par les ans, contrastant nettement avec le reste de la programmation par leur son résolument électrique même si les décibels n’étaient pas franchement poussés dans le rouge. Le quartette formé autour de Sune Rose Wagner (chanteur et guitariste) et Sharin Foo (chanteuse et bassiste) s’est sans doute assagi, mais son mélange de rock garage, pop sixties, bubblegum et shoegaze est toujours aussi efficace. Même si la succession de morceaux assez brefs (18 en un peu plus d’une heure, quand même) a un peu tendance à casser le rythme, l’ensemble s’avère parfaitement jouissif. La playlist pioche essentiellement dans les deux premiers albums, “Whip It On” (plutôt un gros EP en fait) et “Chain Gang of Love”, y ajoutant quelques titres ultérieurs parfaitement choisis comme le diabolique “Love in a Trashcan” ou la magnifique ballade presque folk ”The Enemy” dont les couplets sont chantés par Sharin seule (le duo harmonise sur la quasi-totalité des morceaux). De belles retrouvailles qui refermaient avec classe cette deuxième édition qui n’en aura pas manqué.
Un grand merci à Vincent Rouen et à toute l’équipe du festival pour leur accueil.
Photos par Christophe Cario (sauf photo d’ouverture de Grant Lee Phillips par V.A.).