“Time Before Land” est un petit bijou de production étrange. Du rock lo-fi nimbé dans une contre-production, une anti-superprod qui évoquerait un My Bloody Valentine du pauvre, un brouillard volontairement dévoilé. C’est presque une esthétique nouvelle, écartelée entre les canons du genre : la naïveté des uns, la multiplication des filtres des autres. De la pop cubiste.
On retrouve dans Mushfoot un peu ce qu’on nous a vendu il y a quelques années comme de la hypnagogic pop ou des références plus anciennes comme le rock rétrofuturiste de Broadcast, la shoegaze pop et le meilleur des productions lo-fi mélodiques, des Pastels à Young Marble Giants. Le lit des références étant fait, on peut maintenant aller se vautrer, réjouis, dans l’écoute de ce jeune trio new-yorkais qui n’est pas du tout là pour étaler sa science et faire œuvre mais plutôt pour s’amuser follement.
D’ailleurs, rien n’est sérieux : ni le nom du groupe ni le titre (et la pochette) faisant référence à Land Before Time de Don Bluth (le concurrent de Walt Disney pré-Pixar). On a les cœurs et l’amour passés à la machine (un Souchon shoegaze) sur “My Shrinking Heart”, bluette pop entre Television Personalities, Magnetic Fields et anorak pop mais en mode camouflage-tie and dye.
“Stay on It” évolue sur un rythme (très) lourd et pourtant cotonneux, avec stridences de guitares schizophrènes en arrière fond. C’est de la dark pop, électronique et rockeuse avec un final hypnotique.
“Time Before Land”, la chanson-titre, est de la folk-pop flûtée, parasitée par des échos, des grattouillis.
Tout le travail mélodique est sapé, relevé, en fait, par des effets de production obliques. Que ce soit la batterie grisâtre en fond sur “Nobody Can Show You”, nimbé au premier plan par des guitares fuzz fantomatiques dont il ne reste presque qu’un souffle aigre à peine rehaussé de claviers grêles, ou encore “We Knew” qui serait résolument pop si ce n’était les embruns multicolores qui filtrent des restes d’échos perdus dans un mix étonnamment profond.
Il y a du cadavre exquis dans la fabrication de ces titres mal fagotés, terriblement efficaces, de punk sale et pourtant plein de couleurs chatoyantes presque psyché jouant autant de l’organique que de l’électronique. Pas étonnant que ces titres trafiqués aient atterri dans les mains de John Dieterich de Deerhoof qui les a finalement masterisés et transmis aux manitous de Moone Records, comme de juste.
On n’est pas surpris, en effet, que ce délicieux premier Mushfoot se retrouve sur la planète Moone, hébergeurs de talents. D’ailleurs, il y a aussi dans ce disque pas mal de Helvetia, ex-Duster et Built To Spill, également chez Moone pour un “Fantastic Life” d’anthologie. Allez voir, ils viennent d’ajouter à leur longue liste de collaborateurs Markus Acher et le supergroupe Spirit Fest (joignant The Notwist aux Japonais chouchous de Tenniscoats). Ces gars-là ont la passion et elle est communicative. Pour en rester à Mushfoot, Dinosaur (et castors) Jr d’aujourd’hui, les 150 cassettes risquent de partir bien vite et de rapidement devenir cultes. On vous aura prévenus.
Avec l’aide de Johanna D., little dinosaur
“Time Before Land” est sorti en cassette le 15 octobre 2022 chez Moone Records.