Pot-pourri d’influences et jeu de massacre à demi réussi. La Blind date devait « matcher » à 200 % grâce aux algorithmes mais au jeu de la rencontre tant attendue, on s’est finalement lassé en présentiel.
C’est l’histoire d’un naufrage, d’une rencontre de la dernière chance qui tourne mal. Non pas celle de la vraie fausse rencontre musicale de Bill Callahan & Bonnie “Prince Billy” mais de l’opération de la dernière chance d’un label aux prises avec un modèle économique auquel il croyait pouvoir s’allier quand celui-ci in fine n’est fait que pour le broyer.
Cette rencontre discographique au sommet aurait dû nous émoustiller, elle nous lasse. Pourquoi ? Sans doute parce qu’au fond, elle tente dans sa forme de coller au picorage et à la saturation du marché musical.
Les deux grandes voix de l’alt country-folk, héritiers des outlaws baignent dans un business malsain, ça leur colle aux basques et poisse leurs chansons. On a l’impression d’un cas d’école traité en première année de business school par les cancres du dernier rang. On prend toute la promo de Drag City en adjuvants de studio, on réalise une vidéo arty pour chaque titre lancé au compte-gouttes sur les plateformes et réseaux sociaux pour s’assurer les vues puis on vend le tout dans un beau paquet pour les fêtes de la Noël. Emballez, c’est pesé.
Et pour être sûr de la qualité, on pioche dans un catalogue de chansons, calibrées authentiques (toute la gamme de l’outlaw country), rouerie moderne (Billy Eilish) ou encore chez les parrains indéfectibles (Cat Stevens, Cohen, Wyatt, Iggy Pop, Lou Reed…) sans compter les galéjades (Demis Roussos) ou les marottes improbables soulignant les allers retours des uns et des autres dans des terrains a priori étranger à leur champ (reprise de Steely Dan qui renvoie au superbe album de Bonnie Billy avec Tortoise).
Alors oui, entendre nos Starsky & Hutch de la country folk indépendante chanter de concert comme dans une réunion d’anciens combattants à Las Vegas est certes magnifique mais la fête est gâchée par des appétits mafieux sur les bords. Ça sent l’argent sale, la collaboration et on n’a pas envie de payer son écot. D’ailleurs, je ne suis pas sûr que ça marche. La machine à vues est en route, sûr, mais je doute des rentrées de fonds. Cet album est un symptôme. Circulez, y a rien à voir.
Ou presque… Pour les curieux, petit safari chanson par chanson, à grignoter comme un apéricube, un soir d’ennui de réunion de famille (après tout, c’est Noël).
En fin d’article, une liste de lecture vous permettra d’enchaîner les originaux. C’est vraiment déjà Noël.
“Blackness of the night” (feat Azita)
Un titre un peu laidback de Yusuf Cat Stevens (« New Master » en 1967), un peu kitschouille avec les claviers mis en avant. On se croirait dans un titre de Noël, fragile et bancal. Bon…
“OD’ed in Denver” (feat. Matt Sweeney)
Outre l’immense texte, ce sont les reliefs de Sweeney sur la chanson soufrée de Hank Williams Jr de 1995 qui relève le plat. Sweeney est un génie discret, il suffit d’un rien, la voix de Callahan faisant le reste avec un BPB qui joue les aigus par sa voix souffreteuse. Magnifique.
“I’ve made up my mind” (feat Alasdair Roberts)
Là encore c’est la magie du go-between qui lie la sauce et permet de renouer le country avec la musique folklorique anglo-saxonne. On sonde l’histoire, le réseau des influences, on baigne dans le gospel bien huilé sur ce titre de Dave Rich des années 60.
“Red Tailed Hawk” (feat. Matt Kinsey)
Un titre de Kate Folk, prêtresse à long cheveux du genre. Billou s’y love fastoche, on dirait presque une composition du maître en personne (qui a dit “Blood Red Bird” ?).
“Wish you were gay” (feat, Sean O Hagan)
On flirte avec le funky égrillard pour une reprise de Billie Eilish. Marrant. Ah mais oui la reprise drôle du titre de la jeune cool qui, que, enfin quoi.
“Our Anniversary” (feat Dead Rider)
Bonnie chante Smog (« Supper », 2003), crade, lourd et charbonneux comme du grunge 90ies, un peu putassier aussi, bien dans ses fondamentaux en tout cas. Mais la voix de Bonnie surnage et sautille au-dessus. Allez, c’est pas mal.
“Rooftop Garden” (feat George Xylouris)
La country prog de Lou Reed, période « Legendary Hearts » (1983) donc, tournée en folk psychédélique (chercher du côté des incursions de BPB chez les Bitchin Bajas). Il s’agit de prendre les choses à revers en faisant écho au texte (Loulou en époux aimant). Si en plus on pense aux Beatles dans l’ashram, c’est bonnard. Jai Guru Deva om…
“Deacon Blues” (feat Bill Mackay)
Bill reprend Steely Dan sur « Aja ». Faut être un peu tordu ou touché par la grâce pour aimer Steely Dan. Plaisir de l’âge et de la prise de ventre.
Pour nous c’est donc encore un (en)bon point. Superbe texte charnu de Fagen qui colle aux aspirations storytelling de Callahan. La voix de Bonnie qui s’amène sur le refrain illumine le tout. C’est chouette mais la greffe est moyenne. On préfère les plaisirs des uns et des autres séparés. Steely Dan d’un côté, les approximations (savantes) de guitare de l’autre.
“I Love You” (feat David Pajo)
Jerry Jeff Walker est encore un beau numéro country (« Ridin’ High », 1975, Belle Époque seconde période) et Bilou a une voix très proche de la sienne (même si pour le coup c’est Bonnie qui s’y colle). C’est une belle chanson d’amour et Pajo (l’ami retrouvé) ne fait pas le malin, bien droit dans ses tiags et dans son jus BBQ.
“Sea Song” (feat Mick Turner)
La reprise de Robert Wyatt (« Rock Bottom », 1974) qui rappelle, pour nous pauvres frenchies, la non moins superbe des Married Monks.
Reprise en ébriété, colorée comme des paillettes de sperme de baleine.
“I’ve been the one” (feat. Meg Baird)
Le titre est de Lowell George sur « Little Feat » (1971), chantre du rock sudiste, et ex-Mothers of Inventions de Zappa tout de même, mort d’une overdose de cocaïne en 1979.
Callahan nous la joue vraiment crue, sans fard. Ce n’est pas la peine d’en rajouter, il est vrai.
“Miracles” (feat Ty Segall)
Callahan recouvert d’un trifouillis de guitares et sax détraqués pour une reprise de Johnnie Frierson, du rayon soul gospel, notamment dans l’écurie Stax Records. On trouve ses cassettes ressorties en 2012 chez Light in the Attic (garantie qualité). Un choix tout à fait évident, pour un titre tout à fait Callahanien dans le fond et la forme. L’original est un petit bijou (il sera en bas de page dans la playlist mais on ni résiste pas à vous le donner de suite, cliquer là).
“I Want To go to the beach” ( feat Cooper Train)
Callahan à la manœuvre sur un reggae folk bidouillé pour une reprise d’Iggy Pop, album « Préliminaires » (2009) inspiré par La Possibilité d’une île de Michel Houellebecq (qui a dit indigeste ?). Là encore on joue les grands écarts, Iggy faisait le vieux sage sans grimaces, ici, on dubbe à tout va, chaloupe à souhait. On retrouve le Callahan lumineux et aventureux de « Woke on a whale heart » (2007). Bien vu l’aveugle.
“Night Rider’s Lament” (feat Cory Hanson)
Cover écrite par Michael Burton encore chantée par Jerry Jeff Walker, toujours sur le « Ridin High » de 1975.
Callahan est dans son élément mais avec une instrumentation country typique Billy, qui lorgne un peu sur les CSN&Yries, avec pedalsteel, chœurs et cie.
“Arise Therefore” (feat. 6 Organs of Admittance)
Reprise du berger chez la bergère (et vice et versa). Avec un Callahan perturbé par un Chasny assez joueur dans le genre de son dernier opus, à la fois lo-fi et machinique, cherchant les aspérités rythmiques, les potards tournés grossièrement. C’est ludique et efficace. Il fallait bien ça pour ne pas tomber dans l’hôôômmage.
“The Night of Santiago” (feat David Grubbs)
Cover de Leonard Cohen sur son dernier album « Thanks for the dance » (2019). Influence d’un poème de Llorca, La casada Infiel.
Bonnie avec Callahan en chœurs à la Laurie Anderson. Bien vu chéri. Quelques claps, une guitare élégante et minimale, une petite atmosphère qui tangue entre le lo-fi, la couleur locale, la musique contemporaine expérimentale pas trop dérangeante. Le titre fait la part belle au texte et l’honore musicalement sans trop de chichi. C’est un des bons titres de l’album.
“The Wild Kindness” (feat Cassie Berman)
Featuring Cassie Berman mais en fait tout le toutim Drag City. Que dire… outre que la chanson de David Berman des Silver Jews est un chef d’œuvre (« American Water », 1998) et que de retrouver tout le gratin fait plaisir mais bon… trop c’est trop.
Une fois la sauce retombée et qu’on prête (daigne prêter) attention à la production, on se dit que finalement, c’est Ben Chasny, une fois de plus, qui fait le job en salopant le tout avec sa nouvelle manière, décomplexée quant aux effets et à la guitare et qui donne de l’épaisseur avec des claviers étranges et des nappes assez singulières.
Les autres font les singes et vident par leur interprétation toute la beauté de la chanson. C’est triste à dire mais c’est à fuir.
“Lost in Love” (feat Emerett Kelly)
Reprise de Demis Roussos sur « Man Of the world », 1980 (inclue une reprise de “Je suis malade” de Serge Lama… pour donner une idée du truc).
Le duo d’amour alors. La perle dénichée dans la poubelle. L’ironie… ah oui l’ironie…
Les deux voix s’emmêlent sur de la contrebasse, alors oui, c’est beau mais bon… C’est un peu lassant comme exercice… On touche aux limites du truc déjà atteintes depuis longtemps. Pour plus de consistance dans le genre, on retournera à « Francis et ses peintres » de Philippe Katerine. Ça avait plus de gueule. Et c’était fran-çais !
“She’s my everything” (feat Sir Richard Bishop)
Reprise de John Prine, country folkeux décédé en 2020 à l’âge de 70 ans des suites du co-vid.
Billy et Bishop s’aventurent sur les terres de James Yorkstone, avec ses reflets boisés, ses cuivres et bois chaleureux.
“Kidnapped by Neptune” (feat Hamerkop)
Cerise sur le gâteau, hors album (mais y a-t-il vraiment album ?), une reprise de « Kidnapped by Neptune » (2005) de Scout Niblett. Là encore, notre amour indéfectible pour la porteuse de perruque n’est plus à prouver mais le titre manque de la folie de la petite scout. Oubli inavouable ou (et ?) rappel du duo avec le Prince pour “Kiss” en 2007 ?
On est toujours sans nouvelles discographiques d’Emma Louise… La dernière fois, c’était pour l’énorme « It’s Up to Emma » en 2013, elle arborait une tenue de Blanche Neige pour peut-être son meilleur titre, ever. Devra-t-on booker une séance de lecture astrologique personnalisée pour voir la fin du tunnel ?
On abandonne la rudesse de la batterie et les griffures de guitare pour une amusante pochade électronique. On perd toute l’énergie, centrale chez Scout, pour tomber dans l’esprit presque parodique. C’est un choix demi-heureux tout à fait à l’image du disque…
Voilà le tour du manège est complet. Retour à l’écurie…
« Blind Date » est sorti le 10 décembre 2021 chez Drag City avec tout un tas de bundles irrésistibles (le cache-yeux) disponibles pas avant janvier.
Avec l’aide de Johanna D, riding for the feeling.
Playlist des originaux sur YouTube :