En cette année commémorative des trente ans de “Nevermind” (Le Monde, Les Inrocks…) et des vingt de « Is This it » des Strokes (POPnews), on pourrait, en trichant un peu, célébrer les trente années de non-carrière d’Eggstone, séminal groupe indie pop suédois ayant pavé la voie vers les étoiles du « First Band on The Moon » : The Cardigans.
Eggstone, c’est 3 albums : « Eggstone in San Diego » (1992), « Somersault » (1994) et « Vive la différence » (1997), une poignée de singles, quelques concerts et puis basta ! Un succès critique évident, quelques compilations en outre-Scandinavie dont “Ça chauffe en Suède” chez les Français de Tricatel. Puis, l’évanouissement dans la nature…
Eggstone, c’est aussi un savoir-faire pas perdu pour tout le monde puisque les membres du groupe fondèrent chez eux à Malmö les Tambourine Studios, d’abord pour leur propres productions, qui servirent à lancer Bob Hund (cultissime et relativement populaire en Suède… uniquement), The Cardigans donc, mais aussi, pour ne citer que leurs compatriotes connus par chez nous, Peter Björn & John et autres groupes à succès à la The Hives… On leur doit également des petites gemmes dont nous avons souvent parlé ici (Vit Päls et Laser & Bas).
Pour les suédophones ;), cette émission de TV de 1997 montre Eggstone en pleine gloire, en studio (doutant même du son « Tambourine ») et en session concert pour la téloche.
Eggstone reste le trésor national, d’autant plus choyé qu’il est resté, c’est le comble, confidentiel. Aussi incroyable que cela puisse paraître, alors que le groupe ne s’est reformé que sporadiquement (en 2017 pour un trio de dates ?), il reste des places à vendre le soir même alors que le groupe joue au cœur de Stockholm, au parc en plein air de Stockholm, sur la scène de baloche de Galejan, pur jus de sapin et ce, alors que le concert prévu l’an passé (pour commémorer le premier simple “Bubblebed” en 1990 ?) avait été annulé/déplacé pour cause de pandémie. De tout cela, Eggstone n’a que faire : ils sont à des années-lumière de la staritude et ne cherchent visiblement qu’à se (et nous) faire plaisir. Ouvrons l’album aux souvenirs…
Bien avant de nous exiler à Stockholm, lors de nos longs périples en bagnole en Suède, on n’emportait que quelques produits du cru en cassettes : Herman Düne, Jens Lekman et Eggstone qui devaient nous mener sur des chemins inédits comme à Garberg, Dalarna pour voir les maisons séculaires récupérées par le peintre Anders Zorn ou suivre, toujours en voiture, le tram n°7 (… to heaven) à Göteborg pour trouver l’adresse en banlieue de Jens Lekman (Kortedala, kalendervägen 113.D, pour ceux qui ont le CD bonus). Chemins inédits et expériences interdites comme boire du Zingo à un Drive-In Bingo (fait) ou manger du chocolat de la marque Marabou, en hommage à la chanson d’Eggstone, “Marabous”, et s’apercevoir, à regret, que comme pour le Zingo (sous-Fanta local), le Marabou, c’est de la camelote…
Dans mon parcours-suivi personnalisé, au rayon joies discophiles, trouver, il y a plus de 15 ans, la réédition vinyle de “Somersault” de 1997 (sur le propre label d’Eggstone, Vibrafon) dans un magasin du quartier bobo de Göteborg, Haga, m’avait alors comblé de joie. Sot que j’étais : pour le clampin suédois de base, Eggstone, pas plus que Bergman, ne fait sa fierté. C’est ainsi, Bergman, au mieux, c’est 1) le metteur en scène du théâtre royal, 2) le type qui a fait Fanny & Alexandre, « subi » à chaque Noël. Quant au génie mélodique, la science de l’arrangement, la tenue des textes d’Eggstone, vous repasserez. Oubliées la délicatesse des cordes et des vents, les aigreurs des guitares, la furie rythmique.
Et puis tant mieux. Reste à tout jamais trois disques parfaits (et facilement trouvables pour pas cher en CD sur des sites de vente en ligne) entre étrangetés post-sixties, fureur d’un rock m’ayant pas peur des éclats, arrangements kitsch et efficacité punk. Qu’Eggstone n’ait jamais cherché à (faire) vivre (de) son catalogue est tout à son honneur. Étaient-ils d’ailleurs vraiment faits pour les stades, les passages promo, les voyages ? Si on en croit la légende, Patrik Bartosch, sosie scandinave de Johnny Greenwood, n’était pas pour. Quant au batteur, Maurits Carlsson, il élève aujourd’hui des vaches laitières et respire le bonheur (vaches incluses si j’en crois la presse très locale. D’ailleurs, on trouve plus d’information sur son activité de fermier que de batteur).
Et pourtant quel groupe ! Regardons (et écoutons) pour s’en convaincre quelques clips de l’époque. Au pif, “The Dog” et “Birds in Cages”. Si c’est pas du trésor caché ça…
Les Eggstone n’en font qu’à leur tête (principalement producteurs de studio pour le meilleur, donc). Et s’il n’y a pas de quoi alimenter un nouveau disque, eh bien, patientons. Il faudra attendre jusqu’en 2016 pour avoir un nouveau titre, “Like So”, rescapé des enregistrements perdus lors d’un crash informatique, disponible en téléchargement, suivi d’un autre, “The Late” (sorti en 2019).
Entre temps, quelle mouche les a piqués ?, un concert dans leur bonne ville de Malmö en 2017, avec l’Orchestre symphonique local jouant des arrangements signés… Patrik Bartosch.
“Birds in Cages” (extrait) avec le Malmö Symphonic Orchestra (en 2017) :
Et si notre fille n’était pas née peu avant, sûr qu’on aurait pris le train, tellement on les aime. Mais on ne va pas la blâmer de nous avoir fait rater le moment inespéré du retour scénique d’Eggstone puisque c’est à la faveur d’un marathon de goûters d’anniversaire qu’on croise, par hasard !, en 2021, une misérable affiche annonçant le concert le soir même. Allez chercher des info sur Eggstone, c’est pas fastoche, c’est à peine si Tickster et Songkick les répertorient… D’autres info contradictoires embrouillent l’affaire comme l’annonce du même concert, mêmes horaires à Lasse i Parken, près de Skanstull (Södermalm), scène en plein air ringuardisante (mais pas que) aux allures de biergarten.
Voir Eggstone en concert en Suède et qui plus est à Galejan, voilà qui coche quelques croix dans la liste des choses de la plus haute importance à faire avant de mourir. Sans revenir sur la genèse du parc de Skansen, Galejan est la piste de danse du lieu depuis 1937 et permet de guincher tous les étés. Auvent, rambardes en bois, miniscène, parquet, le tout intégré dans un tivoli vintage avec au centre un grand chêne entouré d’un banc circulaire. Un lieu un peu magique, vieillot ou suranné selon les goûts.
Le temps d’engouffrer un sandwich au Koloni (petite restauration aux allures de jardin ouvrier) permet de noter ce détail ô combien important : les hipsters des années 90 ne nettoient toujours pas leurs baskets, contrairement à ceux qui tiennent le haut du pavé en 2021.
On finit de dîner en famille pendant que les Mommyheads ouvrent le concert. Là encore, on est entre vétérans, ici de New York, actifs fin 80-fin 90, culminant avec une signature chez Geffen (“The Mommyheads”, 1997) suivi d’une carrière plus sporadique. La présences des enfants, l’excitation du concert à venir et le froid ne nous permettent pas de nous plonger plus en avant dans la prestation du groupe mais ce qu’on en voit nous convainc qu’on est en présence là encore d’un groupe méconnu et qui mériterait attention, dans la lignée d’XTC mais pas que. Les envolées lyriques du chanteur ne sont pas notre tasse de thé : un côté, assumé pour cause de mal de gorge, Rod Stewart (et Freddie Mercury ajouterons-nous). Reste que les compositions sont tarabiscotées et aventureuses : tension heavy, bizarreries prog, rupture d’ambiances, maniaquerie de la mélodie, tout un cocktail qui touche l’oreille et titille l’écoute. On voit bien le lien avec Eggstone, groupe lui aussi à la croisée des chemins, charnière entre plusieurs époques, avec Mommyheads, le curseur est simplement déplacé d’une dizaine d’années.
Il y a communauté de références, d’amitiés aussi. C’est le label suédois Fanfar ! qui édite les LPs du groupe.
On passe un bon moment avec ces ex-« New Kings of Pop ».
Les litres de bières ayant eu la peau de quelques vessies grosses comme des lanternes, on peut se replacer très avantageusement au second rang pendant la pause. Pandémie oblige, seules 250 chaises sont installées sous le plafond de bois de Galejan. Elles ne seront d’ailleurs pas toutes occupées… Soupirs…
Eggstone débarque avec “Birds in Cages” et donc (je renvoie là encore au vidéo clip) place la barre très haut en terme d’attentes comblées.
On retrouve tout le sel de leur écriture en anglais, pas toujours orthodoxe mais sachant, justement, user de ses imperfections comme dans leurs approximations d’accent. Signalons à titre d’exemple les allusions détournées à My Fair Lady et à l’icône pop Audrey Hepburn: la chanson de la comédie musicale “The Rain in Spain” transformée par un jeu de mots en Maybe it will rain tomorrow, maybe I’m insane tomorrow.
La musique, tout en finasserie de jeu (glockenspiel), ruptures franches entre pop aérienne et brouillon punk.
Et partout, l’infusion de cette mélancolie si typique de la Scandinavie.
I’m putting birds in cages
So that they won’t die
So that they won’t flyI’m catching butterflies
To nail them on the wall
Want to have them allI don’t feel ashamed
You’re the one to blameI’ve tried to hold my breath now
Since the other day
Since you said goodbyeI hope a dog will bite me
Not so i would die
Just to make me cryI’m about to fade
Like shadows in the shadeMaybe, maybe
Maybe it will rain tomorrow
Maybe i’m insane tomorrow
One thing is for sure
I’m not happy anymore
C’est cette mélancolie qu’Eggstone va distiller pendant le concert, mélangée avec l’euphorie exubérante, autre trait caractéristique des Suédois.
Eggstone va jouer assez malignement sur l’absence de nostalgie. Pas un mot ne sera prononcé sur leur « disparition » et c’est ce qui rend le moment précieux… On les retrouve tels qu’on les avait laissés retrouvant, pour ma part (toujours en retard…), la suite des écoutes de la compilation Tricatel, “Ça chauffe en Suède !”. Un gouffre de temps a disparu, évanoui par le trait d’union de ce groupe montant sur scène pour retrouver son public.
On est dans Le Temps Retrouvé, épisode du « bal de têtes ». Patric Bartosch est certes bedonnant, les doigts un peu gourds, moins agile mais la mèche brune(-grise) est toujours là. Maurits Carlsson n’est plus l’ange blond aux traits marmoréens mais un pré-papy dégarni. La rythmique est moins précise que par le passé, on sent la peine (mais on est loin des bûcheronnages d’un Murph pour rester dans les gloires de la même époque). Per Sunding peine également (un peu) sur sa basse mais malgré les craintes qu’on pouvait avoir (il se plaint lui aussi d’un mal de gorge delta-mu), la voix éternellement adolescente est encore présente, par moment.
De tout cela (précision, agilité, technique…), on s’en moque un peu depuis toujours : on n’est pas là pour ça.
Le trio est complété par Christopher Dominique, clavier du chanteur (pour le coup vraiment populaire) Ola Salo « emprunté pour le week-end », un guitariste électrique tambouriniste supplémentaire et un Américain à chemise hawaïenne, tout droit sorti du Weezer de la grande époque, à la guitare acoustique et assurant des compléments de chant : John Ferguson de… The Apples in Stereo !
Après les envolées gainsbourgiennes 70’s, on glisse vers la sunshine pop avec “Sun King”. Eggstone, groupe majeur dans le lyrisme du soleil et, surtout, son manque (LE manque, grande thématique eggstonienne).
Lutte contre la nostalgie toujours, Eggstone clôt son premier trio par “Like So”, titre du retour de 2017. Il s’agit d’une démo de 2002, retrouvée tardivement. Il faut chercher les perles une par une chez Eggstone, telle “Coral Bracelet” sur “Triggers” d’April March.
Je n’égrènerai pas tous les titres (je vous renvoie à la setlist en bas de page) mais entendre la furie “Against the Sun”, voir Bartosch tirer les harmonies de sa douze-cordes, Sunding lutter pour donner de la voix reste un de mes grands moments de concert.
On se trémousse pendant le funky “Taramasalata” mais surtout on hurle pendant “Still All Stand Still”. Parce que finalement c’est ça qui est bon. De pouvoir beugler de concert avec ses idoles… vingt ans après. Enfin !
I know a way to fall asleep
I need the sound from my tv
I need some noise to hit my ears
I need to work I need a break
I have to leave I’m going to wait
Don’t want to miss out anywhere
I like to have my spinning head
I like to turn the city red
A thousand miles an hour bed
I’ll do my sleeping when I’m dead
So I wish… I hope… I care…
I can’t stand… oh I need to… please!
I don’t have time… oh yes! I will…
…still all stands still
A piece of cake I love you so
I want to stay she wants to go
And when I wake my head explodes
I take control I leave the room
Take care of all before too soon
What isn’t fun should not be done
And when I sit I need to move
I’m feeling hot I guess I’m pretty cool
And when I win I’m feeling lost
I want it cheap don’t care about the cost
So i wish… I hope… I care…
I can’t stand… oh I need to… please!
I don’t have time… oh yes! I will…
…still all stands still
J’ai choisi de m’épargner (et le public avec) pour enregistrer “If You Say”. La filiation punk-pop, Weezer encore, avec ce petit côté sixties anglais précieux.
You’re not impressed
With the way I dress
But if you say you want me that way
I could wear a tieYeah, if you say you want me that way
I could wear a tie
You’re mouth is pursed
My trousers cursed
But if you say you want me that way
I could wear a tie
Yeah, if you say you want me that way
I could wear a tie
A new pair of shoes
Would be wonderful news
But so sad to lose
But if you say you want me that way
I could wear a tie
Yeah, if you say you want me that way
I could wear typically blue tie
If you say you want me that way …
But if you say you want me that way
I could wear a tie
Yeah, if you say you want me that way
I could wear typically blue tie
In the end you want me that way …
Boucle bouclée pour ma part avec un “Marabous” et surtout un “Wrong Heaven”, moment suspendu parmi tous ceux du concert. D’ailleurs, personne ne l’a filmé, parce que c’était un grand moment d’intimité partagée. Je n’en menai pas large en hurlant (mal) les chœurs et d’autres quinqua dans les rangs les plus proches avaient la larme à l’œil.
The other day I passed the place where you work
I just had to watch you
You’ve got a wonderful way of moving your hands
So easy to forget
I think I stood there for hours
When someone came and said
She isn’t one of your kind
Remembered that I said
I was your wrong heaven …
I remember the day my blue car broke down
We had to walk for miles
Heading back for the nearest town
It gave us time to talk
And you told me about your friends
And I just had to laugh
And I told you about the days
When I worked on a ship to Perth
I was your wrong heaven …
Ooh, it’s not a matter for my tombstone
Ooh, will never be
You will be a rose in my memories
Ooh, it’s not a matter for my tombstone
Ooh, will never be
Will never be, will never be
I was your wrong heaven…
Pour le coup, je vous renvoie à la vidéo du concert de Malmö en compagnie du Philharmonique et un Per Sunding avec une voix en meilleure forme. Grand grand moment… que j’ai été très heureux de partager avec une petite fille sur les genoux… Deux phénomènes auxquels je n’aurais pas cru il y a vingt ans.
“Wrong Heaven” avec le Malmö Symphonic Orchestra (en 2017) :
Première série de rappels : “Diesel Smoke” et “Happiest Fool” avec un Carlsson de plus en plus chaud et à la fête derrière ses fûts mais auxquels manque un vrai vibraphone. Absence de finesse de production compensée par une déflagration sonore finale avec capharnaüm bruitiste.
“Diesel Smoke” et “Happiest Fool” :
Après une courte pause, viennent les indispensables “Water” et “The Dog”. Deux antithèses garantes de la maestria d’Eggstone.
On touche à la communion avec un “Water” délicieux qui ravit les bedonnants de la première époque comme ce couple de jeunes fans (vingtaine d’années au compteur, les seuls représentants présents de cette génération) qui se balanceront de concert au premier rang et laisseront Per Sunding plus ému que par tous nos cris.
Water is good for your health
Water is good for your body, ooh
And you can drink it with lime and with lemon
Or drink it pure, oohWater can turn into smoke
Water can turn into ice cubes, ooh
And in the air that you breathe there is water
That might turn into fogWater can be found in waterfalls
Water can be found in tennis balls
Water can be found in orchids
Water can be found in you
In your lips
Après les préciosités (alliance folk/électriques, la batterie…), un “The Dog” d’anthologie conclut l’affaire à grand renfort de guitares. Et dire qu’à la même époque, pendant ce temps-là, Blur…
La voix de Sunding déraille, certes, Bartosch est statique, oui, le son est brouillon (trop de basses comme toujours), ok mais quelle folie, quel titre, quel epos !
Eggstone est au firmament de la pop, et sans tambour(ine) ni trompettes (et pourtant ils excellent dans les arrangements), ils le prouvent encore trente ans après. “The Dog”, quoi !
C’est finalement le cœur (le core) d’Eggstone qu’on a entendu ce soir-là : privé des arrangements du studio, on s’est concentré sur l’énergie, l’efficacité, les paroles de ces génies de la pop anglo-saxonne, ex-cover band de The Jam, qui ont désormais leur place au panthéon, parmi leurs pairs.
Le temps de récupérer le petit qui a vomi sa feta, on papote avec d’antiques fans de la belle époque, tout heureux d’avoir rattrapé le temps perdu, de combler un vide de vingt-cinq ans. Tout ça en attendant un tramway avec la horde de gogols sortant du parc d’attractions de Gröna Lund tout proche. La légende du pays a joué pour sa famille…
Je n’ai pas eu “Shooting Time” mais je peux encore attendre vingt ans pour mourir heureux.
Avec l’aide de Johanna D, qui s’est fait polluer le concert par un déferlement de renvois et de récits de combats du laserdome.
Setlist :
Birds in Cages
Sun King
Like So
Against the Sun
Supermeaningfectlyless
April & May
The Late
Taramasalata
Good Morning
If You Say
Wrong Heaven
Marabous
Still All Stand Still
Rappel:
Diesel Smoke
Happiest Fool
Rappel 2:
Water
The Dog