A l’occasion de la sortie de « The Needle Was Traveling », son cinquième album, peut-être le plus abouti, le duo Tarwater vient prendre l’air de Paris. Les journées de promotion sont l’occasion pour le groupe de tester le goût des bières françaises : c’est donc dans un bar du quartier Bastille que nous retrouvons nos deux Berlinois, Ronald Lippok, chanteur aussi affable que volubile, et Bernd Jenstram, homme de l’ombre à la présence imposante.
(Hésitation devant la première question). Pourquoi avoir quitté Kitty-Yo pour Morr Music ?
Ronald : Tu peux te rassurer. La question n’a rien de délicat. Il se trouve que nous travaillions avec Kitty-Yo depuis près de dix ans, que nous avons été un des premiers groupes signés par eux, ce qui fait un long chemin ensemble. Pour ce nouvel album, nous avons eu le sentiment que c’était peut-être le moment de changer. Donc rien de mélodramatique dans cette décision qui s’est faite plus en faveur de Morr que contre Kitty-Yo. De fait, nous apprécions la manière dont Thomas (Morr, ndlr) travaille et son rapport à la musique. Nous avions aussi envie de travailler avec d’autres personnes, de trouver une nouvelle impulsion.
Bernd : Il est vrai que travailler avec Kitty-Yo depuis si longtemps pouvait induire un travail plus répétitif. Il était donc temps d’essayer quelque chose de nouveau.
Malgré le changement de maison de disques, je trouve qu’il y a une certaine continuité entre ce nouveau projet et la veine poppy d’un album comme « Animals, Suns & Atoms » : est-ce une direction dans laquelle, cette fois, vous vous êtes délibérément engagés ?
Ronald : Oh non, rien de stratégique là-dedans. C’est apparu de manière très naturelle dans l’élaboration de nos morceaux.
Vous affirmez d’ailleurs souvent ne pas préméditer les enregistrements que vous faites.
Ronald : Quand nous travaillons, nous essayons d’éviter de nous limiter en quoi que ce soit, nous tâchons de laisser ouvert l’espace dans lequel nous progressons. Au début, nous n’avons pas la moindre idée de ce qui va se passer, ce qui a été le cas pour celui-ci que nous avons enregistré en novembre, une période parfaite pour nous.
Bernd : Nous n’entrons jamais en studio en nous demandant : « qu’allons-nous faire cette fois-ci ? », »quel instrument devrions-nous utiliser ? », et même, pour cet album, nous ne prévoyions pas l’usage des guitares, nous les avons simplement prises pour essayer quelque chose.
Ronald : C’est assez drôle de constater que la plupart de gens considèrent Tarwater comme un groupe très conscient de ce qu’il fait, avec une approche intellectuelle de la musique. Il y a sans doute une impression de cette sorte qui se dégage de l’enregistrement, une fois terminé, pour un auditeur extérieur, mais notre approche est au départ très intuitive. Ce serait franchement idiot de limiter d’emblée ses possibilités au moment de la composition, cela pourrait faire perdre un certain nombre de heureux hasards.
L’album reflète pourtant une certaine idée de structure, au moins à cause de l’alternance des instrumentaux et des chansons. D’ailleurs, comment savez-vous qu’un morceau restera un instrumental ou deviendra une chanson ?
Bonne question. Je ne sais pas comment ça marche et c’est dur à décrire. Il faut juste faire avancer la composition jusqu’à un certain point où c’est le morceau qui indique lui-même quelle sera sa nature. En fait, c’est particulièrement facile de décider de ce que sera le morceau mais je ne peux pas vous dire comment nous faisons, et surtout pas en termes techniques. Pour le coup, ce n’est pas complètement conscient. J’imagine que c’est lié à la voix, que nous laissons parfois délibérément de côté car, sur certaines compositions, elle attire trop l’attention. Parfois, il est préférable de laisser le morceau suivre seul sa route.
Hormis cet effet d’alternance entre instrumentaux et chansons, ce n’est pourtant pas si facile pour l’auditeur de savoir à quoi s’attendre.
Ronald : Je peux imaginer. C’est sans doute dû au fait que nous ne travaillons pas à partir d’une hiérarchie des sons, avec la voix mise très en avant. Pour nous, tous les apports, y compris la voix, sont traités à égalité.
Est-ce qu’on peut dire qu’il y a deux tendances distinctes dans la musique de Tarwater, une très atmosphérique et presque abstraite, que l’album « Silur » a révélée et une autre plus pop, comme sur « Animals » ? Ou serait-ce une explication trop simple ?
Ronald : Les explications simples ne sont pas toujours mauvaises. Disons que nous aimons tordre un peu les choses. Nous ne décidons pas de faire un album atmosphérique et mystérieux à classer au rayon leftfield ou un disque pop. Nous risquons des choses, nous aimons l’électro au risque de la pop, nous essayons des choses un peu contradictoires, quelque chose de poppy qui inclut un autre élément perturbateur, qui va contre cet aspect pop. Même dans les morceaux qui ont l’air plus dramatique ou crypté, il y a quelque chose de pop. Encore une fois, ce n’est pas quelque chose de délibéré, cela résulte de notre travail : par exemple, nous trouvons telle partie de morceau trop jolie, alors nous la poussons dans une autre direction.