CHRISTIAN KJELLVANDER
20H30 à la Flèche d’Or : la salle chaleureuse commence à se remplir et les amplis à frémir. Christian Kjellvander, qui jouera dans à peine deux heures ses morceaux les plus flamboyants et ses ballades crève-cœur (devant une salle malheureusement un peu bruyante) arrive à pied, visiblement serein. Vu le brouhaha ambiant, pas question de réaliser l’interview dans le bar même et nous nous retrouvons backstage dans une pièce de quelques mètres carrés couverte de graffitis : 3 chaises, une table et quelques bières, cela fera largement l’affaire. A 3 mètres derrière nous, le premier groupe commence à jouer un punk débridé ; seule une porte nous préserve un tant soit peu du bruit. Le Suédois, décontracté et courtois, est prêt à répondre aux questions de POPnews.
La compilation "Cowboys in Scandinavia" de Fargo commence par une de tes chansons ; as-tu l’impression d’être un cowboy scandinave ou un cowboy suédois ?
Non, je n’ai pas de cheval, je n’ai pas de ferme, et pas d’animaux… je n’ai pas l’impression d’être un cowboy. Mais si tu compares la Suède à la France ou l’Allemagne, il y a beaucoup d’espace et le fait de les chanter peut parfois te donner l’impression d’être un cowboy.
La Suède semble être très inspirée en ce moment…
Je ne veux pas jouer les vieillards, il y a bien sûr cette compilation mais pour moi qui joue depuis 10 ans, rien n’a vraiment changé.
C’est peut-être la France et les autres pays qui perçoivent mieux ce qui vient de Scandinavie ?
Oui, peut-être.
Tes albums sont très inspirés par la musique folk, la country et le rock indé ; comment définirais-tu ta musique ?
La musique folk, j’ai grandi avec elle, elle m’est familière – chanter du Woody Guthrie, c’est cool ; Willie Nelson me semble plus proche que… Serge Gainsbourg (rires) et après tu fais des boutures avec le rock indé, l’univers de la pop et le songwriting country.
Tu as passé pas mal de temps aux Etats-Unis, est-ce là que tu as appris à apprécier la musique country ?
Oui, absolument ; en Suède, on a comme une tradition de troubadours – une personne avec sa guitare qui raconte des histoires ou des contes mais pour la country, c’est l’Amérique, c’est sûr ; je fais comme un pont entre ces deux mondes.
En parlant de troubadour, penses-tu que quelqu’un comme Springsteen t’influence au niveau des textes en particulier ?
Euh… moi aussi, je raconte des histoires ; Springsteen est un génie, bien sûr, mais je pense qu’il est plus factuel. Il va plus chercher les petits détails et s’assurer que l’image qu’il en dégage en quelques mots sera celle que tu auras alors que moi, je fais en sorte que l’image que tu vois ne soit pas la même que celle que je vois.
Est-ce un point de vue plus romantique ?
Oui, j’ai envisagé ce nouveau disque comme une longue histoire dans laquelle figurent plusieurs petites histoires ; je voulais que le disque parle des problèmes d’un homme mais d’un point de vue féminin.
Faya, c’est un nom féminin ?
Oui, c’est un nom de fille mais inspiré d’un nom de gars… c’est un peu compliqué.
Ce soir tu joues en groupe mais parfois tu joues en solo ; je me demandais si tu pourrais enregistrer un album entièrement en solo (comme Dylan et tant d’autres), si ça te plairait…
J’en serais capable (rires) mais je ne sais pas si j’en aurais envie… J’adore produire, j’adore peindre la musique dans un sens ; la musique pour moi, c’est une histoire de chance – tu dois la saisir quand elle vient et, à mon avis, elle vient plus naturellement ou plus souvent lorsqu’on est plusieurs.
Dans les paroles, tu parles beaucoup de voyage…
Oui, j’imagine que cela vient de mon désir d’écouter de la musique quand je voyage et à partir de là, je mets les choses bout à bout avec ce que j’ai lu aussi… sans compter que j’ai grandi dans une famille où on bougeait beaucoup… C’est une sacrée histoire, le voyage, c’est ce qui rend la vie intéressante.
Et faire une tournée comme celle-ci, c’est du voyage ou du boulot ?
Oh, la plupart du temps, c’est plus du travail que du voyage ou de la découverte…
Sur "Roaring 40’s", tu chantes en duo avec Nina Persson des Cardigans pour qui tu as fait des premières partie en solo. Comment l’as-tu convaincue de faire ce duo ?
On est copains, ça l’intéressait de faire ça et puis on habite à 50 mètres l’un de l’autre…
As-tu le temps d’écrire de nouvelles chansons en ce moment ?
Oui, j’ai dû écrire 8 chansons pour mon prochain album et je pense enregistrer à l’automne prochain et sortir le disque au printemps suivant. "Faya" est un album assez introverti ; le prochain sera plus extraverti, plus "douze cordes", plus pop.
En écoutant ta chanson "Alleluia", je me suis demandé si c’était une sorte de réponse au "Hallelujah" de Leonard Cohen ?
Oui, c’est tiré de ça – j’ai piqué le concept, enfin je m’en suis inspiré bien que ma chanson soit sur un sujet tout à fait différent ; je pensais avant que "Alleluia" avait quelque chose à voir avec l’Allemand "Alle", "tout le monde" mais ce n’est pas le cas (rires), ça a plus à voir avec l’enfance et l’amour…
Tu connais la version de John Cale ?
Non, malheureusement. J’en ai entendu dire beaucoup de bien, je suis sûr que c’est une version formidable.
Je reviens à la musique country, qui est assez méconnue en France ; est-ce un type de musique que tu écoutes en ce moment – y’a-t-il des artistes que tu aimerais faire connaître ?
Johnny Cash, Willie Nelson, Lee Hazlewood sont de grands artistes mais dans l’ensemble, tout cela n’est qu’une question de bonnes ou de mauvaises chansons, de ressenti par rapport à la voix et aux paroles, pas de boîtes dans lesquelles on range les artistes.
Tu connais ce groupe suédois qui s’appelle "Perro Del Mar" ?
Oui, je les connais, ce sont deux filles super – c’est vraiment de la bonne musique ; ces derniers temps, il y a eu pas mal de bons groupes de pop "étudiante" en Suède, un peu comme ce que faisaient les Lemonheads, très simple, je dirais même naïf mais c’est vraiment beau. J’écoutais beaucoup cela il y a quelques mois mais là, je suis un peu fatigué de ce type de musique…
Et la simplicité, c’est une qualité pour une chanson ?
Les chansons compliquées peuvent être intéressantes aussi ; moi, j’essaie de garder une structure de chanson assez simple et les paroles vont faire la différence, vont essayer de créer une symbiose…
Tu aimes visiblement que la pression monte dans tes chansons…
Crescendo, oui c’est ça… comme Bach (rires).
Et passes-tu beaucoup de temps à arranger tes chansons – je pense à cette petite voix féminine très belle à la fin de "Juanita" ?
Ah oui, c’est ma tante et ma cousine qui sont chanteuses lyriques… Je dois passer six mois à jouer et rejouer ces chansons et c’est ainsi que les idées viennent ; c’est un travail d’imagination assez intéressant…
C’est la partie la plus intéressante de ton travail ?
J’aime beaucoup la toute fin, les deux, trois derniers mois quand les paroles sont presque finies, les arrangements sont faits…
Et à la fin, tu es plutôt fier ou tu en as marre de bosser sur ces chansons ?
C’est sûr que je suis fier mais j’en ai aussi marre ; enfin, quand tu écris tes paroles, penses aux arrangements ou enregistres, tu penses à la voix ou aux sons… alors que quand c’est fait, quand tu mixes, tu a une vue d’ensemble, c’est pas le même point de vue.
Propos recueillis par Christophe Dufeu.
Merci à Adrien de Fargo.