BROKEN SOCIAL SCENE
Quelques heures avant un formidable concert de Broken Social Scene (en grande formation : une douzaine de musiciens !), à la Maroquinerie, en décembre dernier, le chanteur et guitariste du groupe, Kevin Drew, nous accordait une interview. L’occasion de parler d’un troisième album touffu et passionnant, qui ne devait sortir en Europe que quelques semaines plus tard. Des propos, parfois déconcertants mais toujours sincères.
Trois ans séparent le nouvel album du précédent, « You Forgot It in People« . Qu’avez-vous fait pendant tout ce temps ?
Ce fut une période très créative et très intense. Nous avons été pris dans un tourbillon et avons essayé de continuer à mener une vie normale. Nous avons commencé à enregistrer le nouvel album dès avril 2003, sans idées préconçues, juste pour voir ce qui allait en sortir. De cette période datent les morceaux « Handjobs for the Holidays » et « Canada vs. America », qui figure sur le e.p. de l’édition limitée. Les autres sont arrivés progressivement, et au bout de deux ans de travail sans véritable plan, nous nous sommes retrouvés avec ce disque. Nous avons travaillé une fois de plus avec Dave Newfeld, qui est un producteur incroyable, l’un des tout meilleurs selon moi, et qu’on peut considérer comme un membre du groupe. Mais c’est vrai qu’à un moment, nous étions tous perdus, lui compris.
Il a la réputation d’être parfois difficile. Cela a-t-il posé problème ?
Oui, ce n’était pas toujours évident. J’en ai parlé dans une interview pour le site Pitchfork, et je l’ai un peu regretté par la suite, car il a quand même fait un travail formidable sur le disque. Mais il n’était peut-être pas préparé à travailler avec autant de musiciens… La plupart d’entre nous habitent la même ville (Toronto, ndlr), nous n’avions pas la possibilité de nous isoler des autres en coupant notre téléphone. On n’a pas enregistré avec des bougies pour créer une atmosphère propice, en contemplant la lune et en grimpant nus dans les arbres. Beaucoup d’événements importants sont survenus pendant que nous réalisions l’album : des enfants sont nés, des relations ont pris fin, d’autres ont débuté, des amitiés se sont créées, d’autres ont été trahies, et on était sans arrêt sur la route, avec une pression énorme… Au final, pas mal de merdes et beaucoup de choses positives. Maintenant, le disque est sorti et c’est tout ce qui importe, pas ce qui se dit ou s’écrit ici ou là. Tout ce que nous voulons, c’est suivre notre propre route en faisant la meilleure musique possible.
Quand avez-vous su que l’album était terminé ?
On ne l’a jamais vraiment su, en fait, car il a pris forme au fur et à mesure. En cela, ce disque est un mélange unique, comme je n’en entends pas beaucoup en ce moment. Il y a beaucoup de disques très agréables, très bien faits, mais qui se révèlent vite ennuyeux. Tu as quelques morceaux favoris mais même si tu continues à les écouter, tu en parles au passé… Nous avons essayé de faire autre chose, à contre-courant de cette société de la satisfaction immédiate. Nous aurions pu décider plus tôt que l’album était terminé, mais nous sentions que nous pouvions encore travailler dessus, aller plus loin, afin d’en être totalement satisfaits. Nous aurions très bien pu faire un album de dix chansons, très carré, mais pourquoi ne pas en mettre plus et s’amuser un peu ? Nous ne voulions pas suivre les règles habituelles.
Les nombreux concerts que vous avez donnés depuis trois ans ont-ils eu une influence sur le son du disque ?
Oui, ça nous a appris à jouer tous ensemble et c’est ce que nous voulions refléter sur l’album, même si nous ne l’avons pas enregistré collectivement, si certains musiciens sont plus présents que d’autres et si tous ne figurent pas dans le mix final. Avec ce disque, on veut dire : « voilà ce qu’est Broken Social Scene maintenant, voilà ce que nous faisons quand nous sommes ensemble ». Sur le prochain album, la question sera plutôt : « qui ne joue pas dessus ? ». Ce devrait être un disque plus détendu, mieux circonscrit.
Ce ne doit pas être évident tous les jours de contrôler une formation aux effectifs aussi importants…
Broken Social Scene est à la fois un groupe, un projet, une scène, une croyance… et une part sacrément importante de ma vie. Je suis vraiment content de notre succès, de là où nous sommes arrivés. Nous avons travaillé dur mais nous avons aussi tout fait pour ne pas nous laisser engloutir par Broken Social Scene, pour ne pas perdre nos motivations de départ. En fait, nous n’avons jamais eu l’intention de « former un groupe ». Du moins pas dans le sens habituel.