En 2006, un album sorti de nulle part illumina notre année, et on se prit, sans trop savoir pourquoi, à rêver d’arbres à thé, de scorpions, et de Supercat. Quelques mois plus tard, rencontre avec l’auteur du délit, décontracté et affable deux heures avant un concert à Arras. Peter Von Poehl évoque la diversité de son expérience musicale, et, visiblement insensible à la petite « hype » qu’il peut générer, s’explique sur un parcours entre pop indé (AS Dragon) et productions plus variées (Marie Modiano, Vincent Delerm, Lio), avec une simplicité presque déconcertante. Peu après il reprendra la plupart des morceaux de « Going to Where the Tea-Trees Are » avec la même simplicité ; le public, d’abord distant, et sans doute ébloui par la prestation virtuose de l' »entertainer » Gonzales en première partie, finira par se laisser embarquer par la poésie aérienne du Suédois francophile.
En fait je ne savais pas trop si tu allais parler français, anglais, ou suédois…
Ouais, on va parler français.
Tu te sens de culture française depuis le temps, non ?
Pas du tout.
Ah non ? Parce que tu as passé pas mal de temps en France, quand-même.
Oui mais je ne me sens pas français en tout cas, là en plus j’habite en Allemagne depuis deux-trois ans.
Et les années chez Tricatel, c’était une parenthèse ?
Une parenthèse, non, c’était pas une parenthèse, c’était quand même vachement important, ça représente beaucoup, c’était très chouette. On était vraiment une toute petite équipe, j’ai été lancé dans le studio avec Bertrand, j’avais très peu d’expérience, lui était en train de vraiment devenir aveugle (il est diabétique), il ne voyait rien, donc tu es obligé, tout de suite, d’avoir une idée précise de ce que tu fais ; Bertand est assez exigeant, donc, très vite il fallait que je commence à comprendre comment ça fonctionnait, et tout de suite on a commencé à faire des disques. Le disque de Michel Houellebecq, c’était un des premiers projets qu’on ait faits.
Toi, tu as l’impression de t’être plutôt adapté à AS Dragon ou à Houellebecq, c’était le type de musique que tu voulais faire à l’époque ?
Tu sais, quand on est suédois, on joue dans un groupe de garage. Sans blague, à l’époque, bon, c’est un truc qu’il n’y a plus maintenant avec le gouvernement de droite, mais on avait chacun cinquante euros par mois pour acheter des instruments, on avait un local de répet’ payé par la ville – tout le monde pouvait en bénéficier, de cet argent, soit pour jouer de la musique soit pour jouer au foot. Tu pouvais les dépenser comme tu voulais, en bière ou quoi… C’était vachement bien ; si bien que tout le monde jouait plus ou moins dans un groupe de rock garage, donc jouer avec Bertrand, c’était assez naturel pour moi.
Ce qui est marrant, quand on te connaît d’AS Dragon notamment, c’est que tes influences sont plutôt, disons, seventies, alors que sur ton album solo, on sent plus une inspiration liée aux années soixante.
Ouais, il y a plusieurs éléments. Avec Bertrand, on fait toujours plein de projets différents en même temps. Pour la tournée de Houellebecq, les musiciens de Eiffel avaient enregistré son disque, et ensuite moi je me suis un peu retrouvé tout seul avec Houellebecq, il fallait trouver des musiciens, et j’ai passé une audition en fait. Cette façon de fonctionner, ça m’a beaucoup, beaucoup plu, et j’ai continué à faire ça après, notamment avec un garçon qui s’appelle Dorian. Le dernier truc, c’était Vincent Delerm, ça partait dans tous les sens, mais ça, globalement c’est une activité que j’adore, je pensais que j’allais être content de faire ça. J’avais déjà fait un disque il y a quatre ans, que j’avais sorti, et c’était quelque chose de beaucoup plus compliqué. Du coup, tu me demandes les références, euh… pour ce disque-là, les références sont beaucoup plus précises. Je le dis tout le temps, ça peut paraître une blague, mais c’est vachement comme des chants de Noël. Parce que, depuis que j’ai seize ans, je suis constamment à l’étranger, je n’habite jamais au même endroit depuis quand même pas mal d’années, et mon rapport à mon pays est tout de même assez bizarre.