TURZI
Deux musiciens affables retranchés dans leur tour d’ivoire en béton précontraint, il s’agit de Romain et Arthur, membres du groupe Turzi en résidence au Point Ephémère. Leur local ressemble à une caverne d’Ali Baba remplie de guitares et de synthés vintage sans parler d’une batterie imposante et d’un lierre de câbles. En voyant la scène, on comprend mieux la nature de « A », leur premier LP qui sort ces jours-ci. Utilisant le vocabulaire du rock, Turzi parle un langage insolite privilégiant les motifs répétitifs au détriment du sempiternel couplet/refrain. C’est peut-être la liberté artistique qu’il s’arroge qui rend sa musique si intéressante. Influencé par les audaces du Krautrock comme par la techno qui cogne ou les productions de Sonic Youth, le groupe crée son propre style et se défend de sonner « à la manière de ». Voici des musiciens intuitifs, bien dans leur époque et dans leur monde.
« A » est officiellement votre premier album, avant il y avait eu « Made under Authority », quelle est la différence entre ces deux disques ?
Romain : « Made under Authority » s’est fait au début de la signature chez Records Makers. C’était de la musique que je faisais tout seul un peu comme à la manière de la musique électronique. C’est un six titres comprenant sur une face des petites compositions et sur l’autre, une grosse improvisation de groupe. On joue sur les atmosphères, les strates. L’album « A » c’est la réinterprétation de ces petits morceaux faits seuls avec, cette fois, tout le groupe.
A la base Turzi, c’est un homme ou un groupe ?
R : à la base, c’est moi Romain Turzi qui fait de la musique avec Records Makers. A un moment, on s’est dit qu’il allait falloir faire des concerts et donc j’ai formé un groupe avec mes meilleurs amis. Arthur, c’est le mauvais exemple, on l’a rencontré plus tard.
Arthur : oui, je suis arrivé après mais je suis aussi un peu le manager du groupe et puis, on a aussi une maison de disque dont on parlera peut-être tout à l’heure.
Pourquoi avoir intitulé cet album « A » ?
R : pourquoi A ? Parce que c’est un bon début. Les Plastiscines ont appelé leur album « LP1 ». Bon, ça veut pas dire qu’on en fera 26…
A : on se place simplement dans la tradition des albums à numéro. Soft Machine, Kraftwerk… avec la volonté d’envisager une vraie discographie.
Quels sont les grands principes qui régissent votre musique ? Vous avez des instruments rock mais vous ne les employez pas comme on a l’habitude de les entendre ?
R : les instruments rock, c’est la donnée de départ, le langage premier dont on se sert et avec lequel on a grandi. On privilégie ce format parce qu’on ne sait pas faire autre chose et qu’on n’a pas de formation particulière. Le format rock, c’est le plus intuitif. Donc, oui on a des grattes mais l’idée c’est de les détourner pour arriver à autre chose. Les guitares et les claviers sont traités comme des sons purs passés systématiquement par d’autres synthétiseurs, des effets afin de constituer une espèce de couche sonore qui enfle de manière répétitive. On joue davantage sur les ambiances plus que sur un format de rock classique.
A : sur scène, on met la batterie devant, c’est plus le côté rythmique qui nous intéresse que la mise en avant d’un chanteur ou de mélodies.
Cette façon de jouer de la musique sur la base de motifs répétitifs et de textures sonores recherchées, c’est donc un vrai choix artistique…
R : oui, c’est un choix artistique mais ce n’est pas une posture. C’est la musique qui nous parle. On a tous cette culture musicale bruitiste, répétitive…
A : … De Terry Riley à la techno, la répétition est un moyen employé depuis toujours pour faire voyager les gens. La répétition, c’est la transe. C’est même le premier motif musical.
Sous ses dehors electro, « A » fait surtout référence au son de certains groupes des années 70 avec une rythmique martiale. C’est inconscient ou pas ?
R: non, c’est tout à fait conscient car c’est la musique qu’on écoute. Mais on refuse de plagier ces groupes seventies. On a intégré la techno, la musique électronique, la musique indienne. On ne veut surtout pas être catalogué « groupe Krautrock » ou « progressif de 1973 ». J’espère vraiment qu’on ne se limite pas à ça, ni dans le discours, ni dans la manière.
A : d’ailleurs, on a voulu un son tout à fait actuel. Il y a des prod’ qui sont très influencés par Sonic Youth.
Est-ce que vous pourriez composer en laissant de côté vos machines pour revenir à une approche plus acoustique ?
R : c’est le but du deuxième album. Plutôt avec des instruments tziganes ou orientaux, un peu de tabla, un oud, des guitares folks désaccordées, de la harpe en open tuning, du violon à la John Cale, du sitar…
Je vois que vous êtes entourés de matériel vintage, ça ressemble à une sorte de laboratoire ici. Si vous poussiez votre démarche artistique à fond, vous n’auriez pas envie de créer vos propres instruments ?
R : oui, réaliser mes propres synthétiseurs, c’est un vrai fantasme. J’espère qu’on y viendra. J’essaie déjà de fabriquer mes propres pédales d’effets !
Est-ce qu’il n’y a pas un danger à se perdre dans l’exploration du son au dépend des compositions ou du plaisir de jouer ensemble ?
R : non, c’est assez marrant de se perdre et de ne plus savoir où est sa place au milieu du boucan général. Là naissent des erreurs et donc des nouveaux sons, de nouvelles pistes. Il faut accepter de se mettre un peu en danger. En concert aussi, les morceaux peuvent changer et prendre une direction inconnue sous l’impulsion de l’un d’entre nous. On se laisse une petite marge de liberté, on flirte avec le risque ce qui nous permet de donner de nouvelles couleurs à nos compositions.