A quelques jours de la sortie de « The Stage Names« , deux membres d’Okkervil River, Will Sheff et Travis Nelsen, accordent quelque temps à POPnews dans un troquet du XXème arrondissement et éclairent un peu la démarche artistique derrière ce nouvel album. Le lendemain soir, les deux hommes se produiront en concert acoustique dans un autre café parisien. Une tournée des bars bien agréable en compagnie d’un des groupes américains les plus captivants de ces dernières années…
Comment prenez-vous les réactions de la presse sur « The Stage Names » ?
Will Sheff : je suis très content des réactions qu’on a eues jusqu’ici. Je pense qu’un certain nombre de gens sont relativement surpris parce que c’est assez différent de « Black Sheep Boy », je savais que ce serait le cas. Mais je me sens assez confiant, j’aime beaucoup l’album et je crois que c’est le cas de pas mal de gens jusqu’ici. J’espère que ça le restera.
Il y a en effet de quoi être surpris au départ par le ton du disque, qui apparaît assez léger. Après quelques écoutes, on lit les paroles, on réécoute plus attentivement et on se rend compte que ce disque est peut-être même plus déprimant encore que « Black Sheep Boy »…
Will Sheff (rires) : c’était un peu intentionnel, je dois avouer. Je voulais qu’il fasse état de difficultés, de problèmes de la vie quotidienne, mais je voulais aussi que ce soient des difficultés plus « normales », plus modernes que d’habitude. Sans forcément tomber dans les élans dramatiques des précédents disques. Avec une attitude volontairement plus positive. Je voulais plus formaliser les choses sur un ton du genre « on s’en paie une bonne tranche et on s’en fout », plutôt que de se lamenter sur son sort, comme j’ai pu le faire souvent.
Est-ce une nouvelle étape pour Okkervil River et donc un moyen d’atteindre un nouveau public ?
Will Sheff : on a toujours eu beaucoup de plaisir à enregistrer et ce n’est pas forcément ce que les gens perçoivent de notre musique. Ils ont plutôt l’impression générale d’un mec plaintif et pleurnichard qui se lamente dans le micro. Je suis assez content si on peut donner une autre impression. Et je serais content si c’était un moyen d’atteindre un nouveau public. J’aime l’idée qu’on ne tourne pas en rond, qu’on ait atteint quelque chose de nouveau. Ce n’est peut-être pas le son qu’on aura toute notre vie, mais c’est bien la façon dont on a envie de sonner aujourd’hui.
Pour moi, la reprise des Beach Boys en fin d’album contribue vraiment à cette illusion générale sur le ton de l’album, avec ce que le groupe véhicule comme clichés de la musique ensoleillée de la côte Est…
Will Sheff : c’est marrant que tu dises ça à propos des Beach Boys. C’est vrai bien sûr, mais quand on regarde la vie de Brian Wilson, abusé étant enfant, très malheureux, mentalement instable, etc., il y a quelque chose d’un peu plus troublant, d’un peu plus sombre que cette première impression. Ça arrive très souvent que les gens qui écrivent des chansons qu’on juge très positives ne soient pas eux-mêmes foncièrement heureux. Ou même des chansons qui nous touchent énormément ne sont pas pour autant écrites par des gens auxquels on donnerait notre estime. C’est un peu un des thèmes de l’album.
Travis Nelsen : je suis un grand fan des Beach Boys et je n’ai jamais pensé à ça réellement, mais l’une des raisons pour lesquelles j’aime ce groupe, c’est justement pour ce décalage. Particulièrement après le quatrième album, les choses commencent à se dégrader vraiment au niveau du ton des chansons. Et on retrouve chez les Beach Boys ce qu’on peut retrouver dans d’autres groupes entraînants, qui vous donnent envie de danser… mais subitement vous écoutez les paroles et vous vous rendez compte que c’est presque blasphématoire de danser là-dessus.
Will Sheff (rires) : quand vous écoutez vraiment « Sloop John B », ça peut sembler jovial d’un point de vue mélodique, mais les paroles sont vraiment désastreuses. La chanson dit en substance : « j’abandonne, je laisse tomber »… Il y a une forme très humaine mais très triste de noirceur derrière un certain nombre de chansons écrites sur ce modèle, et je pense également que c’est le cas sur notre album.
C’est étonnant cette façon d’utiliser le matériel d’une chanson sans pour autant en faire une reprise, comme vous l’avez fait avec Tim Hardin, Otis Redding et maintenant avec les Beach Boys.
Will Sheff : oui, j’ai toujours aimé l’idée d’intertextualité dans la musique pop, et l’idée de se réapproprier les chansons sans pour autant les reprendre formellement. Avec Otis Redding, je voulais montrer comment la musique pouvait devenir une vraie partie de votre vie. Avec cette chanson des Beach Boys, c’est plus le personnage qui m’intéressait, j’aimais l’idée de le reprendre à mon compte.