ST. VINCENT
Aussi charmante que talentueuse, l’Américaine Annie Clark, alias St. Vincent, 25 ans, a collaboré avec The Polyphonic Spree et Sufjan Stevens avant de faire paraître son premier album, « Marry Me« . Un disque qui impressionne par sa grande ambition et sa façon de mêler une multitude d’influences sans que celles-ci soient immédiatement identifiables. D’où l’idée de soumettre la chanteuse à un blind-test, exercice auquel elle s’est prêtée avec beaucoup d’enthousiasme, d’application et de curiosité.
SUFJAN STEVENS – Chicago
(Grand sourire) C’est Sufjan, « Chicago » ! Je jouais ce « tutut tutut tutut »… J’ai des souvenirs vraiment amusants concernant cette chanson. Je peux la laisser un peu ?
Bien sûr. Tu as joué sur l’album ?
Non, juste sur scène. C’était en novembre 2006 à l’Olympia, et j’avais fait la première partie.
Comment était-ce, le travail avec lui ? Est-ce qu’il a influencé ta musique ?
Je pense que c’est un fantastique compositeur et arrangeur, et j’adore vraiment sa musique. Mais j’avais fini d’enregistrer mon album avant de commencer à travailler avec lui, alors je ne peux pas dire que ça a été une influence directe.
Comment en-es tu arrivée à travailler avec lui ?
Eh bien, il me l’a demandé ! (rires). Et Shara Worden, alias My Brightest Diamond, m’a vue jouer du banjo, et a pensé que je serais un bon renfort pour le groupe de Sufjan. Elle lui a glissé l’idée à l’oreille, et nous sommes ensuite devenus amis.
THE POLYPHONIC SPREE – Section 12 (Hold Me Now)
Polyphonic Spree ! (Elle chante) « He started the day with a mood and a shake, he was finally arranged… ». Je l’ai jouée de nombreuses fois, en Europe et aux Etats-Unis. Je n’ai pas participé à cet enregistrement, mais au plus récent, « The Fragile Army ».
Ta musique est assez différente de celle-ci.
C’est vrai. Polyphonic Spree est un peu le bébé de Tim DeLaughter. Bien sûr, j’apporte ma pierre à l’édifice, mais je ne suis qu’une personne parmi vingt-cinq.
Est-ce que jouer avec vingt-cinq personnes est quelque chose que tu trouves stimulant ? Je (Vincent, ndlr) vous ai vus deux fois sur scène, et le second concert était vraiment incroyable.
Complètement, en particulier avec un groupe comme Polyphonic Spree, qui cherche beaucoup à impliquer le public, et atteindre une sorte de frénésie, jusqu’à dépasser toutes les limites… C’est extrêmement stimulant et enthousiasmant.
HUGO LARGO – Turtle Song
Qui est-ce ?
C’est un groupe new-yorkais des années 80 nommé Hugo Largo. Ils ont sorti seulement deux albums, ils ont un peu joué en France mais c’est resté très confidentiel. La chanteuse, Mimi Goese, a une voix unique.
Oui, j’aime bien. Et l’instrumentation aussi.
Il y a un violoncelle, mais finalement assez peu d’instruments, c’est assez dépouillé. Toi-même, quand as-tu réalisé la puissance émotionnelle de ta voix ?
Assez tôt. La première chose que j’ai faite en prenant une guitare est d’écrire une chanson. Quand je prenais des cours de guitare, je chantais des chansons de groupes genre Jethro Tull, (rires), ou des classiques rock. Mais je me suis rendu compte que quand j’essayais de chanter mes propres chansons, même très jeune, vers douze ans, les larmes me venaient aux yeux.
BJÖRK – Hidden Place
(Tout de suite) Björk ! J’aime cette chanson, et j’aime l’album dont elle est tirée, « Vespertine ».
C’est une chanteuse qui a beaucoup de succès, mais dont la musique est restée exigeante, ne se repose pas sur une formule. Elle essaie des nouvelles choses, mais réussit à conserver son public. Est-ce que c’est un modèle pour toi ?
Oui, dans le sens où ce genre d’artiste est capable de mélanger des influences un peu bizarres, ou d’avant-garde, et d’autre plus mainstream. Il y a de tant de choses à explorer et à aimer dans l’avant-garde, même si ce qu’elle fait reste avant tout de la pop.
VASHTI BUNYAN – Lately
C’est bien, mais je ne connais pas… Ah, Vashti Bunyan. Je reconnais finalement, avec la voix.
Que penses-tu de cette scène new-folk, avec des gens comme Devendra Banhart ou Joanna Newsom ?
Il y a un parallèle avec la scène folk originelle des sixties. Je pense à ce qui se passe actuellement dans le monde, et je ne pense pas que ce soit une coïncidence si ce genre de musique revient. Du grand storytelling, et si on pense à Joanna Newsom, il y aussi cette autre dimension, comme un autre monde… Les gens recherchent l’évasion, mais aussi ce qui est proche des racines, parce que nous sommes en temps de guerre. Ce genre de tendance revient de façon cyclique, de toute façon.
Comment expliquerais-tu que la plupart de ces musiciens sont américains ? Est-ce aussi dû à une tradition musicale ?
Je sais que Devendra et Joanna sont tous les deux californiens. Et la Californie a une telle histoire… Même des Canadiens comme Neil Young ou Joni Mitchell s’y sont installés. Il y a une vibration, des paysages, une présence, qui favorisent ce type de musique.
Mais ils s’intéressent aussi au folk anglais, à des gens comme Vashti Bunyan, justement, Fairport Convention, Nick Drake… Tu as fait une reprise de Nico, aussi. Tu la considères comme faisant toi aussi partie de cette mouvance ?
D’une certaine manière, mais je la verrais davantage représentative d’une frange plus étrange, plus new-yorkaise. Le folk californien est quand même plus ensoleillé.
LAURA NYRO – Save the Country
(après une hésitation) C’est Laura Nyro, sur « New York Tendaberry ». J’ai écouté cet album seulement deux fois. Elle est décédée il y a quelques années, non ?
Oui, il y a dix ans. Elle mélangeait différents genres, et tu fais un peu la même chose, non ?
Il y a peut-être des similitudes, mais il faudrait que je réécoute cet album, parce que j’avais seize ans la dernière fois !
THE BEACH BOYS – Surf’s Up
Oui, bien sûr (elle chante). J’adore, je vais juste continuer à l’écouter…
Est-ce que les Beach Boys et Brian Wilson ont influencé ta manière d’utiliser les voix et les chœurs ?
Oui, j’aime tellement cette musique. C’est superbe sur tant de plans. Avec Polyphonic Spree, nous avons fait la première partie de Brian Wilson au Hollywood Bowl. Il a joué quelques hits des Beach Boys, puis l’intégrale de « Smile ». Rien qu’avec « Our Prayer », la première chanson, j’étais déjà complètement bouleversée. C’est le meilleur !
Oui, mais la recherche de la perfection peut être dangereuse. A un moment, il en est devenu fou. Sans aller jusque-là, est-ce que ce n’est pas quelque chose qui t’effraie ?
Ça n’est pas passé loin (rires). C’est sûr que la musique est toujours perfectible à l’infini, il faut savoir s’arrêter.
Est-ce que tu es du genre à toujours remettre ton ouvrage sur le métier ?
Oui, mais j’ai tendance à m’ennuyer assez facilement. Ce qui m’intéresse quand même le plus, c’est d’écrire de nouvelles chansons. Je manque un peu d’endurance, en fait !
Le premier album n’a pas été trop douloureux à faire ?
Non, comme c’était le premier, justement, j’y suis allée sans trop me poser de questions. Mais quand tu le réécoutes, ça ne ment pas. D’une certaine façon, cela te vide un peu, parce que quand tu joues live, tu l’entends d’une certaine façon. Mais quand tu l’enregistres et que tu t’entends, tu te dis : « Mon, dieu, c’est comme ça que je sonne ! », et les premières fois tu peux trouver ça pas très bon.
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