Et de onze ! La nouvelle édition du festival Les femmes s’en mêlent aura lieu du 16 au 30 avril 2008 à Paris, en province et dans plusieurs capitales européennes. Derrière cette pieuvre tentaculaire, un homme, Stéphane Amiel, programmateur affable qui se démène en coulisse depuis une décennie pour offrir une tribune de qualité aux musiciennes. C’est autour d’un chocolat chaud à l’heure du déjeuner qu’il nous reçoit pour évoquer sa vie, son œuvre… enfin son festival et ses coups de cœur 2008 comme Miss Li ou les Duchess Says. Et je ne vous parle même pas des petites flammes qui s’allument dans son regard quand il évoque la venue d’El Perro Del Mar… Un petit garçon malicieux avec des rêves de filles plein la tête, c’est ça aussi Stéphane Amiel !
Quel bilan tires-tu du dixième anniversaire des Femmes s’en mêlent ?
J’ai voulu faire trop de choses. C’était une période un peu particulière parce que ça tombait entre les deux tours des élections présidentielles donc malheureusement je me suis rendu compte que ce qui devait marcher a marché (style CSS) et que ce qui était plus difficile a bien été plus difficile. Donc c’est un bilan un peu en demi-teinte. J’avais fait des paris comme les Slits en pensant qu’elles allaient faire beaucoup d’entrées. Il y a eu beaucoup de presse dessus mais j’ai été super déçu du nombre d’entrées vendues au concert. Le problème, c’est aussi d’être souvent trop en avance par rapport à la notoriété réelle de certains artistes. Imaginons un plateau comme Yelle, Terry Poison et Ebony Bones à la Maroquinerie, aujourd’hui on serait sûr de la remplir, à l’époque on en était loin. Sur un festival de découvertes, je suis obligé d’être en avance et de prendre des risques parce qu’après l’artiste devient trop important et je n’ai pas assez d’argent pour le faire venir. Et puis, le festival n’est plus une priorité pour la maison de disques. Au début, c’est le cas, on a un bon référencement de découvreur d’artistes émergents.
Le fait d’avoir franchi le cap psychologique des 10 années d’existence, qu’est-ce que ça signifie pour toi ?
J’ai l’impression que 10 ans c’est beaucoup et, en même temps, qu’il faut toujours recommencer. Au niveau de la presse, certes, le festival est bien ancré et plutôt bien suivi, on a un accueil super chaleureux. Mais, bizarrement, c’est toujours aussi difficile de monter une nouvelle édition, de trouver les financements, d’intéresser les gens, de leur faire comprendre les choses. Le festival est installé dans les esprits mais financièrement il peut disparaître rapidement. Et puis c’est un festival restrictif qui ne programme que des filles même si ça peut couvrir tout le spectre de la musique. C’est toujours dans un cadre précis, il faut que ça nous plaise. On est donc un petit festival. Pour te donner un exemple, la préparation de cette onzième édition n’a pas toujours été évidente. Il y a des artistes que je n’aurai pas comme Adele.
Quelle est la part entre découverte et rentabilité ?
Sur chaque soirée, il faut qu’il y ait un moteur. Ce que je n’ai pas réussi à faire cette année. D’un point de vue artistique, la programmation de cette année me plaît mais après, je sais qu’il va falloir mettre les bouchées doubles pour remplir la salle. J’ai lorgné sur Adele dès l’automne et finalement elle ne sera pas là. C’est dommage. Quand j’ai une « locomotive » pareille, je peux me permettre de construire autour un plateau avec de vraies découvertes parce que je sais qu’il y aura 3 ou 400 entrées payantes. Ça sert à ça « Les femmes s’en mêlent », pouvoir programmer des choses qui me tiennent à cœur en passant par des choses qui rendent viable le festival.
Est-ce qu’il y a un esprit particulier qui s’est forgé au fil du temps et auquel les artistes adhèrent ?
L’esprit des Femmes s’en mêlent, c’est l’addition de toutes celles qui ont dit oui et qui entraînent les autres aujourd’hui. J’ai essayé de créer un état d’esprit général même s’il y a toujours eu des soirées différentes avec des états d’esprit différents. J’essaie de faire les choses bien. Le feedback des artistes dit que c’est un festival convivial, très humain, intime. On est assez proche des artistes. Certains ont même très envie de revenir. On est aussi confronté à des malentendus ou à d’autres qui font un concert et puis basta. On ne programme pas juste pour se faire des amies.
Est-ce que c’est pertinent de faire un festival de femmes sachant que ça pourrait être pris comme la stigmatisation d’une catégorie de musiciens ?
Est-ce que c’est pertinent ? Ben j’ai décidé de ne plus me poser la question. Je me dis que c’est l’opportunité pour pas mal de gens de jouer dans de bonnes conditions et de se faire connaître avec des moyens conséquents. Rien que pour ça, je pense que le festival est pertinent. Sur la stigmatisation supposée, j’ai l’impression que je fais plus de bien que de mal et que tout le monde le comprend, aussi bien dans les milieux féministes et activistes que dans les milieux lesbiens. A titre d’exemple, ça fait des années que les Lesbians on Ecstasy me demandent de venir au festival parce que, pour elles, c’est un moyen de s’ouvrir à un plus large public tout en revendiquant leur identité. En fait, ça dépend vachement de l’état d’esprit des groupes.
On ne t’a jamais reproché le côté sexiste du nom du festival : les femmes qui se mêlent de tout, le fantasme masculin du saphisme etc. ?
A l’époque, c’était ça. Ça voulait dire que les femmes n’étaient pas invitées dans le business de la musique et que, par conséquent, elles allaient y mettre leur grain de sel. Non, je trouve que c’est un titre plutôt juste et qui nous donne raison car aujourd’hui il y a de plus en plus d’artistes féminines qui se lancent dans la musique. Je t’assure que ce n’était pas le cas il y a dix ans. On pourrait faire un mois de festival et ça pourrait prendre encore de l’ampleur.