Tout juste une heure avant un magnifique concert, Bachar Mar-Khalifé, auteur du superbe « Who’s Gonna Get the Ball From Behind the Wall of the Garden Today ? » nous a accordé ving-cinq minutes d’un entretien à tête reposée.
Tu as reçu un superbe accueil critique, quel est l’accueil public ?
Cela dépend du contexte. Le lancement du CD s’est fait au Café de la Danse, et ça a été très chaleureux, c’en était presque déstabilisant. Ça l’était déjà au niveau de l’accueil critique, parce que lorsqu’on l’enregistrait, dans le studio sous la neige, on se demandait qui allait l’écouter. C’est surprenant et positif de voir l’ouverture des gens à notre époque, alors que la pollution sonore et visuelle qui nous entoure est très forte. Au Café de la Danse, c’était très agréable de voir que les gens venaient pour ça, mais je me doutais que cela n’allait pas rester toujours comme ça. Le rapport est différent quand je joue en festival, et il y a un peu plus de prudence.
C’est toujours différent, on ne sait jamais pour qui les gens sont là…
Cela me permet aussi d’aller complètement ailleurs dans les morceaux.
Tu les changes souvent si tu sens l’audience différente de « ton public » ?
Je les change tout le temps quoi qu’il arrive. Je prends en compte le lieu, la salle, mon état sur le moment, le public… Pour moi, ça reste de la matière, la musique : ce n’est pas figé, le but c’est de jouer avec ce que j’ai en main. Le but ce n’est pas de donner ce que les gens attendent. On dit que je suis renfermé dans ma musique, mais c’est parce que j’ai quelque chose à dire, à ce moment-là, que je vais dire de cette manière-là, et j’espère toujours que les gens écoutent le moment.
Donc pas de téléphone portable…
Non, en effet. De toute façon, ça ne s’y prête pas !
Tu es seul sur scène, mais as-tu des projections vidéo, etc ?
Je commence tout juste une réflexion, avec un projet de résidence pour modifier le spectacle, afin de pouvoir encore plus vivre chaque morceau, que ce soit plus que musical et visuel.
Tu disais tout à l’heure, en rigolant, que tu te demandais qui allait écouter ça : est-ce que tu as eu l’impression d’enregistrer quelque chose de compliqué ?
Non, pas du tout pour celui-ci. Autant le premier album a été compliqué à faire, c’était quelque chose de très réfléchi, depuis longtemps, une phase de questionnement… Alors que celui-ci, il est né des concerts, il était assez évident. L’enregistrement a été rapide, agréable et fluide. Je ne me demandais pas si je faisais quelque chose de simple ou de compliqué, mais c’est un résultat d’un travail. C’est aussi la perception, l’interprétation des gens qui en font ce qu’il est. C’est comme avec la poésie, certains trouveront un vers compliqué, d’autres non.
Tu n’as aucun contrôle là-dessus de toute façon.
Je ne cherche pas à comprendre, c’est pareil pour un livre ou un film. Je cherche à le vivre, je ne cherche pas d’explication. Si une musique est très travaillée et que ça s’entend, pour moi ça n’a pas forcément de sens, je veux juste la ressentir. Il y a des gens qui aiment étudier la musique, il y a des gens qui ont des diplômes pour ça (sourire).
Ce qui explique peut-être le côté charnel, sensuel du disque, un rapport avec la danse.
Oui, en effet. Surtout, j’ai eu un besoin très fort d’arriver à un point où je peux être sur scène, faire mon métier… mais en fuyant le fait que ce soit un métier. Je veux être un corps sur scène, des pensées, être libre, donc surtout ne pas m’enfermer derrière une technique. J’ai redécouvert le plaisir d’être sur scène, de jouer des notes et partager avec des musiciens, mais là j’avais un grand besoin de vérité.
Tu viens d’un cursus classique ?
J’ai tout fait !
Est-ce que c’est facile de s’en éloigner ?
Très. En fait, il s’agit de prendre conscience que tout ce que l’on a appris, c’était peut-être sans grand rapport avec la musique. Le conservatoire, c’est beaucoup de travail, l’excellence, ça crée de bons soldats – avec tout le respect que j’ai pour les professeurs et musiciens classiques. Mais on nous donne trop rarement la vérité sur la musique, mais peut-être doit-on la trouver soi-même. Il y a des musiciens très talentueux, mais c’est juste une question de philosophie qui permet de s’ouvrir. Tu parlais de la danse tout à l’heure, et je me demande comment on peut être musicien sans avoir conscience de son corps, sans danser.
Tu parles du corps, mais tu es tout seul sur scène. Tu ne te sens pas prisonnier de tes instruments ?
Oui, j’ai le fantasme de n’avoir aucun instrument et d’être parfaitement libre. Il y a eu un moment où je me suis senti prisonnier du piano, imposant sur scène, et ça m’a gêné. Je voudrais que tout soit au même plan, car tout est instrument, outil même. Pour me libérer de tout ça, je tente de me focaliser sur l’essentiel, le son.
Est-ce que justement, en studio, tu te décrirais comme « maniaque » ?
Je travaille avec des maniaques, comme Joachim Olaya, qui va tellement plus loin qu’un ingénieur du son. Il est déjà mon ami, et m’apporte beaucoup, tout comme François Borin. Moi, je n’ai pas les compétences techniques pour être maniaque, il y a plein de musiciens dont je ne comprends pas les paroles quand ils parlent technique ! Je suis même un peu négligé dans mon approche du son, j’aime bien quand c’est un peu sale. Peut-être que tout le monde est maniaque à sa façon (sourire).
Tu es signé chez InFiné, comment ça s’est fait ?
En fait, c’est après mon premier disque, que j’ai enregistré avec Aymeric Westrich, mon frère Rami et un autre ami, qui m’ont dit que je devais absolument signer chez eux. Je pense que j’aurais pu continuer à faire de la musique dans mon coin, je serais passé à côté de plein de super choses. Je ne voulais pas faire de concert, pas de promo… Petit à petit, ils ont su m’amener à en faire plus.
Tu ne faisais pas de concerts avant ?
Pour moi, le disque était vivant comme ça. Peut-être qu’aussi je n’étais pas prêt…
Tu te sens plus à l’aise maintenant ?
Disons que ce n’est pas encore naturel, d’ailleurs c’est extrêmement compliqué. Il y a une remise en question, c’est une épreuve, mais peut-être que ça viendra quand je simplifierai le tout, avec des musiciens autour de moi. C’est un combat. Surtout que je ne suis pas quelqu’un d’expansif à la base…
Tu mets beaucoup de toi dans tes chansons ?
Oui, c’est une démarche très romantique, très « centre du monde ». Être le centre du monde car tout sort de soi. Je ne me suis pas vraiment protégé sur le disque.