A l’occasion du concert que le groupe A Singer Must Die donne avec l’orchestre de chambre d’Anjou le 8 avril au Grand Théâtre d’Angers, événement dont POPnews est partenaire, Manuel Ferrer et Manuel Bichon, têtes pensantes du groupe, et Pierre-Antoine Marçais, chef d’orchestre de l’OCA, se sont prêtés au jeu de l’interview croisée pour expliquer les conditions de cette rencontre musicale et la manière dont les chansons du magnifique « Venus Parade & More Songs Beyond Love », dernière livraison du groupe, vont être revisitées.
Comment a émergé l’idée de cette collaboration ? Y avait-il l’idée de faire tomber les barrières entre les univers musicaux ?
Manuel Ferrer : A vrai dire, elle ne s’est pas posée comme ça au départ. Cette envie de proposer sur scène les versions orchestrées de l’album nous semblait très naturelle, mais totalement irréalisable ! D’ailleurs, dans la même période où la date au Grand Théâtre d’Angers s’est confirmée, on recevait quelques mails de programmateurs de salle qui disaient « : « Je peux vous faire jouer, mais en formule à deux ou à trois, pas plus. » Là, nous serons une trentaine au total ! Il y a presque quelque chose d’insolent dans un tel contexte, comme si le pays était sorti de la crise. Dès la première rencontre avec l’orchestre, l’enthousiasme était là, si bien qu’on était déjà en train d’envisager les aspects techniques du concert et sa mise en place. L’envie de concrétiser cette expérience a été d’une belle réciprocité, en fait. De leur côté, ils cherchaient régulièrement à sortir un peu du répertoire classique, ou à présenter des pièces parfois méconnues du public. Là, ça tombait à point nommé !
Le langage n’est évidemment pas le même, et c’est ce qui rend la chose justement passionnante. Les codes utilisés en classique donnent à nos chansons une écoute différente, mais avec une sensibilité qui finit par rejoindre notre intention de départ. Ils sont doués. C’est à la fois stupéfiant et très émouvant d’assister à une séance de travail de direction d’orchestre. Je revois encore Pierre-Antoine Marçais lors de la première répétition indiquer aux cordes « Plus d’allant, plus d’allant… » sur l’introduction de « The Armless Sailor ». Moi, je disais à Manuel à l’étape des arrangements : « Je veux entendre au tout début trois mouvements capables d’évoquer la mer qui se retire. » On était finalement sur la même perception, dans un espace un peu abstrait où seule la musique parle. Les barrières n’existent pas.
Au-delà des références classiques qu’on partage autour du romantisme ou de la musique baroque, il y a aussi les musiques de films, celles de Bernard Herrmann par exemple. En discutant avec François Ferchaud, qui préside l’association de l’orchestre, j’ai découvert qu’il connaissait particulièrement bien le sujet pour avoir longuement travaillé sur le compositeur. Ça créé de belles passerelles supplémentaires, je trouve. Je suis très impatient d’entendre la manière dont les sons vont s’accorder entre eux. C’est une chance inouïe de les avoir rencontrés.
Pierre-Antoine Marçais : Comme je m’amuse à le dire parfois, la musique classique, c’est un peu la grand-mère de toutes les musiques actuelles. Elle a donc quelques vieilles manies ! (rires) Il nous faut créer les passerelles entre les univers musicaux pour qu’elle puisse aussi s’inscrire dans son temps. Je pense qu’un tel projet fait évoluer la vision de chacun, musiciens mais aussi public, sur les différents styles, et doit permettre l’ouverture à des mondes sonores vers lesquels on ne se serait peut-être pas tourné tout seul. Et puis la musique, c’est un langage universel ! Y a-t-il réellement des barrières autres que celles que nous voulons mettre ?
Pierre-Antoine, aviez-vous déjà travaillé sur des projets similaires ?
J’ai pu en tant qu’instrumentiste et chef d’orchestre participer à des projets où la musique classique était mêlée à d’autres genres musicaux (bagad breton, groupe de musique orientale, etc.), mais avec un groupe pop c’est la première fois ! J’avais déjà eu l’idée de monter la pièce des Pink Floyd “Atom Heart Mother” avec des musiciens de l’orchestre symphonique du Conservatoire d’Angers et la classe de musiques actuelles mais hélas, le projet n’avait pas eu le temps de voir le jour. C’est excitant de pouvoir enfin réaliser une telle rencontre des genres !
Manuel, “Venus Parade” sonne très orchestral, développant une tendance que l’on retrouvait déjà par instants dans le premier album. Tu te places dans la tradition de certains compositeurs qui te sont chers (Neil Hannon, Scott Walker…) Entendra-t-on au Théâtre d’Angers tes chansons telles que tu souhaites vraiment les faire sonner ? Le prochain album du groupe suivra-t-il cette tendance ?
MF : Cet album qui a été en grande partie bricolé devant un ordinateur était forcément de l’ordre du fantasme orchestral. C’était sans doute un appel ouvert pour provoquer cette rencontre avec un orchestre symphonique (sourire). Pour être honnête, ça dépasse largement tout ce que j’aurais pu imaginer. Il y a quelque chose d’inexplicable à entendre tout un ensemble jouer ses propres chansons. Tu lances des chansons vers l’extérieur à qui voudra bien les entendre, et tout d’un coup c’est l’inverse, une vingtaine d’instrumentistes te les renvoient, en grand et de manière vibrante. C’est aussi une manière de donner une vie panoramique à cet album, le pousser jusqu’au bout de ce qu’il a voulu dire. Pour le prochain, j’aurai peut-être envie de lui donner une forte coloration à base de clavecin/flûte/cor et beaucoup d’autres vents, mêlée à des sons sales et saturés, je n’en sais rien pour l’instant. En tout cas, j’aime me dire que c’est tout à fait possible… Mes chansons naissent sans style particulier, elles partent sur quelque chose de très libre. J’aime bien l’idée que cette liberté-là accompagne tout le processus d’une chanson jusqu’à l’enregistrement. Si je sens que je peux aller encore beaucoup plus loin dans le lyrisme, le romantisme, je le ferai. Je crois que c’est aussi une forme de radicalité, en quelque sorte…enfin en tout cas, c’est la nôtre (sourire).
De quelle manière les morceaux ont-ils été retravaillés dans le cadre de cette date particulière ?
Manuel Bichon : Ce qui est particulier dans notre cas, c’est que notre album intègre certains éléments de l’orchestre, on peut déjà y entendre des violons, hautbois, cors ; ce sera alors l’occasion d’entendre certains titres dans leur version originale. Le plus gros challenge est d’adapter ce qui fut un travail de studio à une version orchestrale pour un concert, et les choses se compliquent d’un coup ! Il y a une cohérence, un équilibre à trouver entre le groupe et l’orchestre, un travail passionnant d’écriture des partitions. J’ai également écrit deux mouvements que l’orchestre interprétera seul, l’un d’eux précédera la seule reprise du live, titre emblématique d’un grand songwriter.
Quelle méthode de travail avez-vous adoptée pour répéter ensemble ?
MB : Après avoir terminé toutes les partitions destinées à l’orchestre, j’ai eu beaucoup d’échanges avec Pierre-Antoine pour qu’il me fasse part de sa vision, de ses conseils. Nous avons eu une première répétition avec l’orchestre seul, pour la première lecture des partitions. Ce fut un moment merveilleux car ce qui n’était que des notes sur une feuille blanche prenait forme sous mes yeux. Je ne suis que très peu intervenu lors de cette répétition, Pierre-Antoine agissant magnifiquement, en parfaite harmonie avec l’orchestre d’un côté et le compositeur de l’autre. Nous avons ensuite deux jours de répétitions prévus avec le groupe ainsi qu’une générale la veille du concert.
P-AM : Pour l’orchestre, le travail est assez similaire à celui que l’on entreprend quand on prépare un concerto, à la différence près qu’ici ce n’est pas un soliste que l’on accompagne mais un groupe pop ! On commence par une première lecture au cours de laquelle on découvre les pages de musique et on travaille les passages spécifiques à l’orchestre. J’en profite pour remercier encore une fois Manuel et Manuel d’avoir passé avec nous toute la première journée de lecture et de nous avoir fait entendre un aperçu en acoustique de leur univers musical. On arrive ensuite aux choses sérieuses avec les répétitions entre le groupe ASMD et l’orchestre OCA. Il faut travailler la mise en place, les équilibres, l’intonation, et apprendre à se connaître, à se trouver en peu de temps. Puis c’est déjà la générale, où l’on se retrouve dans le lieu du concert, et au cours de laquelle il faut travailler les balances avec l’acoustique du théâtre. Et enfin, après quelques mois de préparation intense, le point d’orgue, le moment inoubliable : le concert !
Pierre-Antoine, lorsqu’on a l’habitude de travailler sur des œuvres classiques, comment appréhende-t-on le travail sur des morceaux pop ? Est-ce plus aisé, plus complexe ?
P-AM : Vous savez, il y a eu tellement de styles différents sur les quatre derniers siècles de musique classique qu’au final, travailler sur des morceaux pop, c’est un peu comme si c’était un nouveau style. C’est ça qui est génial en musique car après vingt ans de pratique musicale, vous pouvez encore vous initier à un nouvel univers. Il faut cependant faire attention à certains points spécifiques à ce mariage peu fréquent de ces genres dans le travail de préparation. La grande différence avec un concert classique est que le groupe pop est amplifié. Il faut donc anticiper tout le travail d’équilibre des timbres et des nuances. Le deuxième point important de la préparation est de connaître parfaitement chaque titre. Dans ce style de musique, l’orchestre a un rôle d’accompagnateur, le chef d’orchestre doit donc être présent pour aider chaque entrée des instruments qui, eux, ne connaîtront pas les parties jouées par A Singer Must Die à la première lecture. Lorsque l’on veut être exigeant, en musique, rien n’est jamais aisé, mais quand on travaille avec des personnes compétentes et sympathiques, tout devient plus facile !
Retrouvera-t-on des extraits du premier album au cours de ce concert ?
MF : Je pense que c’est trop tôt.. même si certains anciens titres auraient pu très bien sonner avec une orchestration aussi ample. Il y avait essentiellement des balades sur « Today, It’s A Wonderful Day », alors j’aurais plutôt imaginé dans ce cas une base piano/voix avec tout un ensemble de cordes. Reprendre tout cet album pour une occasion particulière, pourquoi pas… mais nos concerts sont en fait si peu nombreux que je ne ressens pas un besoin fort, pour l’instant en tout cas, de retrouver ce répertoire. Il a fallu faire des choix dans un temps très court, et c’est l’excitation de la nouveauté qui l’a emporté. Là, il y aura pas mal de nouvelles chansons qui vont être jouées en plus de « Venus Parade », avec aussi ces instrumentaux spécialement composés pour l’occasion.
Envisagez-vous une collaboration qui ne se limitera pas à cette seule date ?
MF : Ce serait une magnifique manière de prolonger l’expérience, mais c’est déjà tellement compliqué, ça tiendrait du coup de bol… Il reste un avantage, c’est que tout est désormais écrit pour cette formule-là, et donc prêt à être reproduit ailleurs. Quoi qu’il arrive, nous sommes déjà très chanceux de pouvoir proposer un tel concert.