C’est arrivé il y a trente ans, mais les disques sonnent comme si c’était sorti la semaine dernière. Tandis que la pop des Smiths, de Sarah Records, Postcard ou celle de l’école C86 (que l’on dénommera « Twee Pop ») faisait fureur outre-manche, un bastion français voulait reprendre à son compte le flambeau de cette pop « ligne claire » pour la transposer au niveau hexagonal. Alors que ce type de sonorités se retrouve dans nombre des disques actuels que nous aimons, nous avons contacté Philippe Lavergne, leader des Freluquets, l’un des groupes les plus emblématiques de cette scène, pour parler de cette croisade pop menée rickenbackers et premiers Inrocks en main.
Tu as commencé ta carrière de musicien comme batteur, avant de passer à la guitare et au chant. La musique que tu faisais durant cette période était-elle déjà de la pop ?
Non, pas du tout, lorsque j’ai commencé à jouer, on venait de connaître le punk, le post-punk et la new-wave, notre musique était très influencée par cette scène : J’étais un grand fan de The Jam, mais on écoutait également plein d’autres groupes : The Ramones, Siouxie and the Banshees, Undertones… J’habitais Perpignan, qui était un peu excentrée, mais on allait souvent sur Toulouse, qui était une ville plus ouverte.
Lorsque j’allais en Angleterre, j’achetais beaucoup de disques, en allant notamment à Rough Trade, et, vers 1985-1986, énormément de groupes sortaient des disques formidables : les Pale Fountains, Orange Juice, Felt, les Weather Prophets, Tallulah Gosh, les Go-Betweens… je pourrai passer une heure à tous les citer.
Puis j’ai commencé à écrire des chansons dans cette veine-là, en effet, très inspiré par la scène C86, les Smiths, que l’on écoutait beaucoup. On nous a assimilé, avec les Freluquets, à cette pop « ligne claire », de la même manière que Gamine, Oui Oui, les Objets, mais on n’écoutait pas que ça, on avait des goûts très variés dans le groupe.
Les disques des Freluquets ont 25 ans, quel regard portes-tu sur ces deux albums ? En es-tu toujours fier, as-tu des regrets ?
Je suis fier de tout, tout d’abord parce que cela nous permet d’en parler au bout de 25 ans : je pense que les chansons sont bonnes, et j’en suis fier comme objet en tant que tel. Nous étions très fans dans le groupe des disque de Factory Records, Stoyan (le chanteur du groupe, ndlr) était un grand amateur des pochettes de 4AD. Je regrette simplement que la production ait été bâclée. On s’est retrouvé dans le studio avec des ingénieurs du son qui n’aimaient pas ce qu’on faisait, et comme nous n’avions pas, nous-mêmes, une grande expérience de studio, nous n’avons pas pu imposer nos choix.
Nous avions la possibilité d’être produit par Michael Head (Pale Fountains, Shack), mais il était à l’époque sous l’emprise de substances opiacées, et même si nous étions très fan de lui, cela aurait été ingérable, et par ailleurs, je n’étais pas très fan de ce qu’il avait fait sur le premier album d’Autour de Lucie. De la même manière, Ian Mc Culloch semblait intéressé, mais les circonstances ont fait que ça ne s’est pas réalisé.
L’ambiance n’était pas bonne pendant l’enregistrement du deuxième album, on s’est retrouvé à enregistrer à Stuttgart, dans un endroit qu’on ne connaissait pas, du coup on enregistrait à reculons. Je passais mon temps à m’accrocher avec Stoyan, qui a quitté le groupe un peu avant l’enregistrement. Rodolphe, le batteur, était très intéressé par la house music et a, du coup, remplacé certaines de ses batteries par des programmations. Denis devait passer ses examens… Tout cela a fait que l’album ne s’est pas fait dans des conditions idéales. Comme nous n’étions pas vraiment suivis par le label, je devais tout prendre en charge : booker les concerts, organiser les répétitions, et toute l’intendance.
Les faibles ventes de l’album ont entraîné le départ de Denis et Rodolphe. Nous avons recruté deux membres des Chaplinns en remplacement, nous étions très inspirés par « Seamonsters » de The Wedding Present. Mais Allan Gac, le patron de Rosebud n’aimait visiblement pas l’orientation que cela prenait, mais nous avons un jour appris, via mon frère Christophe qui était graphiste à Rosebud, que nous ne faisions plus partie du label.
On observe ces derniers temps un retour de groupes très inspirés par cette pop « ligne claire » inspirée par l’école C86, les Smiths… Comment expliques-tu ce retour en grâce de ce genre musical qui n’avait pas, à l’époque, pas vraiment rencontré en France un franc succès, et était resté un phénomène anglo-centré ?
Je pense que cela est dû en partie au fait que certains des acteurs de cette scène, JD Beauvallet ou Emmanuel Tellier en tête, se trouvent actuellement dans des fonctions leur permettant de mettre en avant cette musique. Et on a aussi la chance de redécouvrir actuellement des artistes qui étaient complètement passés sous silence à l’époque. Je pense aussi que la concurrence entre les artistes français jouant cette musique étaient trop forte. Ma vision à l’époque était qu’on devait se serrer les coudes entre nous si l’on voulait que cette scène soit cohérente et ait des chances de percer, mais, hormis des groupes comme Gamine, la plupart était dans une logique de compétition.
La fin des Freluquets coincide avec le début de l’aventure Qu4tre ?
Oui, nous avons eu la chance de pouvoir travailler avec Damian O’Neil des Undertones et That Petrol Emotion, ce qui a conduit à un son beaucoup plus ample, très influencé par la noisy-pop de l’époque. Patrice et moi avons recruté Thierry Volver et Pierre-Jean Grappin (on retrouvera ensuite ce dernier dans Holden). Nous avions initialement prévu de faire un album, mais seuls 6 titres ont pu effectivement être réalisés, par manque de moyens. Les critiques étaient bonnes et le disque passait en radio. Malheureusement, il y a eu un gros problème de distribution. Notre disque était diffusé par les radios, mais les gens n’arrivaient pas à trouver le EP. On s’est ensuite rendu compte que Media 7 avait perdu le carton dans lequel se trouvait nos disques qui, du coup, n’étaient disponibles nulle part ! On a réussi à récupérer le carton en question, on en a vendu une centaine au Japon et une centaine autour de nous, mais il doit en rester 200 dans le carton que Patrice a gardé.
A la suite de cela, nous avons tourné avec Dominique Dalcan avec Rodolphe, puis j’ai retrouvé Stoyan pour créer le projet Mars, assez influencé par Cornershop. Suite au décès de ma mère et au fait que Stoyan soit tombé d’une fenêtre lors de cette même période, j’ai arrêté la musique pendant quelques temps. J’avais besoin de me retrouver, de faire le point.
Après quelques temps, j’ai repris contact avec Rodolphe qui, toujours très influencé par la musique électronique, continuait à creuser un sillon trip-hop, en réalisant des boucles. Je l’ai rejoint et nous avons travaillé ensemble sur le projet Bassmati.
Etais-tu toi-même influencé par le trip-hop à cette époque ?
A l’exception du premier Portishead, qui est un classique, je n’étais pas très porté sur cette musique. Mais je suis entré dans cette aventure car j’avais l’envie de retourner dans le monde musical et d’apporter ma contribution à un projet.
Je suis ensuite passé au projet Aujourd’hui Madame, réalisé avec François Jazkarzek. J’ai recontacté à cette occasion Pierre-Jean Grappin qui a ramené dans ses valises le clavier de Holden, un excellent musicien mais avec qui le courant n’est pas passé. Ils me disaient tous qu’ils ne voulaient pas faire de pop, alors que c’était mon objectif… mais j’ai dit le contraire car je voulais que le projet se fasse, même si j’ai refais de la pop dès que j’ai pu ! Mais des tensions sont très vite apparues au sein du groupe, qui n’a pas publié ce qu’il aurait dû malgré deux EP sortis en 2009.
J’ai ensuite quitté la France pour les Etats-Unis pour raisons familiales et ai créé, avec la complicité de Rodolphe, le projet Country Club, qui a sorti un album en 2013.
Quels sont tes projets immédiats ?
Je travaille actuellement avec un chanteur-parolier rencontré via les réseaux sociaux, très grand fan des Smiths et de Morrissey. Je lui envoie les musiques que je compose et il y pose ses textes. C’est très prometteur.