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John Cunningham – Interview

Alors que paraît le somptueux « Fell », entrevue avec son auteur sur une terrasse ensoleillée de l’Est parisien. John Cunningham, immense artiste, injustement méconnu du grand public. Cet homme devrait remplir des Accor Hotel Arenas.. Backing vocals dispensés par les oiseaux dans le jardin, deux calices d’excellents vins français : le tête-à-tête peut commencer. Interview-fleuve, réalisée avant le cataclysmique Brexit.

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John, « FELL » vient d’être publié chez Microcultures : vos fans s’impatientent après cette longue pause de 14 ans (album précédent : « Happy-Go-Unlucky » en 2002 NDLR).

John Cunningham : une période de repos, je dirais (rires)

Pourquoi as-tu choisi ce titre ?

J’aime ce titre car on peut l’interpréter de différentes façons. En fait, c’est le nom d’une petite montagne dans le Lake District, la région où je vis. J’ai choisi ce titre car il est bref, concis. Même s’il a plusieurs sens, il fait donc référence à un endroit unique, propre au Lake District.

Pendant ce break entre deux disques, tu continuais à écrire régulièrement ?

Oui, je n’ai jamais cessé d’écrire des chansons mais je n’en étais pas vraiment satisfait… Les morceaux qui passaient le test du temps, je me suis dit qu’ils valaient le coup dans la mesure où je prenais toujours du plaisir à les chanter, même 5 ans après leur écriture, par exemple ! Certains titres sont donc assez anciens.

Et quels sont les plus anciens ?

Il y en a deux qui ont été écrits il y a bien longtemps : « Let Go Of Those Dreams » et « Flowers Will Grow On This Stony Ground ».

Le titre qui ouvre le disque et celui qui le clôt !

Ah oui tiens, c’est vrai ! 

On retrouve souvent dans ta musique une ambiance apaisée, un sens de l’intimité qui met l’auditeur à l’aise. Est-ce délibéré quand tu écris et enregistres ?

Pas consciemment. A titre personnel, je suis attiré par les musiques avec une personnalité. Des chansons qui racontent une histoire intime, qui a du sens à mes yeux.
Plus que les trucs du genre « On va faire la teuf ! ». J’adore par ailleurs ces musiques festives mais le plus important selon moi, c’est de pouvoir emporter cette musique avec soi, la faire sienne. Ou en tout cas, pouvoir y associer des références personnelles. C’est probablement inconscient mais ce sont les musiques qui me parlent. 

As-tu une technique favorite pour composer ? Par exemple, quand une mélodie survient, tu imagines toute la structure ou tu vas la développer à la guitare ou au piano ?

Chaque chanson a son propre développement. Un motif va surgir quand je suis au piano ou à la guitare et si je suis dans les bonnes dispositions (et je dois l’être !), je vais laisser cette mélodie voyager, faire sa vie et je vois ce que ça donne. Si je dois lui forcer la main, ce n’est pas bon signe. Si je veux lui donner une forme qui ne lui convient pas, ça ne fonctionnera pas. Et parfois, j’associe plusieurs idées, trouvées à des moments différents. J’ai littéralement une banque d’idées en stock, tous les jours en arrivent de nouvelles. Je consulte cette data et je vois si certaines résonnent entre elles et si je peux en approfondir d’autres. L’Iphone est génial pour ça, c’est super pratique. Dans le passé, j’utilisais un bon vieil enregistreur à cassettes mais bon, tu ne peux pas le trimbaler partout avec toi ! Avec l’iPhone, tu attrapes les idées qui passent et tu les as en magasin.

Les paroles te viennent parfois en premier lieu ?

La musique vient toujours en premier. Et les mots naissent ensuite de la musique. Il m’est plus difficile d’écrire les paroles car elles doivent convenir à l’humeur musicale, concorder avec ce que la mélodie exprime. J’écris toujours les paroles séparément. Si le son d’un mot me vient à l’esprit, je vérifie si ça colle. On peut parler ici de « soundwriting », un peu prétentieux, n’est-ce pas ? (Rires). L’esprit de la musique va façonner les paroles 9 fois sur 10. Même si de temps à autre, un flot de paroles va me tomber dessus et je devrai changer la structure mélodique, mais c’est plus rare.

A bas la dictature couplet/refrain/couplet : peux-tu nous en dire plus sur ton goût pour les ponts ?

Ah bon, tu trouves que j’aime les ponts !? (Rires) 

Pas un pont dans le sens 60’s avec les 8 mesures réglementaires etc… Plutôt un goût pour une 3e partie, bien différente des 2 autres, qui raconte autre chose.

En effet, j’aime ça ! « Imitation Time » serait un bon exemple. Avec cette séquence qui part on ne sait où ! Je ne le fais pas consciemment mais c’est vrai que la plupart des chansons que l’on entend sont agencées de la même manière et je trouve que ça sonne un peu laborieux, trop évident. Je suis un grand fan de Bach qui était le génie de la mélodie (et pas seulement de la mélodie !). La façon dont il va en apparence compliquer la donne puis brillamment retomber sur ses pieds avec un tel sens de la perfection : c’est incroyable. Je ne me situe naturellement pas à son niveau, pas de doute là-dessus ! Mais j’aime bien créer une partie en plus, un pont qui va t’emmener ailleurs. On aura la sensation de se perdre puis progressivement de retrouver son chemin.

 

Certaines chansons de « FELL » rappellent volontiers deux grands albums de 1966 : « Pet Sounds » et « Revolver ». Penses-tu que cette année-là fut un âge d’or pour la pop music ? Te vois-tu comme un héritier de cette tradition ?

On aurait pu citer « Blonde On Blonde » et tant d’autres ! En termes de songwriting, de production, d’arrangements, ma réponse est clairement oui. Complètement. Et oui, je veux contribuer passionnément à faire vivre cette tradition du songwriting. Non pas que je fasse de la musique pour cette raison mais je crois que les gens qui partagent ce point de vue se doivent de la faire perdurer sans quoi elle disparaîtra. Il ne s’agit pas de se rendre importants mais cette communauté d’esprit est à mettre au service de la transmission. Sinon, les jeunes générations vont perdre le fil et ne sauront plus distinguer une bonne chanson d’une mauvaise ou ne seront plus en mesure de reconnaître une chanson qui leur envoie un message profond ou superficiel.

 

Parlons de quelques chansons de l’album en détails :

– Le refrain triomphant du titre d’ouverture « Let Go Of Those Dreams » sonne comme un manifeste : « je suis de retour ! ». Qu’en penses-tu ?

Possible ! Si c’est le cas, il s’agit une fois encore d’un choix inconscient. Jamais je n’ai voulu dire avec ce titre « Me revoilà ! ». Maintenant que tu me le fais remarquer, « Let Go Of Those Dreams » est une bonne porte d’entrée dans le disque. Une idée qui parcourt l’album d’un bout à l’autre, c’est justement l’ambigüité : « laisse tomber ces rêves » et à la fois « n’abandonne pas ».
L’une des choses que j’ai apprises en devenant plus vieux et plus sage (espérons !) : j’accepte maintenant cette dualité : d’un côté, ce n’est pas grave, le succès n’est pas important. C’est quoi le succès ? Il revêt une signification différente pour chacun. Et d’un autre côté, cette ambigüité, on la retrouve aussi dans la ténacité, l’opiniâtreté quand on réalise « mais, c’est ce que je fais, ce que nous faisons tous ». Le message est : « continue, continuons ». Je suis à l’aise avec cette ambivalence maintenant. Au final, c’est un thème qui revient sans cesse dans « FELL ».

 

– Les boucles dans la seconde moitié de « We Get So We Don’t Know » ; comme la majorité de tes chansons, celle-ci est finement arrangée et puis on bascule donc dans un autre monde à 3’30 : s’agit-il d’une nouvelle direction musicale ou bien seulement ton appétit pour les structures atypiques ?

Ce ne sont pas des boucles en l’occurrence, la séquence est jouée live. On me l’a déjà demandé, les interlocuteurs sont surpris à chaque fois. L’idée provient des groupes que j’écoutais en grandissant. J’étais exposé à pas mal d’influences quand j’étais jeune : Weather Report, Mahavishnu Orchestra. Pas trop les trucs plus folky, comme Yes. Je préférais les plans jazz-funk..Et j’étais aussi très fan de Roxy Music, particulièrement leur premier album avec Brian Eno, qui est l’un de mes héros.
J’ai donc été introduit à toutes ces musiques. Elles m’évoquaient un voyage, un voyage fou en métro ! Et j’aime encore laisser mon imagination vagabonder ainsi, ça m’amuse de jouer avec ces structures plus ou moins inhabituelles : c’est un peu mon exutoire. Comme un enfant autorisé à jouer dehors.

 

-« For The Love Of Money » : ces chœurs magnifiques sont le moteur de la chanson, l’as-tu construite autour d’eux ?

Je ne me souviens pas exactement, c’est souvent un mélange : les chœurs me viennent en même temps que la mélodie principale. Je les stocke dans ma mémoire musicale ou les enregistre directement de peur de les perdre à jamais. C’est variable : parfois, les contrechants débarquent naturellement dans ton esprit et tu essaies de retranscrire la texture. En d’autres occasions, tu dois te mettre au boulot et expérimenter plusieurs combinaisons. Selon que ça marche ou pas. Par exemple, Crosby, Stills, Nash & Young devaient essayer plein de formules vocales différentes et soudain, par magie, Dieu seul sait comment : ça fonctionne ! Quand tu travailles seul comme moi, c’est plus facile : tu peux enregistrer plusieurs pistes, effacer celles qui ne conviennent pas. Dans leur cas, il fallait gérer 4 egos, 4 forces de proposition et c’est d’autant plus incroyable de parvenir à un tel résultat.

– « While They Talk Of Life » : quel refrain ! S’agit-il d’un collage ou tu as pensé initialement le morceau ainsi de A à Z ?

C’est plutôt un collage, j’ai écrit le refrain plus tard. Je bossais donc sur cette séquence et je sentais bien qu’il manquait un élément, il m’a fallu du temps pour la boucler. Et quand j’ai trouvé la partie finale, je me suis dit « ouf, ok : c’est bon ». Cet ultime fragment fait décoller le morceau, qui était assez mélancolique sinon. Je voulais distiller un peu d’espoir (rires)/

– Lorsque l’on entend l’extatique « I Can Fly », on a l’impression d’écouter une confession délivrée dans la béatitude. Comme un carnet de voyage intérieur. Peux-tu nous en dire plus sur ce titre ?

Cette idée me trottait dans la tête depuis un bout de temps, au moins 2-3 ans. Je n’avais pas la confiance nécessaire. J’entendais cet accord renversé de 7e majeure avec un Si à la basse et ça me semblait un peu trop pour l’auditeur moyen (rires). Un peu trop inhabituel et dissonant jusqu’au moment où on retombe sur le La. Je ne savais pas comment les gens allaient le prendre. Et puis, je l’ai jouée à quelques personnes qui m’ont dit « c’est étrange en effet, mais ça marche ». Ils m’ont donné confiance. Je sentais un esprit Eno-esque, je voulais recréer cette atmosphère, un truc un peu ambient. Comme dans « Discreet Music », un album majeur à mes yeux.
J’aime la façon dont la musique se déploie progressivement dans ce disque. Tu ne peux pas vraiment le faire dans une Pop song de base et je souhaitais que l’on retrouve cette résonance dans la chanson, l’idée m’a plu.

– Tu vis donc dans le Lake District. On y pense volontiers à l’écoute de « Flowers will grow on this stony ground ». Quelle place occupent l’environnement, la nature dans ton écriture ?
Dans quelle mesure l’introspection est-elle nécessaire pour composer ?

L’environnement a une influence capitale sur ton écriture, à l’évidence. La première partie de « For The Love Of Money » a été écrite à la campagne même si elle est plus agressive. Tout dépend de ton humeur. Mais d’une façon ou d’une autre, inconsciemment, l’environnement va transpirer dans la chanson, que ce soit les gens que tu rencontres, ce qu’ils écoutent, l’énergie tout autour.
J’ai vécu à Dublin pendant deux ans et l’énergie de la ville se retrouve dans ce que j’ai écrit là-bas. Toute influence est subtile mais j’essayais de retransmettre les vibrations ressenties auprès des Dublinois.

– La pièce de résistance : « Something About The Rain » sonne comme un assemblage très réussi du meilleur des Beatles solo ou pas : la basse de Something, des réminiscences de Ram, les arpèges de Woman. L’as-tu écrite comme un hommage ou ce sont plutôt des clins d’œil inconscients/subconscients ?

Sans vouloir jouer les difficiles, je suis un peu réticent à livrer ce genre de détails (rires). J’en parlais avec Mehdi (Zannad aka FUGU, qui travaille régulièrement avec John NDLR) l’autre jour : j’étais allé voir Paul McCartney, il a joué « Blackbird ». En présentant la chanson, il a précisé qu’elle parlait du Mouvement des Droits Civiques dans l’Amérique des 60’s. Il rappelait que le mot « birds » désignait les filles à l’époque en Angleterre. Une expression que l’on n’emploie plus, elle est devenue déplacée… Cette anecdote m’a déplu car je trouvais que ça brisait la mystique du morceau. J’avais en tête la campagne anglaise, les merles, une appartenance spirituelle à la campagne anglaise. Je n’avais pas envie de l’entendre raconter ça ! Bon, quand il s’est mis à jouer, je m’en foutais de ce qu’il disait : pour moi, c’est la campagne anglaise ! (Rires).
C’est l’effet que je cherche à produire quand les gens écoutent ce que j’écris : il faut que ça signifie quelque chose à leurs yeux. C’est la magie de la poésie : elle se transforme grâce aux images que tu apportes.
Les Beatles ont naturellement une influence fondamentale, en matière d’arrangements par exemple. Ils ont façonné la culture dans laquelle nous avons grandie, dans laquelle nous vivons. Leur importance est telle qu’elle se fait ressentir dans tout ce que nous disons, écrivons, chantons, créons. Quel est le meilleur bassiste pop qui ait jamais existé ? Quelle est l’une de plus belles lignes de basse écrites en pop music ? « Something » !
Pour revenir à JS Bach, la basse est très importante car elle emprunte des chemins complexes tout en vous accompagnant dans le voyage musical. Idem pour Paul McCartney : je ne sais pas d’où il a tiré cette science, il l’a clairement inventée ! J’adore la basse, j’en joue sur le disque.

 

Tu joues de tous les instruments sur l’album ?

Oui, sauf quelques chœurs que je ne savais pas faire (rires)

En tant qu’artiste solo, tu aimes jouer avec d’autres musiciens ?

Oui, j’aime ça. Malheureusement, il n’y a pas beaucoup d’occasions, notamment avec Mehdi. L’éloignement géographique et les projets de chacun. « Happy-Go-Unlucky » était une collaboration dans une certaine mesure : il a apporté son énergie qui a nourri le disque. Alors que sur « Fell », j’étais complètement seul. J’aime aussi l’idée de faire un album où je suis complètement libéré de toute influence extérieure. Je fais ce que je veux. C’est un défi. Il n’y avait personne pour me dire « j’aime bien » ou  » je n’aime pas ». Très subjectif. Ta chanson favorite semble être « We Get So We Don’t Know », une autre personne en choisira une autre. Je voulais me préserver des goûts des autres pour avancer. Une belle opportunité, même si j’aime travailler par ailleurs avec d’autres musiciens.

« Fell » a été enregistré à la maison ?

Intégralement, oui. Il aurait pu s’appeler « A la maison avec John Cunningham ». Je l’ai mixé à la maison et tout le reste. J’ai même fait le dessin sur la pochette ! (Rires). Jon Astley a fait du bon boulot sur le mastering.

Tu donnes rarement des concerts, tout du moins en France. Pourquoi donc ?

On me pose souvent cette question. J’ai vraiment une relation amour-haine avec le live car je crois ne pas être très bon.. Je crains de tout faire foirer, je ne suis pas né avec un grand capital confiance dès qu’il s’agit de jouer en public. Sans doute l’une des raisons, c’est encore assez obscur pour moi. Je mets toute mon énergie créative dans l’écriture car j’aime ça, j’aime être au studio, créer des sons. Mais quand on parle de concert, j’aime vraiment jouer quand les gens aiment la musique. Je déteste tout le côté commercial de l’affaire, ça me met très mal à l’aise car je ne suis pas un « performer » naturel.
Quand je jouais pour d’autres, pas de problème : j’endosse un rôle. Mais quand il s’agit d’être juste moi, ça se complique. Sûrement une des raisons pour lesquelles je me tiens éloigné de la scène. C’est comme si des amis me font le plan : « Allez John, joue-nous un truc ! » (Rires).
Cependant, il y a des concerts que j’ai adorés : les dernières fois que j’ai joué à Paris (La Loge 2010, Les 3 Baudets 2014 NDLR), c’était fantastique : j’avais l’impression de jouer pour des amis ! J’étais surpris par l’invitation des 3 Baudets car j’ai cru comprendre qu’ils programmaient surtout des artistes français. C’est comme s’ils m’avaient fait citoyen d’honneur, j’en suis ravi (rires). J’adore venir à Paris, flâner dans les rues, absorber l’énergie de la ville. Il y a une culture ici que l’on ne retrouve pas ailleurs, vous avez préservé une forme d’indépendance d’esprit. Quand tu te promènes à Londres, tout est complètement dilué. Quelque chose s’est perdu. Tu ne peux plus imaginer Paul Simon venir jouer dans un obscur club folk sur Denmark Street alors que chez vous, cela semble encore possible. C’est pourquoi j’adore venir ici.

 

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