Alex Cameron, comme son nom ne l’indique pas, est un duo. Ils sortent officiellement leur premier album, paru en catimini en Australie il y a déjà trois ans et passé inaperçu partout ailleurs. Nous ne boudons pas notre plaisir tant “Jumping The Shark” est un véritable ovni, une ode à la loose sous fond de musique minimaliste. Les Australiens nous ont accueillis à bras ouverts dans leur loge avant leur concert au Trabendo. Nous avons parlé aussi bien de bowling, de Chet Baker que de leurs chansons qu’ils prennent très au sérieux.
L’album n’est pas encore sorti (l’interview a eu lieu deux mois avant la sortie de l’album ndlr) mais vous recevez pourtant soutiens et louanges de pointures impressionnantes du milieu : Angel Olsen, Jonathan Rado de Foxygen, Unknow Mortal Orchestra et Mac Demarco. N’est-ce pas trop étrange pour vous ?
Alex Cameron : Cela fait plusieurs années que l’on travaille dur. On tourne beaucoup. Je savais qu’il fallait passer par là et devenir meilleurs au lieu de précipiter les choses en signant trop tôt avec une maison de disque. Et, va savoir pourquoi, même lorsque les salles étaient presque vides, il y a souvent eu des gens importants présents dans la salle. Des musiciens ou des gens du milieu de la musique qui ont aimé notre univers. On a sympathisé avec certains d’entre eux par la suite. Mais je trouve que le timing est parfait. Nous n’avons pas eu à précipiter les choses pour sortir ce premier album.
L’album a été composé pour partie en Cornouailles, un endroit très sauvage et coupé du monde au sud de l’Angleterre. La vie y est difficile, le climat pas très clément. En quoi cet endroit t’a inspiré ?
A.C. : J’y ai séjourné pendant la période de Noël. Il pleuvait des cordes en permanence. J’étais invité par un très bon ami à moi, Kai Campos qui joue dans Mount Kimbie. L’ambiance était vraiment particulière, car il faisait très sombre à cause de la pluie et les gens du coin n’étaient pas des plus loquaces ni des plus souriants. L’industrie a été ravagée, les mines fermées, la vie n’est pas facile pour eux. Ça m’a inspiré et j’ai écrit beaucoup des idées de départ de l’album et des poèmes là-bas. Rien ne parle spécifiquement de la Cornouailles, mais j’ai transposé ce que je ressentais là-bas à l’industrie du show business qui a elle aussi été anéantie. C’est pourquoi tu retrouves une certaine tristesse et de la noirceur dans les textes de l’album. “Real Bad Lookin’” par exemple a été composé là-bas. Je voulais que ce soit un morceau plus pop, voir R&B, mais je n’y suis pas parvenu.
Votre musique semble être sans compromis, est-ce également une des raisons de t’être lancé dans ce projet ?
A.C. : Oui. Je voulais être le seul juge. Si je trouve que ça sonne bien, je le mets sur l’album. C’est la même chose en live, on fait ce qui nous plaît selon l’humeur du moment, sans débattre pendant des heures. Nous avons la chance d’avoir des idées similaires avec Roy.
Roy Molloy : Notre vision est commune. Tout se passe de la façon la plus naturelle possible avec Alex.
Le disque sort sous ton nom mais ta collaboration avec Roy Molloy peut faire penser que vous êtes un duo. Pourrais-tu clarifier les choses ?
A.C. : Nous avons créé un univers qui va au-delà du disque en lui-même. Le point de départ est évidemment l’album, mais nous écrivons les textes ensemble, on gère la logistique ensemble sous une entité qui s’appelle The Crawfish.
R.M. : Nous sommes associés au sein de ce business. Pour l’instant nous sommes déficitaires, mais nous avons un business plan sur 5 ans qui devrait dégager des bénéfices.
Je suis comptable de formation, si vous avez besoin de conseils n’hésitez pas !
A.C. : Vraiment ?
Oui je suis sérieux !
R.M. : Tu ne voudrais pas t’associer avec nous car nous aurions vraiment besoin de toi pour résoudre nos problèmes de trésorerie (rire général).
Alex, tu fais partie d’un groupe électronique, Seekay. Ce trio a sorti deux disques instrumentaux avant que tu ne commences à chanter sur “The Worry”, votre dernier album en date. Est-ce cette expérience qui t’a donné envie de te lancer en solo ?
A.C. : Seekay est un groupe connu en Australie. On commençait à jouer dans de grosses salles à l’époque de “The Worry”. Au même moment je me suis dit qu’il était temps de commencer à mener un projet plus personnel pour laisser des idées différentes se développer. Me lancer dans un nouveau challenge en repartant de zéro me plaisait bien. Recommencer à jouer dans des salles vides et voir si j’étais capable d’arriver au même résultat qu’avec Seekay était stimulant.
Les titres de l’album racontent tous une histoire différente. Y a-t ’-il pour vous un lien qui les unit?
A.M. : Elles sont toutes des nouvelles basées sur des détails de tragédies contemporaines propres à différents personnages. Leur point commun étant qu’il y a systématiquement une touche d’espoir car il faut continuer à avancer et à grandir malgré les obstacles. Les gens sont fascinés par les tragédies depuis des siècles. Les histoires de mort, de rédemption etc. La musique Folk en est un exemple.
La notion d’échec revient souvent. T’es-tu inspiré de tes expériences personnelles ou bien les textes sont de la pure fiction ?
A.M. : Même si tout est raconté à travers des personnages de fiction, ce qui est évoqué est personnel. Des faits qui nous sont arrivés à nous ou bien à nos proches.
R.M. : Les histoires racontées existaient déjà. Nous n’avons pas trop eu besoin de trop d’effort pour trouver des sujets originaux. Si je suis confronté à des échecs, je ne considère pas l’écriture comme un mécanisme de survie, mais plutôt comme un outil pour gérer mes émotions.
A.M. : On essaie de laisser nos personnalités respirer à travers nos textes d’une façon unique. C’est ce qui fait notre différence avec les autres groupes car nous n’avons pas peur de nous exposer pour nous mettre au service de la chanson.
Pourquoi avoir choisi un format aussi court pour ce premier album ? Huit chansons sur trente minutes.
A.C. : Je voulais huit chansons car j’adore ce chiffre. Et trente minutes me paraissaient la durée maximale. Plus de huit chansons sur le même thème auraient été de trop. Certains albums sentent trop le remplissage. Certains artistes ajoutent même des instrumentaux pour avoir suffisamment de chansons. Pour être nominé pour des récompenses il faut que les disques dépassent quarante minutes. Personnellement je m’en moque. Je veux juste que les gens aiment l’album et viennent passer un bon moment avec nous à nos concerts.
R.M. : Huit c’est aussi parce qu’on adore la Chine
A.C. : Oui nous avons tous les deux des origines Chinoises.
La plus grande réussite de l’album est, pour moi d’avoir, réussi à rendre ces chansons aussi poignantes en les gardant minimalistes. Qu’en pensez-vous ?
A.C. : Je vois ce que tu veux dire. Pour que les gens prêtent attention aux textes, il ne faut pas les noyer sous trop d’instruments. Nous n’avons utilisé que huit pistes. J’étais aussi confiant car les paroles étant suffisamment poignantes, j’étais certain qu’elles allaient guider la musique. Il n’y a pas eu de réflexions pendant des heures pour améliorer les morceaux. C’était plutôt du style “Ça sonne pas trop mal, ok chanson suivante !”.
Ton approche du chant me rappelle celle d’artistes de 70’s et des 80’s qui étaient passionnés par le Rock’n roll du début et se l’appropriaient de manière plus moderne. Ai-je visé juste ?
Il y a un peu de ça effectivement, car des gens comme Lou Reed ont eu une énorme influence sur ma façon de chanter. Mais aussi des gens qui laissent le chant respirer comme Chet Baker. Mais je m’adapte à chaque chanson en fonction du personnage. Mon chant ressemble parfois à quelqu’un qui se prend pour dieu ou bien alors à celui d’une personne pathétique. Sur un titre j’ai même doublé ma voix. Une prise où j’étais sobre, et une autre complètement bourré. Je voulais obtenir un résultat étrange. Pour d’autres j’ai noyé ma voix avec du delay.
Vous semblez avoir beaucoup travaillé l’aspect visuel. Celui-ci a t-il autant d’importance pour vous que la musique ?
A.C. : Pour moi c’est un tout. C’est un des piliers important d’Alex Cameron. Plus ta communication à travers des visuels est réussie et plus les gens vont commencer à s’intéresser à toi.
Il y a un décalage entre ta musique et la façon dont vous communiquez, notamment sur les réseaux sociaux. Certains vous trouvent désopilant. Alex, tu appelles Roy ton business partner. L’un n’empêche pas l’autre mais avez-vous envie de provoquer un peu ou bien vous ne cherchez absolument pas à jouer un rôle ?
A.C. : Nous prenons nos chansons très au sérieux. Dans le meilleur des cas elles vont décrocher un sourire car l’auditeur aura aimé ce qu’il a entendu. Mais il n’y a pas d’humour dans nos textes. On ne se moque pas de l’échec, on le glorifie. Je te rassure, dans nos vies personnelles nous avons par contre le sens de l’humour.
R.M. : Il nous arrive sans arrêt des problèmes, mais nous sommes de nature positive. Donc quand tu écris sur tes malheurs en gardant un bon état d’esprit sur les réseaux sociaux, pour je ne sais quelle raison les gens trouvent ça tordant.
Votre site internet qui semble dater de 1997 précise même que toutes vos interviews doivent se tenir dans votre bowling de quartier !
A.C. : Oui mais ce n’est plus d’actualité car il a fermé il y a quelques temps. Le bowling est passé de mode. Quel dommage. Mais je suis content, j’ai pu aller y jouer la semaine dernière.
Tu as posté cet album sur ton site en 2013. Quel effet cela te fait-il d’être à Paris trois ans plus tard pour en assurer la promotion ?
A.C. : Oui nous avons beaucoup travaillé depuis et nous avons probablement de quoi sortir deux albums. Notre maison de disque, Secretly Canadian, a été patiente avec nous car ils nous ont laissé sortir cet album en premier. Ils l’ont trouvé suffisamment bon. J’espère que l’on va pouvoir continuer à beaucoup tourner car nous voulons qu’un maximum de personnes nous découvre avant de sortir la suite.
R.M. : “Jumping The Shark” est un super album, il faut que les gens le découvrent.
A.C. : Oui et c’est pour ça que des groupes qui remplissent des salles de deux mille personnes nous demandent personnellement d’ouvrir pour eux. Car ils aiment ce disque et croient en lui.
Crédit photos : Cara Robbins
Merci à Agnieszka Gérard