Dix ans après un premier album sorti sous l’anagramme Axe Riverboy, Xavier Boyer, chanteur de Tahiti 80 depuis une bonne vingtaine d’années, imprime son vrai nom sur une pochette. Plus bricolé que les disques de son groupe mais nourri de la même sève mélodique et du sens des arrangements qui font dresser l’oreille, “Some/Any/New” confirme que son auteur est l’une des plus fines plumes de ce pays. Il revient pour nous sur la réalisation de ce disque, le besoin de renouveler son inspiration, le public japonais et ses projets.
Xavier Boyer sera en concert le 6 décembre au Point éphémère, à Paris, avec Julien Pras et Barbe Bleue.
Peux-tu retracer la genèse du disque ?
Xavier Boyer : Le point de départ, c’est l’écriture de “Ballroom”, le dernier album de Tahiti 80 sorti en septembre 2014. J’avais beaucoup de morceaux, une trentaine, et comme j’avais l’idée de refaire un album solo, j’en ai mis de côté. Avec Tahiti, on en a essayé quelques compositions comme “At Bay” et comme le résultat ne nous satisfaisait pas vraiment, je les ai gardées pour moi. Pour certaines, plutôt intimistes et qui ne nécessitaient pas vraiment la présence d’un groupe, la destination était évidente. D’autres pouvaient être transformées, enrichies, et devenir des chansons de Tahiti 80 où tout le monde est impliqué. Sur mon album, j’ai voulu garder au maximum l’idée originelle des morceaux, sans trop les retravailler.
J’ai commencé à écrire ces chansons en 2011 et j’ai terminé en 2016. Bien sûr, je n’ai pas travaillé dessus non stop pendant six ans, j’ai fait d’autres choses. Les morceaux n’ont pas tellement évolué, j’ai procédé par petites touches, quand j’avais un peu de temps. Le seul moment où le travail a été plus intense et concentré, c’est quand j’ai fait des sessions de mix créatif avec Stéphane Laporte alias Domotic. On écoutait les pistes et il me donnait son avis, me faisant rejouer des parties s’il ne trouvait pas le son assez bon, rajouter des choses…
L’essentiel a été enregistré à la maison ?
Oui, c’est vraiment du home studio, enregistré entre Paris, Montpellier, Rouen et chez mes parents, à la campagne. Il y a eu plusieurs lieux et plusieurs supports. J’ai commencé avec un vieil ordinateur au ventilateur assez bruyant, le même que j’ai utilisé pour “Ballroom”. Ça donnait une certaine couleur aux prises… J’ai ensuite travaillé sur une tablette, puis sur un nouvel ordinateur, avec des passages par des magnétos à bande, ce genre d’outils. Avec Stéphane, on a essayé non pas de lisser, mais de donner une cohésion à l’ensemble. Ce mix créatif dont je parlais consistait à souligner des éléments, des sons récurrents. Et repasser tout ça par des magnétos a apporté une couche de vernis un peu spéciale. Mais ça reste sans doute le disque le plus lo-fi que j’ai fait !
C’était voulu dès le départ ?
Disons que ça tient au matériel utilisé et aux conditions d’enregistrement. Et aussi à la collaboration avec Stéphane : ses disques de chevet, en matière de son, ce n’est pas vraiment Roxy Music et Dire Straits. Il est dans une approche un peu brute, et j’avais moi aussi envie de ça. C’est une question d’équilibre : j’ai tendance à aller naturellement vers une certaine sophistication, des choses assez léchées, et j’ai voulu contrebalancer ça quitte à me faire un peu violence. Pour les prises de voix, du moment que je sentais que l’émotion et l’intention étaient là, je n’allais pas les refaire cent fois pour tenter d’atteindre la perfection… Je voulais que ce soit pas trop arrondi, pas trop poli. La pochette aussi correspond à ce côté “fait maison”. Je l’ai réalisée, comme les autres visuels, avec Maxime Prieux qui a travaillé sur les dernières pochettes de Tahiti 80, il y a eu beaucoup d’allers-retours. Quand on a réédité en vinyle “Puzzle”, le premier album du groupe, on a fabriqué un petit fanzine “vintage” et j’ai bien aimé ce travail manuel, ce bricolage – même si à la fin tout a été scanné. C’est plus tactile, vivant, alors qu’aujourd’hui on peut très facilement faire quelque chose de propre, parfait en apparence, c’est devenu la norme. Là, j’avais la volonté de sortir un peu de cette sophistication à laquelle on m’associe souvent.
Quelles différences vois-tu entre ce nouveau disque et celui que tu avais sorti il y a dix ans sous le nom d’Axe Riverboy ?
Le nouveau devait être au départ assez dépouillé, à l’image du précédent, mais le naturel revient toujours… Axe Riverboy, c’était plus folk, boisé, avec de la guitare acoustique, peut-être un peu plus classique aussi. Il avait été fait en réaction au dernier album que Tahiti 80 avait sorti, “Fosbury”, qui était basé uniquement sur des grooves. Celui-ci s’inscrit en revanche dans la lignée de “Ballroom” puisque les chansons ont été écrites à peu près en même temps, comme je l’expliquais. Je me voyais mal le sortir sous le nom d’Axe Riverboy car je trouve les deux disques assez différents. Son mode de fabrication itinérant, les expériences avec les boîtes à rythmes et les synthés un peu cheap, ça lui donne une couleur particulière. C’est un disque à la fois brut et très arrangé, avec pas mal de pistes. Mon prochain disque solo sera peut-être très dépouillé, pourquoi pas ? Pour celui-ci, j’ai essayé de trouver un autre anagramme de mon nom. J’en ai un, mais qui est totalement imprononçable, et qui serait très bien pour ma future série de B.O. de blaxploitation… (sourire) Finalement, j’ai gardé mon vrai nom pour éviter de brouiller encore plus les pistes.
L’album d’Axe Riverboy était sorti chez Atmosphériques, comme ceux de Tahiti 80 à l’époque. Aujourd’hui, vous avez votre propre label : plus de libertés, mais moins de moyens ?
C’est un fonctionnement différent, en tout cas. J’ai un mauvais souvenir de la sortie de l’album d’Axe Riverboy car le label a mis la clé sous la porte peu de temps après. On est passé chez Barclay ensuite mais la carrière du disque s’est arrêtée net, alors qu’il aurait mérité d’exister un peu plus longtemps. Notre structure, Human Sounds, est au départ un simple véhicule pour les albums de Tahiti 80, là c’est la première fois qu’on sort autre chose et que ça a un vrai rôle de label. C’est sûr que c’est une autre échelle, beaucoup plus indé. On a connu une autre époque où on avait un directeur artistique, un chef de produit, et on essaie d’adapter cette méthode-là au contexte actuel, même si c’est un peu schizophrène, on doit changer de casquette de temps en temps.
Aujourd’hui, la musique s’écoute beaucoup en numérique, et on a un distributeur numérique qui permet de sortir un disque à la même date dans le monde entier, ce qui n’était pas trop possible avant. C’est vrai qu’on fait beaucoup de choses nous-mêmes : ces derniers jours, j’ai même envoyé moi-même des disques. Au-delà du fait de devoir aller à la poste, j’aime quand même bien ce côté artisanal. L’autre aspect positif, c’est qu’on est impliqué dans toute la chaîne, ce qui me semble important aujourd’hui. On a une vision et un contrôle globaux, ça va de la pochette aux photos de presse, et même ce qu’on décide de mettre en avant dans le discours promo, parce qu’il faut en avoir un. Ça oblige à faire des choix, à être actif, concerné, plutôt que de se reposer sur les autres. Ce n’est pas plus mal !
Peux-tu expliquer le titre de l’album, “Some/Any/New” ?
Ça vient du morceau “Cherry Cloud Panic”. J’avais trouvé l’idée de la boîte à rythmes et des différentes parties. Au moment de sauvegarder ce que j’avais fait, je devais trouver un nom. Comme je trouvais que le morceau rappelait un peu l’album “Something/Anything” de Todd Rundgren, un disque que j’aime beaucoup, j’ai pensé à “Some/Any/New”, le “New” parce que c’est quand même ma vision. Finalement ça a donné son titre à l’album, et je pense que quelques-uns ont saisi le référence. Je ne crois pas qu’il y en ait d’autres qui portent ce titre ! Et les slashs représentaient bien la juxtaposition de plusieurs éléments.
“Cherry Cloud Panic” est un morceau à la construction assez particulière. Etait-il conçu comme ça dès le début, ou est-ce le résultat de tâtonnements successifs ?
J’ai généralement une écriture plutôt classique. J’ai grandi avec ça, le couplet-refrain avec un pont qui ouvre sur autre chose… Mais j’essaie aussi de trouver de nouvelles idées. J’écoute beaucoup de disques et je note quand j’entends des choses qui m’interpellent, un changement de rythme, d’accord… Au départ, pour ce morceau, j’avais une suite d’accords dans une autre tonalité, que j’ai dû transposer pour que ça colle avec le chant. J’avais déjà pensé à la transition de sept notes entre les deux parties, “It’s a pain that never stops!”, qui, maintenant que j’y repense, rappelle “Maybe I’m Amazed” de Paul McCartney… Je voulais garder une certaine spontanéité et voir où tout cela allait m’emmener, d’où ce côté collage totalement assumé. Je n’ai pas trop l’habitude de faire ça et ça m’amusait. Quand j’ai travaillé avec Stéphane ensuite, il a écouté les prises de voix un peu pitchées que j’avais réalisées et il a eu l’idée de les faire sur un quatre-pistes, en variant la vitesse. On a bien rigolé en réécoutant, il y avait des voix de Mickey, d’autres très graves… Cette façon d’assembler des éléments se retrouve sur d’autres morceaux somme “The Changing”, à la fin de l’album, qui se termine avec le petit gimmick de “Cherry Cloud Panic” en boucle. Le morceau n’a pas vraiment d’alternance couplet-refrain, il est plutôt basé sur une ambiance. J’ai essayé de créer du relief avec les lignes de voix, toujours autour de la même harmonie. Il faut qu’il y ait un peu d’expérimentation, sinon je m’ennuierais. Je me voyais mal refaire un disque basé sur les guitares acoustiques. Là, il y avait tout un aspect technique que je ne maîtrisais pas totalement, car je ne suis pas vraiment la personne dans le groupe qui gère l’enregistrement. Mais je pense que les chansons tiennent quand même si on les dépouille de tous leurs artifices.
Ton écriture reste assez reconnaissable. Est-il facile de te renouveler ?
C’est sûr que je ne suis pas Beck qui va alterner des albums folk, hip-hop ou pop, ma palette est sans doute moins large. Mais je crois qu’au bout de vingt ans je n’ai pas encore épuisé le format, je me sens bien dedans. J’ai l’impression que je peux encore faire beaucoup de choses dans ce cadre-là. A chaque fois, je change d’approche, je tente des choses nouvelles. Je sors de mes habitudes, de mes repères, mais je joue quand même sur mes points forts, une certaine sensibilité mélodique et harmonique, les chansons avec des “hooks”… Et puis il y a ma voix que je ne peux pas vraiment changer !
Justement, tu as l’impression qu’elle a évolué depuis tes débuts ?
Je peux chanter un peu plus grave aujourd’hui. Et puis j’ai fini par prendre conscience que c’était un élément identifiable, qu’on l’aime ou non. Je me souviens d’une vieille interview de Robert Smith dans laquelle il expliquait que sur les premiers albums de Cure et sur ses autres projets, il se considérait avant tout comme un guitariste, il adorait Jimi Hendrix… Et puis, même s’il n’est pas un mauvais guitariste, il s’est rendu compte que ce qui le distinguait, c’était avant tout sa voix. Je crois que c’est un peu pareil pour moi, même si je n’ai jamais voulu être Eric Clapton !
Où en êtes-vous sur le nouvel album de Tahiti 80 ?
Il n’est pas loin d’être prêt, on est en train de le mixer. Je pense qu’il sera vraiment différent de “Some/Any/New”. C’est bien de pouvoir s’éloigner de temps en temps d’un fonctionnement collectif pour mieux y revenir. Quand on fait un disque solo, on peut aller au bout de ses idées, sans interventions extérieures, même si ici Stéphane m’a beaucoup aidé. Un groupe, c’est plusieurs personnes dans une même pièce qui ont a priori chacun une façon de jouer intéressante. Un album de Tahiti 80, ça doit vraiment être une collaboration, où chacun apporte sa musicalité. Il faut savoir être à l’écoute des suggestions des autres.
Laisses-tu de plus en plus entrer le réel dans tes chansons ?
Oui, même si l’usage de l’anglais introduit une certaine distance. Le choix de la langue, c’est aussi en raison de la musicalité, et ça correspondait à ce que j’aimais. C’est vrai que ça me permet presque d’être une personne différente et de dire des choses en brouillant les pistes. Au début de Tahiti 80, j’écrivais des chansons sur Ray Davies, des gens comme ça, j’étais encore dans la fantasme. Sur “Baby Cannon”, un morceau de l’album, je chante « Then one day you’ll find out for yourself/Life’s biggest secret that no-one shares » : le secret de la vie, sauf cas exceptionnel, tu ne l’as pas encore découvert à 20 ans. Faire des chansons, ça peut être une façon de régler des comptes, d’évacuer des frustrations… J’ai de plus en plus de plaisir à écrire les textes, mais ça reste pour moi un exercice difficile, qui demande beaucoup de concentration. Et puis on garde toujours un petit complexe par rapport aux Anglo-Saxons, même si leurs textes ne sont pas toujours géniaux. Il reste plus facile de transmettre une émotion en anglais, tu peux te contenter de répéter une syllabe, ce qui ne passerait pas en français.
Cela fait plus de vingt ans que la musique est ton activité principale. T’es-tu déjà imaginé faire autre chose ?
C’est drôle parce qu’hier nous étions tous les deux au concert en appartement de ce jeune songwriter californien, Eric McEntee, et à un moment il a raconté qu’il travaillait comme voiturier… Moi, je n’ai même pas le permis ! Je reconnais que je suis un peu coupé de certaines réalités parce que j’ai toujours été dans l’univers de la musique, et je suis conscient que c’est une grande chance. Le groupe s’est formé en 1993, on était vraiment très jeunes. On a enregistré “Puzzle” en 1998… Ça a été une façon de prolonger l’adolescence, sans connaître pour l’instant une vie professionnelle classique. Et franchement, je n’ai pas envie d’arrêter ! (rires) Bon, ça a été aussi beaucoup de sacrifices et de travail. Mais je crois que l’absence relative de succès nous a permis de durer, un peu comme les Sparks, par exemple, sans vouloir évidemment nous comparer à eux. A partir du moment où tu passes un cap de popularité, ton rapport au monde change, tu fais des disques non plus pour toi, mais parce que le public attend quelque chose de toi. Quand un groupe marche, les albums suivants sont jugés par rapport à ce succès, et il y a souvent une baisse d’inspiration.
Disons que nous avons eu un certain succès, mais atypique car limité à certains pays. Quand tu obtiens un disque d’or au Japon alors que tu es peu connu dans ton propre pays, tu es content mais tu relativises. Et puis le Japon, c’est un bon endroit pour avoir du succès. On t’encourage à être créatif. Ce sont des amateurs de musique exigeants et ça ne les intéresse pas si tu refais toujours la même chose. C’est plutôt stimulant pour nous. J’ai d’ailleurs coécrit quelques chansons avec des Japonais, et c’est une activité que je compte poursuivre lors de mon prochain séjour là-bas. C’est un exercice de style très intéressant. Si certains trouvent qu’il y a trop de changements d’accords dans les morceaux de Tahiti 80, ce n’est rien par rapport à ce qu’ils pratiquent là-bas : une sorte de pop hyperactive, avec sept ou huit parties différentes par morceau. Et puis, j’ai moins de barrières, je peux écrire des choses que j’assumerais difficilement si j’en étais l’interprète. De manière générale, j’ai envie de collaborations, j’aimerais retravailler avec Mehdi Zannad par exemple. Après ce disque sur lequel j’ai quand même passé six ans, j’ai envie de processus plus rapides, plus immédiats. Il faut profiter de l’énergie qui est encore là, ne pas perdre de temps. Voilà, ce sera gravé sur ma tombe ! (sourire)
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