PRIMAVERA SOUND 2004, Barcelone, 27-29 mai
Loin des champs de patates qui font l’ordinaire des méga-rassemblements estivaux, le festival Primavera a lieu à Barcelone même, à une petite heure (à pied) des Ramblas. Le lieu qui accueille l’événement, le Poble Espanyol, sur la superbe colline de Monjuic, est un concentré fort réussi de l’architecture de divers villes et villages des différentes régions espagnoles ; les derniers touristes terminent leur visite quand les premiers groupes commencent à jouer, et les bars et restaurants dans l’enceinte du village restent ouverts pendant les concerts. Quatre scènes en tout : la grand-place du Poble (Rockdelux) ; une sorte de hangar au son un peu limite (Nasti) ; une discothèque décorée avec goût et parrainée par le meilleur disquaire de la ville, CD Drome (on y trouve les derniers Married Monk et Daniel Darc) ; et la grande scène, à deux pas. Rajoutons les deux scènes du Mercat de Les Flors l’après-midi (un grand théâtre et une petite estrade à l’extérieur), et l’on a de quoi programmer la quasi-intégralité des artistes intéressants en activité aujourd’hui. Dans ces conditions, dur de tout voir…
On commence le jeudi à 20 h à Rockdelux avec les locaux anglophones de Love of Lesbian : sacré nom, chansons pop-rock sympathiques mais pas inoubliables. Puis un autre Espagnol, Refree, déjà vu il y a peu au Divan du monde en première partie de Mendelson. Malgré le large effectif (jusqu’à huit personnes), la scène est un peu trop grande pour son folk intime, rehaussé de subtiles touches jazz et cabaret. Le premier choc vient un peu plus tard avec les Américains de Pretty Girls Make Graves : pas un tribute band des Smiths, malgré leur nom, mais un gang post-hardcore rageur et surpuissant, qui fait penser à At the Drive-In avec une chanteuse. Après le concert, le guitariste vendra le merchandising du groupe dans le noir, à même le sol : underground toujours !
Dizzee Rascal s’avère, lui, aussi assommant sur scène que sur disque (disque dont la production est, ceci dit, indiscutablement brillante). Black Strobe, avec Ivan Smagghe aux machines, Arnaud "Zend Avesta" Rebotini au micro et un batteur à la batterie, nous propose un son néo-80’s assez efficace sans être franchement bouleversant. Dans le genre, on préfère Colder. 2 Many DJ’s achèvent de nous ruiner les tympans avec leur fameux mix à quatre mains, où l’on repère quand même quelques nouveaux morceaux. Quand Miss Kittin leur succède aux platines, on va se coucher, fourbu : il est quand même quatre heures du matin…
Et le lendemain, on commence tôt. A 16 h, au Mercat de Les Flors, Tex La Homa joue en duo ses chansons electro-folk délicates dans une grande salle assez froide, avec une fosse et de confortables gradins où l’on peut terminer sa nuit. Julie Doiron lui succède, et l’effet est encore plus étrange : seule avec sa guitare, elle semble perdue sur une scène aussi vaste. Pour ne rien arranger, le groupe qui joue à l’extérieur est particulièrement bruyant… La Canadienne, plus charmante que jamais, ne se laisse pas pour autant démonter et mène à bien son set. Ses délicates esquisses, en anglais ou en français (enfin, en québécois…), se révèlent toujours aussi émouvantes. Sur la petite scène à l’extérieur, le duo Berg Sans Nipple donne vie à ses vignettes expérimentales : énergique et convaincant.
Après avoir entraperçu quelques formations espagnoles, dont certaines excellentes, et les toujours très carrés Raveonettes sur la scène principale, on se pose au Nasti pour le concert de Swell, à 20 h 30. Enfin, 20 h 37, puisque David Freel et ses comparses ont, comme d’habitude, de petits problèmes techniques. Quelques jours plus tôt, au Café de la Danse, c’était le tabouret du batteur ; là, ça semble moins grave. Pour le reste aussi, c’est la routine : quasiment que des vieux morceaux (tant mieux), une décontraction qui frôle la désinvolture, et des breaks de 15 secondes au milieu des chansons… Pas des nerveux, Swell.
Petit passage par la grande scène pour deux morceaux de Franz Ferdinand, toujours impeccables (mais quand on s’est retrouvé à quelques mètres d’eux lors de leur Black session, on est un peu blasé), et on file voir Lloyd Cole au Rockdelux. Tout seul avec sa guitare, comme au New Morning l’année dernière et au Café de la danse l’année d’avant – pas de reformation des Commotions pour les 20 ans de "Rattlesnakes", dommage. Trois quarts d’heure pour résumer une telle carrière, c’est un peu court, mais entre un classique et un morceau du dernier album, Lloyd parvient à glisser quelques perles oubliées comme le sublime "Why I Love Country Music". La vieille classe. Classe aussi, Mark Kozelek, à la tête de son nouveau groupe, Sun Kil Moon, qui termine son concert avec une version vibrante du "Mistress" des Red House Painters. A quand sur une scène française ?
Un petit coup de Mudhoney, seconds couteaux grunge qui n’ont rien trouvé de mieux à faire que de se reformer, avant le nouveau grand choc de ce festival : la résurrection de James Chance et de ses mythiques Contortions, donc l’explosive fusion funk/punk/jazz/ no wave fait encore entendre ses échos aujourd’hui. Vêtu comme pour monter les marches à Cannes, entouré de quatre musiciens pas venus là pour rigoler (dont au moins deux membres d’origine, à en juger par leurs cheveux blancs), le Screaming James Brown Hawkins new-yorkais livre un set d’une intensité redoutable, ponctué par des soli de saxo à réveiller Albert Ayler dans sa tombe, et parfois presque dansant (option pogo).
A peine remis, c’est The Fall qui leur succède, autres vétérans toujours pas assagis. Mark E Smith, encore plus marqué par les excès que James Chance, "chante" en alternance dans deux micros, ou parfois dans les deux à la fois, mais sa voix est souvent inaudible. Il faudra bien vingt minutes et un bon vieux "Mr Pharmacist" des familles pour que le concert démarre vraiment ; dommage, on est déjà parti voir les Pixies.
RAS, à part que Kim Deal a presque rattrapé le big Black question tour de taille. Entre "Bone Machine" et un "Into the White" à rallonge, les quatre Bostoniens, pendant une heure quinze, enchaînent à fond les ballons leur classiques inusables, tirés pour la plupart de "Come on Pilgrim", "Surfer Rosa" et "Doolittle". Tout cela manque peut-être un peu d’âme, mais on est tellement content d’entendre enfin ces chansons jouées sur une scène qu’on ne va pas chipoter. On termine par quelques morceaux des bonnes copines Scissor Sisters, toujours à leur avantage sur scène, et on va se coucher.
Après une cure de calme et de beauté à la fondation Miró, on se plonge dans les sons de ce troisième et dernier jour de festival. Débuts tranquilles au Nasti avec The Ladybug Transistor. Ils ressemblent toujours à un groupe de lycée sixties, la claviériste est toujours aussi ravissante, leur pop ouvragée est toujours aussi charmante… et ce n’est toujours pas un grand groupe de scène. Direction le Rockdelux pour la fin du concert de Nina Nastasia, non-look d’instit rigoriste (à part le tatouage à la cheville), folk austère et beau. Derrière les fûts, on croit reconnaître le formidable batteur des Dirty Three, qu’on retrouvera plus tard avec (Smog), si nos souvenirs et notre vue sont bons. Julie Delpy leur succède avec son groupe : de beaux efforts polyglottes pour parler au public, un charisme indéniable et quelques chansons qui font mouche, malgré un gros son qui vient parfois gâcher la fête. Pas de risque de ce côté-là avec Dominique A, seul sur scène avec sa guitare et son sampler qu’il maîtrise à la perfection.
Les imprévisibles Liars ont les honneurs de la grande scène, mais se croient comme d’habitude dans leur studio. Devant jouer cinquante minutes (un long concert pour eux), ils se lancent dans des expérimentations pas toujours très maîtrisées, réussissant même à faire sauter les plombs. Mais quand ils parviennent à jouer un morceau comme "Broken Witch" en entier, c’est franchement explosif, quoique moins effrayant que sur leur deuxième album.
Sur la scène Rockdelux, (Smog) livre en trio un concert compact, dépouillé et un peu froid – mais on ne s’attendait pas non plus à de la salsa. The Hidden Cameras réchauffent l’atmosphère avec leur "gay folk church music" collégiale, sans toutefois convaincre totalement de leur originalité. De toute façon, il faut qu’on parte voir PJ Harvey sur la grande scène. Vêtue d’une robe jaune moulante à son effigie, la sauvageonne du Dorset est en grande forme et remercie régulièrement le public. Le son est très rock, mordant, parfaitement adapté aux chansons du dernier album et à des singles comme "Dress" ou "Down by the Water".
On ne restera pas jusqu’au bout de ce long concert, car on a rendez-vous avec Divine Comedy sur la scène Rockdelux. Après la débauche orchestrale du Grand Rex, on retrouve Neil Hannon dans la formation en trio guitare-violoncelle-claviers de sa dernière Black session. La setlist est sensiblement différente, avec "Everybody knows" et, surtout, deux morceaux à la suite du premier album, les sublimissimes "Your Daddy’s Car" et "Lucy". Chouette reprise de "Lonely at the Top", classique sardonique de Randy Newman, accueil plus que chaleureux du public et bonne humeur habituelle de Neil : comme toujours, on est aux anges.
En attendant le bus de 4 heures, on va traîner du côté de la grande scène où Primal Scream offre un concert best-of, rock’n’roll jusqu’au cliché, l’infatigable Bobby Gillespie courant sans s’arrêter d’un bout à l’autre de la scène. Quelques bons moments ("Movin’ on up") n’empêchent pas de se dire que ces vétérans parfois pertinents ont quand même fait leur temps. La relève s’appelle peut-être !!! ("tchik tchik tchik", ou ce que vous voulez), collectif new-yorkais qui commence son concert vers 3 h 50 sous le hangar surchauffé. On n’en entendra que deux morceaux au volume sonore à peine tolérable, évoquant une collision hallucinée entre les Happy Mondays et Liquid Liquid. Selon un témoin, le chanteur terminera le concert en vomissant sur le public. Voilà qui promet.
Vincent
Photographies par Martin Cazenave et François Georges-Picot