FESTIVAL ART’ROCK – Carte blanche À Olivier Assayas, Saint-Brieuc, 2 juin 2005
C’est à la Passerelle, la scène nationale locale de Saint-Brieuc, que retentissent les premières notes du festival Art Rock. Le public arrive en grappes en cette fin d’après-midi printanière et les premiers sons de la Carte blanche confiée au réalisateur Olivier Assayas se font entendre. Le premier contact auditif se fait sous la forme de quelques notes de oud égrenées par Alla, fraîchement débarqué de son bled marocain.
Après cette touche exotique, le set du très attendu Jim O’Rourke emplit l’espace du Forum de spectateurs et de musique. Musique ? Oui, de la musique. Ce n’est pourtant pas l’avis de tout le monde : un couple de sexagénaires visiblement invité par la prod se bouche les oreilles pour ne pas subir le drone de 20 minutes de notre binoclard américain préféré. Sur l’écran, une porte filmée en négatif sépia dévoile ses contours au fur et à mesure que monte l’intensité musicale. On ne sait que penser de cette performance : un goût de déjà-vu / fait par-dessus la jambe ou une mise en bouche anecdotique ?
Le duo White Tahina propose ensuite un "electro-clash-décalé-parisien-de-NYC-genre-Chicks-on-Speed-tu-vois", complètement pathétique et insignifiant. Marre de ces gens qui, sous couvert que les années 80 étaient parfois ridicules, enfilent leur déguisement de Rose Laurens et nous servent du Suicide de supérette. Fin du premier acte : on se dit alors que la soirée est bien mal engagée…
Direction le bar, toujours sympa avec sa déco colorée raccord avec l’affiche du festival. D’ailleurs, le graphiste à l’origine de cette débauche de couleurs, Icon Tada, présente ses œuvres dans la galerie d’expo du lieu, qu’on visite entre deux concerts/performances.
Après cette pause salvatrice, on rejoint le grand amphithéâtre. A peine assis, la déflagration de Text Of Light accompagnée par un film tout en lumière crue se jette sur nous. Intense, compacte et sauvage, la longue composition de Lee Ranaldo, Steve Shelley, Alan Licht et leurs amis s’étire sur un film Super 8 faits de contre-jours et de surexpositions.
La soirée se poursuit, entrecoupée de films (Tony Conrad hypnotique et l’"Emperor Tomato Ketchup" aussi culte que dérangeant). Toujours magnifique, le couple Thurston Moore / Kim Gordon (baptisé Mirror/Dash) déboule sur scène, tape du pied, joue des guitares (électrique, folk amplifiée, basse), fait sonner des jouets, brandit des clochettes et crache dans des micros. Sous des dessous résolument expérimentaux, la musique des deux Sonic Youth retrouve par moments des éléments plus pop/rock. Ils s’amusent et nous aussi.
Pour finir, Marie Modiano – la fille de qui vous savez – impose son style et aère la salle.
Pascal Rambert et sa charmante compagne leur succèdent. On dirait Elli & Jacno ou Gainbourg & Birkin (l’accent anglo-saxon de la demoiselle sans doute). C’est un peu désuet au premier abord mais le petit riff velvetien et la petite histoire qui se dévoile au fur et à mesure de cette lecture-chanson sont tout à fait délicieux. Une bonne surprise. C’est ensuite au tour de la filiforme Jeanne Balibar de monter sur scène. Epaulée par un Rodolphe Burger toujours impeccable, la féline chante son album, d’une voix profonde et éthérée. Comme je n’aime pas sa personnalité, je n’en dirai pas plus si ce n’est que mon entourage a fortement apprécié ce tour de chant nimbé de fumée bleutée.
Autre sensation du moment : Metric. La formation canadienne apparaissant dans "Clean", le dernier film d’Assayas, c’est à eux que revenait le privilège de clore le banquet. L’heure tardive de leur passage (3h du mat’ un jeudi soir) et la promesse de les revoir à la prochaine Route du Rock de Saint-Malo m’ont incité à quitter Saint-Brieuc avant leur dernier coup de rein.
Au final, une soirée décousue : si la qualité de la majorité des musiciens et films accueillis était évidente, une présentation plus pédagogique de l’événement aurait été bienvenue. La phrase la plus entendue ce soir-là était sans doute "c’est quoi ce film, il date de quand, qui l’a réalisé?". L’expérimentation peut être une source inépuisable d’émotions si on prend la peine d’en présenter les acteurs et la matière de départ. De plus, confier les clés de la soirée à des gens dont ce n’est pas le terrain de jeu habituel a provoqué des annulations assez préjudiciables pour un public de connaisseurs (David Roback et Mari Boine envolés, Elli Medeiros disparue). Olivier Assayas a bien tenu son rôle d’inspirateur mais n’a pas réussi à recréer, dans un spectacle total, son univers. Dommage.
Ursagraph