DESTROYER – Streethawk : A seduction
(Talitres/Poplane)
" Daniel Bejar est plus connu pour ses réalisations avec le groupe The New Pornographers, " Streethawk : A Seduction " n’en est pas moins son quatrième album sous le nom de Destroyer. " (extrait de la biographie) Ces noms ne vous disent rien ? Euh… à moi non plus. Tout juste celui de Jason Zumpano, le pianiste au nom de patron de cirque de ce "faux" groupe, m’évoque-t-il quelques vagues souvenirs. Mais comme l’album sort en France chez Talitres records, jeune label bordelais aventureux et exigeant, on jette volontiers une oreille.
Ce qui frappe d’abord à l’écoute du disque, surtout dans ses moments les plus dépouillés, c’est le son : on croirait entendre un enregistrement des années 60-70, sans filtre, comme si le groupe jouait dans la pièce. Tony Goddess des Papas Fritas, qui aime " quand la batterie sonne comme chez Steely Dan ou Stevie Wonder ", apprécierait sûrement. D’un point de vue temporel, la voix du Canadien Bejar (rien à voir avec Maurice) est parfaitement raccord, qui semble droit sortie du congélateur des années glam-prog rock anglaises. Mais dans une version hard discount, un peu comme si Jad Fair singeait Brett Anderson essayant de chanter comme Bowie.
"Streethawk" est de ces disques qui ne s’imposent pas d’emblée, parce qu’ils ne cherchent pas tant à séduire l’auditeur qu’à le désarçonner. C’est assurément l’œuvre d’un songwriter doué, entouré d’excellents musiciens, mais qui ne s’imagine pas démouler un bon petit album de pop nostalgique pour college radios. Bejar a l’esprit trop tordu, aime trop les mélodies à tiroirs (les sept minutes de "The Bad Arts"), les textes obliques ("Was it the movie or the making of Fitzcarraldo ?", hommage à Werner Herzog ?) et une certaine emphase – avec pas mal de second degré – pour carburer à l’ordinaire. Après tout, sachant qu’il ne vendra jamais autant que Travis, il aurait tort de se gêner.
D’où un disque joliment inclassable derrière son apparent classicisme nostalgique. On peut toujours avancer quelques noms : Denim (fixette seventies, concept-album acide sur la musique pop), Pavement (mélodies et voix en montagnes russes, paroles souvent sybillines), Ben Folds Five (pour l’importance du piano, même si on entend aussi beaucoup de guitare), Minus 5 – le supergroupe super obscur de Scott McCaughey -, Hawksley Workman, The Auteurs par moments, "Hunky Dory", "Transformer", ou "The Ultimate Seaside Companion" de The Bells, un disque sorti il y a 4-5 ans dans une indifférence quasi générale et qui fait l’objet d’un culte tenace chez certains rédacteurs de Popnews.
Brillant, cultivé, subtil, "Streethawk" a les (légers) défauts de ses (grandes) qualités, péchant parfois par un manque de simplicité, une posture un peu trop intellectuelle, une rétention émotionnelle, comme en récation à un rock US qui en fait souvent des tonnes. Quand Bejar, dans le dernier tiers de l’album, consent à lâcher la bride à son fidèle Destroyer ("Helena", "Strike"), il donne enfin la juste mesure de son talent singulier, amené à s’épanouir encore.
Vincent
Streethawk I
The Bad Arts
Beggars Might Ride
The Sublimation Hour
English Music
Virgin with a Memory
The Very Modern Dance
The Crossover
Helena
Farrar, Straus and Giroux (Sea of Tears)
Strike
Streethawk II