BRAD HAMERS – The Cut-Ups Of A Paper Woman
(Three Sides of a Circle)
Slug, Sole, Alias, Sage Francis… En introduisant massivement dans le rap la confession et l’exacerbation des sentiments, tous ces gens et une poignée d’autres ont depuis 8 ans, et avec plus ou moins de succès, opéré une petite révolution (ou un regrettable retour en arrière disent certains, pas mécontents que le hip hop ait autrefois extirpé le romantisme des musiques populaires). Il y a trois ans, avec un album au titre interminable (« One Night Stands with out of Tune Instruments in a Room with Blue Wallpaper »), une pochette façon Dali ou Tanguy et de longs morceaux tristes et intimes, le duo new-yorkais Phlegm était allé au bout de cette logique, il avait livré la version la plus extrême de ce rap profondément personnel fait d’états d’âme. L’album forçait à l’outrance sur le pathos, à coups de beats minimalistes et de tirades à n’en plus finir à mi-chemin entre poésie et psychothérapie. C’était trop, et pourtant, cela marchait, cela était beau, très touchant. Aujourd’hui, avec tout le recul nécessaire, ce disque mérite sans difficulté d’être qualifié de mini-classique underground.
Deux ans plus tard, en 2004, le rappeur de Phlegm remettait ça pour un album solo aussi long que le précédent, mais produit par ses seuls soins, hormis des interventions ponctuelles du compère Nobs, des Australiens de Just Like Us et de Slomoshun, l’autre moitié du duo. Intitulé « The Cut-Ups of a Paper Woman », ce disque s’est montré aussi excitant que le précédent, voire supérieur. Alors bien sûr, le changement est mineur, Brad Hamers force plus que jamais sur l’affect. Rythmes appuyés, instrumentation diaphane, samples ramollis, piano pesant, trompette jazzy lointaine et nostalgique, guitare acoustique triste, bruits des vagues sur la plage ou de goutte d’eau qui tombe, lenteur, langueur, longueur, tout ici est fait pour suggérer l’introspection, la gravité, l’accablement. Quant aux paroles, récitées plus que jamais sur le mode du monologue intérieur, succession ininterrompue d’associations d’idées et de vieux souvenirs parsemée de citations de Don Delillo ou d’Alan Watts, elles ne font que renforcer cette atmosphère lourde et ce parti pris arty. Il y est notamment question de relation amoureuse qui fout le camp, de naufrage personnel, de fuite dans l’écriture, d’envies de suicide, d’attente.
La musique de Brad Hamers est différente de ce que le commun entend par « hip-hop », pourtant, elle est hip hop. Jamais, les instrumentations ne sont autre chose qu’une variation subtile sur une boucle, fut-elle de guitare acoustique plutôt que de funk. Pas à un seul instant, le MC ne fait autre chose que rapper, sur un ton déclamatoire à rapprocher du spoken word. Pourtant, cela est inédit, cela aboutit à des morceaux d’une beauté rarement entendue, si ce n’est chez Soso et chez quelques marginaux rap de même acabit. Ainsi le magnifique « Half World », suite de visions sur fond de guitare acoustique répétitive, dont les derniers mots (« file, save ») laissent entendre qu’il s’agit d’un fichier Word, avant qu’une voix et une note de synthé légères ne surgissent pour une fin d’anthologie. Ainsi également le superbe « Cliff Notes », vidage de sac avant chute finale au pied d’une falaise. Et que dire de « Pickpocketed Memory Clip », de « A Loose Brain Thread » et surtout de « One Bedroom Apt. », sinon qu’ils sont aussi somptueux ? Comme la quasi-totalité de l’album, l’un des tous meilleurs de 2004, un disque qu’il était plus que temps de mentionner ici.
Sylvain Bertot
One Bedroom Apt.
Mechanical
And Stuck In A Downpour
a) I Play Dead b) Return Rewound
Black & White
Half World
a) Sinking Summer Boat b) Water Drops and Record Pops
Cliff Notes
a) lookbehindu
And The Pregnant Way To Carry An Art Textbook b) Psychedelic Scarecrows
Footstep (A Smile In Script)
a) A Pickpocketed Memory Clip b) Hiking Kit
Arms Made 4 Hugs Like Wrenchmetal
Hic-Cup
a) Loose Brain Thread b) From A Hole In My Dining Room
One Bedroom Apt. (Fully Furnished)