PATRICK EUDELINE – Mauvaise étoile
(Suave / Rue Stendhal) – acheter ce disque
Onze ans. Onze ans que Patrick Eudeline n’avait pas fait tomber dans les bacs un nouvel album. Le dernier en date (également le premier), "Patrick Eudeline et Myriam" datait de 1995 et avait été enregistré sur une période très longue, certains morceaux remontant au début des années 8O. Depuis ce disque, enregistré avec les moyens du bord, Eudeline a écrit trois livres, publié des articles de fond sur ce qu’est "la vie en rock", apprenant à une génération consentante que le Rock est bien plus que du rock, quelque chose entre une obsession, une religion et un nouvel existentialisme. Autant dire que les manifestations sur disque du dandy parisien étaient guettées avec intérêt. Il nous avait livré quelques petites choses, éparses, comme ses mini textes sur le disque de Nada, "Ultrash", ou bien encore "La nuit", figurant sur une compilation publiée chez HLM. Et surtout, surtout, il a livré depuis 2004 une série de concerts flamboyants, allant de l’apocalyptique au quasi-mystique, divulguant par la même occasion certains nouveaux morceaux de l’album à venir.
Depuis le développement de la "nouvelle scène parisienne" (terme générique qui englobe le meilleur comme le pire), Patrick Eudeline est considéré comme une sorte de parrain, survivant d’une époque de fulgurances, de coups de génie et de morts par dizaines. En 1995, il était un authentique musicien maudit. Aujourd’hui, sa notoriété change quelque peu la donne. Mais, pas de doute, les obsessions restent les mêmes.
Il est clair que ses textes sont toujours aussi sombres, la malédiction du rock est toujours présente, entre drogues, alcool, et le réel qui revient vous rattraper dans votre course pour l’immortalité vampirique. La chanson "Mauvaise étoile" nous rappelle les moments de passage à vide qu’Eudeline connut dans les années 80, lorsque ses amis tombaient les uns après les autres, et que les derniers feux du punk s’éteignaient. Incompréhension sur le destin qui le manipule comme "un pantin, pantin de rien". Il revient sur cette bonne vieille question de la fin des fulgurances, du génie et du danger lorsqu’on laisse derrière soi la drogue et le mode de vie associé au rock’n’roll ("Montevideo Blues", incantation de six minutes). Eudeline voit maintenant le bout du chemin se dessiner, il est survivant mais "n’en a plus pour très longtemps". Le diable gagne, comme toujours.
La présence de Daniel Darc sur le titre " Comme disait l’amour Johnny Rotten" rajoute encore à la dimension de gladiateur titubant qui hante son œuvre, écrite ou musicale. La notion de dépendance (à l’amour, la drogue ou au rock) est définitivement une des clés de compréhension de son univers. Ça et survivre aux rêves éthérés adolescents mis en lambeaux par l’âge adulte et la réalité. Cette innocence perdue, Eudeline la rappelle avec sa reprise troublante et troublée du "Un jour mon prince viendra", qu’il agrémente de sons étranges qui transforment le rêve en cauchemar (Brian Wilson aurait pu élaborer ce genre de version en novembre 1966, alors qu’il mettait en place "Smile" et qu’il était assailli par des voix venues de nulle part, si ce n’est de son esprit fragmenté). "Agneau de Dieu, Agneau glacé", assez gainsbourienne dans l’esprit, avec les chœurs féminins (Les Violett ?), la basse claquante jouée au médiator et le thème du fétichisme vestimentaire comme religion, dénote dans l’album par l’atmosphère relativement légère qui s’en dégage. Une curiosité dans sa discographie, comme l’était "Dernière danse" en 1981.
Le sommet de l’album, "La Houle", enregistrée avec les musiciens de Tanger et d’A.S. Dragon et sa progression mélodique sidérante ("ces chansons qui montent vers le ciel et jamais ne l’atteignent", disait Eudeline à une époque) contient, paradoxalement, dans son texte, le principal reproche que l’on pourrait faire à l’album : "J’ai plus de souvenirs que si j’avais mille ans", "J’ai sur le cœur tous les jukebox cassés". La référence à certains morceaux est parfois trop évidente, comme sur "Faye Dunaway", qui reprend quasiment note pour note le riff et la rythmique du "Black Night" de Deep Purple, ou "Encore un verre", référence trop appuyée à Tom Waits ou aux Kinks, Small Faces. C’est le revers incontournable d’avoir une culture musicale encyclopédique, elle donne parfois "des ailes de géant [qui] empêchent de marcher". Eudeline nous avait montré qu’il disposait d’un talent de composition assez fort pour se départir de ses influences (Avec "Julien", entre autres). Cette faculté, si présente dans l’album précédent, malgré une production rudimentaire, transparaît moins avec "Mauvaise étoile". Autre source de déception : sur les 11 morceaux de l’album, on retrouve deux reprises (dont une version de "La Nuit" d’Adamo), et "Sunday Marine", titre de l’album de 1995, réinterprétée avec guitare pour seul accompagnement, et des paroles légèrement modifiées. Cela nous ramène à huit titres effectivement originaux. C’est assez frustrant lorsqu’on attend un album depuis tant d’années.
"Mauvaise étoile" reste un disque typiquement eudelinien, plus accessible que le précédent, qui était quasiment conceptuel tant l’orientation "cabaret-blues gothique" était prononcée. Tous les ingrédients y sont, mais malgré tout, un "quelque chose" de différent me chagrine : je ne retrouve pas dans ces enregistrements l’exaltation de ses prestations scéniques, la folie qui l’habite à chaque instant dès qu’il se saisit du micro. Et si cet album est sombre, il n’est pas, à mon sens, hanté. Or, c’est ce lyrisme gothique qui donne à Eudeline toute sa force d’évocation. Patrick/ Julien entend il toujours les sirènes chanter ? Si tel n’est plus le cas, tant mieux pour lui, tant pis pour nous, comme dirait l’autre.
Frédéric Antona
Agneau de Dieu, Agneau Glacé
Mauvaise Etoile
Comme disait l’Ami Johnny Rotten
Montevideo Blues
Faye Dunaway
La nuit
Encore un verre (Let’s Drink)
La houle
Je n’en ai plus pour très longtemps
Un jour mon prince viendra
Sunday Marine