JUANA MOLINA – Son
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Il y a un an et demi environ, je suis allé prendre le thé chez Juana Molina. Avec son mari et sa vieille Renault 9, elle m’avait emmené de Buenos Aires jusqu’à chez elle, à une quarantaine de kilomètres de la capitale argentine, dans un quartier plutôt résidentiel sans être vraiment chic. La maison était entourée d’une vaste pelouse, et il régnait dans les lieux la même quiétude que dans ses chansons, à peine troublée par le pépiement des oiseaux ou les aboiements des chiens. La visite s’était terminée dans une sorte d’appentis converti en home-studio. A l’intérieur, pas grand-chose : une poignée d’instruments (surtout des claviers), un ordinateur, quelques disques qui traînaient, rien que du très bon (Can, Mark Hollis, Karen Dalton, Vashti Bunyan…). Je suppose que c’est là qu’a été enregistré, construit et déconstruit en totale indépendance "Son", son quatrième album, sur lequel Juana a encore une fois presque tout fait elle-même.
"Son", le bien nommé, radicalise le style des deux albums précédents, "Segundo" et "Tres Cosas". Là encore, les morceaux sont souvent construits sur des arpèges de guitare acoustique mis en boucle, auxquels viennent s’ajouter toutes sortes d’éléments souvent peu conventionnels : percussions métalliques, sifflotements, cris d’oiseaux (ceux du jardin ?)… La voix, elle, prend de plus en plus de libertés avec les formats pop et chanson. Enjôleuse sans être éthérée – un léger souffle est toujours perceptible -, démultipliée par l’usage du delay, elle est ici un véritable instrument, tantôt soumise à des modulations et des superpositions ("Micael"), tantôt employée comme ponctuation rythmique ("Yo No"), quand elle ne se met pas à imiter un miaulement ("Un beso llega").
En douze morceaux, l’ex-vedette de la télé argentine étend encore son univers sonore autarcique, qui tient autant du cocon (accueillant) que du labyrinthe (où il fait bon se perdre). Son art en apparence naïf, presque enfantin, se révèle au final extrêmement pensé. On pourrait en cela la rapprocher de Björk, de Kate Bush, de notre Camille nationale, ou d’artistes moins connus comme Broadcast, George, Psapp ou P:ano, discrets magiciens dont la musique est faite de l’étoffe des rêves. Mais il s’agit tout au plus d’accointances, car Juana Molina ne doit rien à personne. Ce fameux après-midi, elle m’avait dit, dans un excellent français, des choses très jolies sur sa façon de composer. Du genre : "Quand j’écris une chanson, je commence à chanter la mélodie et il y a des mots qui viennent et qui s’installent comme s’ils étaient dans un fauteuil confortable. Donc je dois construire une histoire à partir de ces mots. Si le mot n’existe pas, il faut que je trouve un équivalent. Ça me gêne si le mot sort de la mélodie, comme s’il donnait un coup de coude." On se plaît parfois à imaginer les habitants des antipodes avec la tête en bas ; celle de Juana Molina, tout en restant bien posée sur ses épaules, semble plutôt dans les étoiles.
Vincent Arquillière
Rio Seco
Yo No
La Verde
Un Beso Llega
No Seas Anticipata
Micael
Son
Las Chupas
Malherido
Desordenado
Elena
Hay Que Ver Si Voy