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Disques

I’m Not There

V/A – I’m Not There
(Columbia / Sony BMG) – acheter ce disque

V/A - I'm Not ThereEn 1992, pour célébrer les 30 ans de la sortie du premier album de Bob Dylan, Columbia avait décidé de réunir au Madison Square Garden de New York, la fine fleur de la bourgeoisie rock. Bon, vu la qualité anecdotique du disque fêté (surtout en regard de ce qui allait suivre), le carton d’invitation devait être libellé en ces termes : « On a de l’argent à ne plus savoir qu’en foutre. On en a marre de faire des concerts caritatifs pour tenter de sauver l’Afrique, donc on va tenter de sauver un autre continent ». Malgré cela, ce concert est historique pour plusieurs raisons :
– ce fut tout d’abord à cette occasion que Sinead O’Connor se fit siffler (par le toujours compréhensif public new-yorkais) pour avoir quelques semaines plus tôt « chié sur la moquette » (comme le résumait assez joliment le toujours inspiré Frank Sinatra), en déchirant en direct à la télévision une photo du pape. Sa prestation a d’ailleurs disparu du CD des meilleurs moments du concert ;
– ce fut également lors de ce concert que le Zim réalisa une de ses pires performances vocales de tous les temps, en reprenant son pourtant sublime « It’s Alright, Ma (I’m Only Bleeding) », avec la voix de Donald Duck. Pour être honnête, quand je rencontre un abruti qui me dit que de Dylan il aime tout sauf la voix, je lui passe directement cette chanson, et j’essaye de lui démontrer que malgré « cela », il a tort. Bon, après avoir tenté cette expérience des dizaines de fois (j’ai beaucoup d’amis abrutis dont la principale caractéristique est de ne pas aimer la voix de Dylan), je n’ai jamais réussi à convaincre personne, mais je continue à me dire que si j’y arrive, j’ai de quoi me faire élire gouverneur de l’Iowa avec comme seul et unique slogan : « Jésus, c’était rien qu’un pédé ». Un défi passionnant, donc.
– enfin cette performance compilée dans un double album en 1993, permet encore aujourd’hui, si cela est nécessaire, de mesurer l’importance de l’auteur de « Tarantula » auprès de ses collègues musiciens. Bien sûr, comme toujours lors de tels concerts, il y a des horreurs (Eddie Veder chantant – presque aussi mal que Dylan ce soir là – « Masters of War », John Mellencamp reprenant de façon lourdingue « Like a Rolling Stone », Clapton revisitant en blues pas inspiré « Don’t Think Twice, It’s All Right »), mais globalement le niveau est bon (Lou Reed, Ron Wood), voire excellent (Johnny Winter dynamitant « Highway 61 revisited », Neil Young neilyounguisant « Just like Tom Thumb’s Blues », la performance des countrymen et women – M. et Mme Cash, Kris Kristofferson…)

Alors pourquoi parler de cet album en introduction d’une chronique sur la bande originale du film ovni de Todd Haynes ? Eh bien pour illustrer l’idée qu’en matière de rock and roll, bien souvent l’absence de goût est pire que le mauvais goût. Entendons-nous bien, au petit jeu de la comparaison entre les deux disques, la bande originale semble devoir l’emporter haut la main. Il est vrai que l’idée de faire reprendre du Dylan par la fine fleur du rock, du folk et de la country indépendants (Cat Power, Iron and Wine, Sufjan Stevens, Yo La Tengo, Sonic Youth…) est autrement plus bandante que de confier cette même tâche à un quarteron de vieux drogués décatis, n’ayant pour la plupart, pas écrit une bonne chanson depuis plus de 10 ans. Bien sûr, on me dira, que le concert de 1992 contient son lot (d’alors) jeunes artistes au fait de leur talent (Tracy Chapman, Eddie Vedder et Mike Mc Cready), et que la BO fait quant à elle appel à quelques rockeurs qu’on croyait déjà posthumes (Richie Havens, Roger Mc Guinn, Willie Nelson – tous déjà là en 92 d’ailleurs). Mais autant dans le premier cas, l’idée d’inviter des jeunes semble un alibi artistique pour échapper à l’étiquette de « concert de dinosaures » ; autant dans la deuxième hypothèse, le recours à quelques vieilles gloires passées apparaît plus comme la marque d’un indéfectible respect envers des aînés, dont on a un peu honte, mais auxquels on pardonne tout, parce qu’on lorgne avec envie sur leur héritage.

Bien sûr, on me fera remarquer que les jeunes comme les vieux tombent de la même façon dans la fausse bonne idée du super groupe monté pour l’occasion (des membres de Wilco, de Sonic Youth et du groupe de Bob Dylan notamment pour les modernes, contre Roger Mc Guinn, Tom Petty, Neil Young, Eric Clapton et George Harrison pour les anciens). Mais là où la jeunesse a au moins la décence de chercher une certaine unité dans son projet (notamment en se baptisant The Million Dollar Bashers), la vieillesse (sûrement afin de soigner les susceptibilités de ces messieurs) choisit l’empilement des noms tous plus ronflants (au propre comme au figuré) les uns que les autres.

Et pourtant malgré (ou plutôt grâce) à tout cela, le concert de 1992 l’emporte haut la main. L’écoute des deux disques de la bande originale, ne laisse pas (c’est le moins que l’on puisse dire) de souvenirs impérissables. Il n’y a à vrai dire pas grand-chose de honteux (on ne parlera pas de Charlotte Gainsbourg, parce que la demoiselle nous est sympathique et parce qu’elle campe avec un certain talent une Sara Lowndes-Suze Rotolo, dans le film, on ne dira rien non plus sur Jack Johnson, parce que c’est un surfeur et que ça doit déjà être assez dur, comme cela pour ne pas en rajouter), mais il n’y a pas plus de choses remarquables. Très schématiquement, on a l’impression que ceux qui s’en tirent le mieux sont ceux qui collent fidèlement à l’original (Cat Power, Stephen Malkmus, Karen O), et qu’à part deux ou trois relectures vraiment bien senties (Iron and Wine et Calexico pour « Dark eyes », Antony and the Johnsons pour « Knockin’ on Heaven’s Door », Jim James et Calexico pour « Goin’ to Acapulco »), le reste est franchement anecdotique, un peu comme si tous ces sympathiques trentenaires ou quarantenaires jouaient des morceaux trop grands pour eux. On ne leur en veut pas, le temps n’est plus où les artistes représentaient autre chose qu’eux-mêmes. Mais on a l’impression qu’un George Harrison (parce qu’il a vécu l’époque, parce qu’il en a été acteur) sera toujours plus à même de jouer « Absolutely Sweet Marie », qu’un Mason Jennings de reprendre « The Lonesome Death of Hattie Carroll », et ce même si je n’ai aucun doute sur la sincérité du Hawaïen (qui a eu la bonne idée, contrairement à son compatriote Jack Johnson de fuir les planches de surf et les chemisettes à fleurs pour le Minnesota).

Alors bien sûr, on va (surtout ici) me traiter de rétrograde, me dire (à juste titre), qu’on est un peu plus impatient d’entendre le futur album dudit Jennings, que celui du guitariste des Beatles. Et bien (outre que c’est pas très sympa de se moquer des morts, surtout lorsque ceux-ci croyaient de leur vivant qu’ils seraient réincarnés en bouc au fin fond du Pendjab), j’assume parfaitement ce côté réac, et je vais vous dire l’album de « I’m Not There » me donne même raison dans sa conclusion. Parce que le meilleur titre, parmi les 34 que compte cette BO, c’est tout bonnement le dernier. Il a été enregistré, il y a 40 ans, et il s’agit de l’inédit signé Bob Dylan et the Band, qui donne le titre au film de Haynes.

Emmanuel Beal

Disque 1
All Along the Watchtower – Eddie Vedder and the Million Dollar Bashers
I’m Not There – Sonic Youth
Goin’ to Acapulco – Jim James and Calexico
Tombstone Blues – Richie Havens
Ballad of a Thin Man – Stephen Malkmus and the Million Dollar Bashers
Stuck Inside of Mobile With Memphis Blues Again – Cat Power
Pressing On – John Doe
Fourth Time Around – Yo La Tengo
Dark Eyes – Iron & Wine and Calexico
Highway 61 Revisited – Karen O and the Million Dollar Bashers
One More Cup of Coffee – Roger McGuinn and Calexico
The Lonesome Death of Hattie Carroll – Mason Jennings
Billy 1 – Los Lobos
Simple Twist of Fate – Jeff Tweedy
Man in the Long Black Coat – Mark Lanegan
Señor (Tales of Yankee Power) – Willie Nelson and Calexico

Disque 2
As I Went Out One Morning – Mira Billotte
Can’t Leave Her Behind – Stephen Malkmus and Lee Ranaldo
Ring Them Bells – Sufjan Stevens
Just Like a Woman – Charlotte Gainsbourg and Calexico
Mama You’ve Been on My Mind / A fraction of last thoughts of Woody Guthrie – Jack Johnson
I Wanna Be Your Lover – Yo La Tengo
You Ain’t Goin’ Nowhere – Glen Hansard and Marketa Irglova
Can You Please Crawl Out Your Window ? – the Hold Steady
Just Like Tom Thumb’s Blues – Ramblin’ Jack Elliot
The Wicked Messenger – the Black Keys
Cold Irons Bound – Tom Verlaine and the Million Dollar Bashers
The Times They Are a Changin’ – Mason Jennings
Maggie’s Farm – Stephen Malkmus and the Million Dollar Bashers
When The Ship Comes In – Marcus Carl Franklin
Moonshiner – Bob Forrest
I Dreamed I Saw St. Augustine – John Doe
Knockin’ on Heaven’s Door – Antony & the Johnsons
I’m Not There – Bob Dylan with the Band

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