CAT POWER – Jukebox
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D’emblée, on ne sait pas trop quoi penser de ce déjà second album de reprises de Cat Power, qui arrive de surcroît dans un emballage un peu pute : une sérigraphie colorée de Chan Marshall posant dans un style "prête à tout depuis que je me suis découverte warholienne" qu’on peut légitimement trouver limite. Forte du succès de "The Greatest", devenue enfin une icône chic pour grands couturiers, la Miss americana du folk indé semble payer son tribut à la gloire, ou quelque chose comme ça. On a assez vite envie de jeter l’objet aux orties. Mais ce serait oublier que la trajectoire musicale de Cat Power est à la fois beaucoup plus cohérente et retorse que ce qu’on redoute.
Cohérence il y a, dans la mesure où cet album suit le tracé soul-rock du précédent album, de la même manière que "The Covers Record" raréfiait l’oxygène des compositions des Stones, Dylan, Reed et autres vénérables, comme si elles étaient toutes issues de chutes de studio lo-fi des premiers albums de Cat Power. Ayant largué les amarres de l’austérité anxiogène, les nouvelles reprises s’habillent de couleurs chamarrées et d’une nonchalance vocale qui rappellent que, définitivement, Chan Marshall s’en va voir ailleurs. Plus de refrains châtrés, de plongée dans l’intime, de sanglot vocal taillé dans le cristal de roche. En lieu et place, une grâce somnambulique, parfois au bord de l’absence, qui reste franchement charmeuse.
Et parce qu’elle est aussi retorse, parce qu’elle doit un peu s’en foutre de sa carrière et en même temps, fine mouche, surfer sur la vague du succès pour se donner la liberté de chercher, à son rythme, une nouvelle inspiration musicale, la chanteuse propose, avec cet album, un divertissement récréatif sur le mode : "vous reprendrez bien un Martini olive le temps que j’aille changer de robe". Bref, elle nous laisse un message d’amitié un peu négligent le temps de se refaire (une santé, une fortune, on ne sait plus très bien). Alors, prenons ce disque pour ce qu’il est. Un apéritif gouleyant et léger. Un truc qui donnera envie de saveurs plus âpres par la suite. Et c’est déjà pas mal. Franchement, ça commence de façon relativement intéressante, avec un "New York New York" chanté du bout des lèvres et vite poussé vers sa fin, un "Ramblin’ Woman » ménageant de beaux contrastes, une reprise vocalement habitée de "Metal Heart" (la guitare vient tout de même un peu tout saloper, mais bon), et un pudique "Silver Stallion". La suite n’est pas indigne… On peut trouver çà et là les accompagnements un peu trop présents, trouver que Chan Marshall (après Bowie ou Bashung) ne rajoute pas grand-chose à la gloire de Dylan par sa chanson-hommage inédite ("Song to Bobby"), mais c’est véniel. Il reste une habileté, une patte, une manière de tirer vers la lumière même Billie Holiday ("Don’t Explain") qui font tout l’intérêt de cette récréation.
David Larre
A Lire aussi :
La chronique de The Cover Records
La chronique de The Greatest
New York (Frank Sinatra)
Ramblin’ (Wo)man (Hank Williams)
Metal Heart (Cat Power)
Silver Stallion (The Highwaymen)
Aretha, Sing One For Me (George Jackson)
Lost Someone (James Brown)
Lord, Help The Poor And Needy (Jessie Mae Hemphill)
I Believe in You (Bob Dylan)
Song to Bobby (Cat Power)
Don’t Explain (Billie Holiday)
Woman Left Lonely (Janis Joplin)
Blue (Joni Mitchell)