PORTISHEAD – Third
(Mercury / Island) [site] – acheter ce disque
Il faut s’y résoudre. Dix ans après le "Roseland NYC Live", Portishead ne fête pas les retrouvailles le sourire aux lèvres. "3", loin de tout glamour, confirme la noirceur indélébile du groupe, pas désireux de rameuter les basses profondes, le sampler de couleurs, les mélodies et inflexions soul qui ont contribué à définir un son unique. Le disque cultive plutôt l’austérité et va voir ailleurs : rythmiques hachoirs, électro dure et répétitive, synthés archaïques mêlant les souvenirs des BO les plus cauchemardesques ("Midnight Express" vs "1984"), rien de très aimable dans cette collection de morceaux qui n’a les airs ni de la promenade bucolique ("Out of Season") ni même de la virée urbaine à la limite du fantastique ("Portishead"). Après tout, pourquoi se répéter ? "Dummy" est sorti dans une vie antérieure et les teenagers qui découvrent la musique au son de Gossip, The Dø ou MGMT ne connaissent pas le groupe. Il faut donc saluer le panache, et le vague soupçon de suicide commercial, de cette entreprise. Plus, il faut souligner comment l’intransigeance se transforme ici en manifeste esthétique, et livre l’oeuvre au noir la plus cohérente et inspirée depuis… le "Mezzanine" de Massive Attack (il n’y a pas de hasard). Portishead se réinvente donc en rebattant les cartes de son désespoir : après une intro parlée en brésilien (fausse piste), "Silence" dévoile peu à peu les atouts de la partie. Roulement rythmique continu, guitare corrosive, voix plaintive et plus malmenée que d’habitude, multitude de détails d’arrangement et de production dont Geoff Barrow a le secret. "Hunter" prolonge et modifie la donne : Beth Gibbons, plus souveraine dans la mélodie, se fait méchamment déstabiliser par les ruptures et complètement bouffer le refrain par la séquence électro. Il faut attendre "The Rip" pour trouver, momentanément, un peu de douceur, la voix se posant sur une ligne de synthé très prog’ 70’s. Ensuite, commence le grand tremblement dont les résonances se font entendre dans le studio d’enregistrement transformé en bunker du groupe : pales d’hélicoptères doublées rythmiquement, syncopes et éclats synthétiques ("Plastic"), sonneries d’alarmes, martèlement tribal, guitares saturant le crescendo final et réminiscences de Björk (les choeurs) et Silver Apples ("We Carry On" en traité de la déflagration sonore). Petit intermède loufoque ("Deep Water" aux faux airs folk, avec choeurs du Mississipi en sourdine) et la charge reprend pour ne plus cesser : "Machine Gun", morceau explicite sur lequel Beth Gibbons lutte vaillamment contre l’imposant concassage rythmique, sans doute le single le plus ingrat, sorte de techno-indus aride, qu’on ait entendu depuis des lustres. "Small", parti sur les bases mélodiques d’une ballade hantée, vire méchamment au psychédélique, se reprend puis repart en vrille (morceau flippant, un de plus). "Magic Doors", un des plus ambitieux du lot, joue de la virtuosité rythmique (percus/caisse claire/piano) et du contrepoint étonnant d’une sorte de bande inversée, de cuivres et de claviers, pour permettre à Beth Gibbons de donner le meilleur d’elle-même. Quand sur l’hallucinant finale de "Threads", la chanteuse abandonne son rôle de victime propitiatoire et se met à hululer à l’unisson des guitares, des chœurs étouffés et que les cornes de brume emplissent l’espace, la messe est dite. Il fait définitivement froid dans ce monde.
David Larre
A lire également, sur Portishead :
la chronique de « Roseland NYC Live » (1998)
Silence
Hunter
Nylon Smile
The Rip
Plastic
We Carry On
Deep Water
Machine Gun
Small
Magic Doors
Threads