RON SEXSMITH – Exit Strategy Of The Soul
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Je tiens à prévenir les lecteurs que les propos que je m’apprête à tenir risquent de heurter certaines susceptibilités, mais zut après tout, j’espère qu’en enfonçant le clou avec témérité, le message sera enfin entendu : Ron Sexsmith, c’est non seulement la classe impériale, mais c’est surtout – et c’est là que je risque de m’attirer les foudres de fans invétérés (m’en fiche !) – un singer-songwriter (contemporain, lui au moins) qui mérite d’être intronisé aux côtés de figures telles que les Beatles, dont il soutient la comparaison. Je sais que j’y vais fort, mais j’assume. D’autant qu’à sa décharge, le Canadien crée seul et à une époque nettement moins inspirante, ce qui n’était pas le cas de ses éminents aînés, dont la puissance créatrice était, entre autres, décuplée par la perpétuelle compétition qui régnait entre les deux leaders.
Ron fait partie de ces artistes qui composent comme ils respirent, et dont être déçu de la dernière sortie discographique relève presque de l’impossible. Le bonhomme s’est approprié un univers musical indémodable qui, entre ses mains, semble exploitable à l’infini, tant la surprise est à chaque fois au rendez-vous. L’orfèvre pop-folk a déjà une dizaine de disques à son actif, tous écoulés dans une indifférence abracadabrante. Et pourtant, chaque galette mériterait le platine, que dis-je !, le diamant. "Exit Strategy of the Soul", n’échappe pas à la règle, il est tout bonnement prodigieux.
Malgré l’injuste manque de reconnaissance dont il fait l’objet, Ron ne se laisse pas abattre et aborde chaque nouvel opus comme s’il s’agissait de son premier bébé. Le poupon, comme on l’appelle en raison de sa bobine infantile, a choisi – magistralement entouré par le producteur Martin Terefe, déjà aux manettes sur "Retriever" – d’élever ses compositions au rythme de la soul. C’est dans l’ombre du gospel que chaque morceau a vu le jour. Plus que ses prédécesseurs, "Exit Strategy of the Soul" est baigné de cuivres plus américains que nature, pourtant dégotés à La Havane. On y retrouve également des percussions cubaines qui font leur petit effet ("This Is How I Know", "One Last Round"). Seule "Poor Helpless Dreams", composée il y a une quinzaine d’années, flirte avec un univers plus country. Mais ce n’est qu’aujourd’hui, pénétrée par l’inspiration gospel du moment, et toilettée pour l’occasion, que la chanson a trouvé sa place. Que dire de "Brandy Alexander" ou mieux de "Traveling Alone", arrosés de chœurs féminins aériens, qui sont de véritables moments de grâce. Et ça continue avec "Hard Time", "Ghost of a Chance", "Thoughts and Prayers" (particulièrement planante), "The Impossible World", "Chased by Love"… (bon, j’arrête), ballades romantiques portées divinement par la voix moelleuse du crooner qui a su capturer la magie de l’instant, en préférant les versions tests aux versions trop aseptisées du studio. Pareil pour ce qui est du jeu de piano – soit dit en passant irréprochable -, dont il a voulu prendre le risque d’assumer seul la performance.
Puisqu’il faut conclure, évoquons "Dawn Anna" qui referme ce chef-d’oeuvre de maîtresse manière, dans une symphonie de cordes frottées qui viennent caresser le piano avec mélancolie. Au bout du compte, c’est un Ron Sexsmith libéré et bien dans ses souliers qui se dévoile à nous. Alors, de grâce, n’attendez pas que ce phénomène vivant ne devienne la révélation posthume 2060, avant de vous y intéresser. En tout cas, plus que jamais, moi je reste baba de Ron.
David Vertessen
A lire également, sur Ron Sexsmith :
la chronique de « Time Being » (2006)
la chronique de « Retriever » (2004)
la chronique de « Cobblestone Runway » (2002)
la chronique de « Blue Boy » (2001)
Spiritude
This Is How I Know
One Last Round
Ghost of a Chance
Thoughts and Prayers
Brandy Alexander
Traveling Alone
Poor Helpless Dreams
Hard Time
The Impossible World
Chased by Love
Brighter Still
Music to My Ears
Dawn Anna