THE DEARS – Missiles
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La carrière des Dears est probablement une des plus mouvementées de ces dix dernières années. Départ de plusieurs membres après le premier album, multiples EP que le monde boude, un second opus porté aux nues, tournée mondiale, nouveau split, un troisième LP plus rock, moins épique, qui passe presque inaperçu, nouvelle tournée mondiale en 2006, relations avec leur maison de disque pour le moins empoisonnées. Silence radio pendant deux ans, l’avenir du groupe se trouve engagé. Annonce d’un nouvel enregistrement il y a à peine quelques mois, au début de l’été, et il y a quelques semaines le leader naturel de la formation, Murray Lightburn, révélant qu’il ne reste plus que lui et Natalia… On n’est pas surpris : The Dears est tout sauf un gang. Le drame semble être le moteur de ce groupe hors normes, la tragédie couler dans leur sang. Et ça n’a pas manqué de leur coûter très cher avec "Gang of Losers", troisième disque aux allures de chant du cygne. Ce n’est pas qu’il soit fondamentalement mauvais, mais le groupe semble alors lâcher prise, perdre l’inspiration, se ranger et être abattu pour de bon.
Ainsi, au moment d’écouter et savourer "Missiles", on ne sait à quoi s’attendre. On savait déjà que l’album contenait des chansons assez longues, comme au bon vieux temps. Jamais on ne se serait vraiment attendu à un disque aussi beau, abouti, frondeur. Une véritable résurrection. Les amoureux de "No Cities Left" seront peut-être un peu décontenancés le temps de plusieurs écoutes : pas de gros riffs, peu de crescendo diabolique ni d’énorme break, absence d’orchestration wagnérienne. Non. Plutôt des chansons qui se développent lentement, douces, suaves, parfaitement écrites, d’une formidable tendresse. Ce disque dégage une sérénité que l’on n’aurait jamais deviné chez ce groupe nerveux, idéaliste, grandiloquent, sauf en certaines éclipes, "Don’t Lose the Faith" par exemple. "Missiles" est un poing de velours. Ainsi débute-t-il avec "Disclaimer", mise en bouche magnifiée par une partie de saxophone à la Archie Shepp, relativement soul. Il y a cinq ans, ce titre aurait sans aucun doute été traité fort différemment, avec une montée de lave furieuse, des ruptures de rythme à foison et immédiatemment catalogué single en or massif. Cette fois, les Dears ont choisi une voie différente : le titre s’arrête au moment où l’on s’attend, logiquement, à ce qu’il se transforme en monument martial. Dans "No Cities Left", les Dears flirtait avec un rock pompier, gigantesque, certes sans ennuyer ni laisser sceptique. "Disclaimer" est d’une considérable importance dans la carrière du groupe, qui semble alors se prendre à contre-pied, ruiner ses anciennes recettes, défricher de nouvelles terres. "See I come back from almost dead/And i got to revenge everyone" sont les premiers mots chantés de l’album. La machine à symboles tourne à plein régime.
Les trois chansons suivantes sont du même tonneau : toujours au bord de l’explosion, "Dream Job", "Money Babies" et "Berlin Heart", même portés par une rythmique massive, des synthés à la Brian Eno, une atmosphère crépusculaire, demeurent aériennes, détachées, sans affectation, ne flirtant à aucun moment avec le mauvais goût – restant fidèle à leur ligne. Plus carrées, plus écrites, savamment dosées, elles rendent compte de la nouvelle dimension atteinte par le combo canadien. Il faut attendre "Lights Off" pour se retrouver en terrain familier : longue litanie d’une formidable tendresse, elle gagne en densité selon une structure parfois usitée dans "No Cities Left", cette fois menée au bout de sa logique : une première partie presque acoustique, un pont post-rock, une comptine soul, un solo de guitare bluesy un peu désuet, à la B.B. King, de nouveau la comptine accompagnée de cordes aux accords romantiques (pour ne pas dire niais selon l’état de l’auditeur). "Demons", futuriste mélodie aux synthés en avant, doublée et arrangée pour les choeurs, percus frontales, toujours dans une ambiance de fin des temps, le chant restant cependant chaleureux, moelleux comme les coussins d’un chat. La chanson-titre, "Missiles", est beaucoup plus qu’une simple ballade intimiste. Chuchotée par Lightburn avec une bouleversante clarté et un art consommé de l’espace, elle est probablement une des plus abouties et dépouillées que le groupe ait composées.
En fait, cet album semble ne pas connaître la colère. Le disque n’est ni paisible ni effacé : il a la force qui ont traversé moult épreuves et regardent le monde avec un regard plus lucide. Quand on sait qu’il y a quelques années, ils composaient un titre aussi noir, nihilistre, brutal et terrifiant que "No Hope Before Destruction", on se dit que les Dears reviennent d’infiniment loin. Murray Lightburn, sur le site du groupe, affirme qu’il s’agit d’un nouveau départ. Peu importe que l’avenir lui donne ou non raison : "Missiles" est avant tout une profession de foi.
Julian Flacelière^^
Disclaimer
Dream Job
Money Babies
Berlin Heart
Lights Off
Crisis 1 & 2
Demons
Missiles
Meltdown In A Major
Saviour