ANTONY AND THE JOHNSONS – The Crying Light
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Au moment où j’écris ces lignes, le troisième album d’Antony Hegarty, toujours entouré des soins affectueux des Johnsons, vient de se classer dans le top five des ventes d’albums en France. J’avoue y croire à peine, et ma surprise vient moins de la surexposition médiatique croissante (apparemment irrésistible) de l’artiste que de l’intérêt étonnant que suscite ce disque, esthétiquement plus austère que son prédécesseur : ici, pas de duo glamour avec Boy George ("You’re My Sister"), de frissons SM sur la guitare de Lou Reed ("Fist Full of Love"), pas de titre accroche-radio ("Hope There’s Someone",), pas davantage de vibrato exubérant ou de morceau volontairement percutant (comme le "Shake That Devil" sur le récent EP paru en novembre). Antony, seul en voix, dans le mariage de sa tessiture subtile et des harmonies des Johnsons (piano, violon, guitare, hautbois), jeté dans une quête existentielle toujours suspendue entre naissance et mort, perte de soi et affirmation d’une identité instable, y domine son sujet : cohérence plastique et sonore (la pochette met en scène, dans le même clair-obscur transgenre que "I Am a Bird Now", la figure mythique de Kazuo Ohno, maître de la danse Butô, tandis que les expérimentations vocales jouent d’une dramaturgie à la fois ludique et solennelle qui se prête à l’hommage : "Epilepsy Is Dancing", "Dust And Water"), compositions inspirées et équilibrées, qui dans leur fragilité intègre, apparaissent comme des classiques ("One Dove", "Another World"), épopées intimistes ("Daylight in the Sun", morceau à tiroirs obsédant, "Everglade", élégie somptueuse rehaussée de flûte et de piano en sourdine), rien ne manque. Plus encore que par le passé, cette soul improbable, qui doit autant au jazz qu’à la musique minimale, trouve la plénitude dans la sobriété, la joie dans une ivresse proche de la déréliction, oxymore dont le mystère repose une fois de plus en la vitalité créatrice de son auteur.
David Larre
A lire également, sur Antony and the Johnsons :
la chronique de « I Am a Bird Now » (2005)
Her Eyes Are Underneath the Ground
Epilepsy Is Dancing
One Dove
Kiss My Name
The Crying Light
Another World
Daylight and the Sun
Dust and Water
Everglade