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Disques

The Antlers – Hospice

THE ANTLERS – Hospice
(French Kiss / PIAS) [site] – acheter ce disque

THE ANTLERS - HospiceIl n’existe pas de salut artistique sans LP. Certains groupes l’ont d’ailleurs parfaitement compris en misant énormément sur une suite de chansons formant un ensemble cohérent, interdynamique et raisonné, que l’auditeur doit apprendre à connaître paisiblement. A tel point que leurs albums sont souvent rangés sans plus d’explications dans la pratique case "concept" : Sigur Rós, Radiohead, Fiery Furnaces, Arcade Fire et… The Antlers désormais. Tout cela parce que les New-Yorkais ont décidé d’écrire dix chansons liées entre elles par un thème commun, la mort, observée, décrite et analysée par un narrateur écrivant son journal intime. Dans le cas qui nous intéresse, cela n’a rien d’un concept. C’est le récit détaillé d’une expérience intérieure, on ne peut plus physique, celle de regarder un être aimé agoniser dans un hospice, relativement similaire à celle qu’a vécue le chanteur/compositeur Peter Silberman dans sa jeunesse. "Les parallèles sont les mêmes à mes yeux [entre l’hospice et son expérience] – non littérales, mais concernant l’état émotionnel et le genre de relation que vous pouvez avoir avec une personne. Cela collait bien, atrocement bien."

La patiente de l’hospice en question se prénomme Sylvia et on apprend à la connaître à travers les pensées de Silberman. Déroutant au premier contact, l’écoute du LP devient vite une expérience à part entière pour celui qui s’y plonge. On l’écoute comme on lirait les chroniques d’un reporter de guerre, les multiples faits que partage le narrateur faisant écho à nos propres expériences de la douleur, de l’impuissance et du deuil, et les passages apparemment les plus banals ou détachés dissimulent mal leur vérité et leurs implications. Dans cette optique, la musique du groupe dit parfois davantage que les mots, comme si le langage n’était soudainement plus adéquat, trop précaire, trop prédéterminé pour décrire des sentiments aussi forts ou ambivalents. Les textes sont à la fois crus, sans affectation, dénués de pathos et pleins de délicate réserve. L’autre grande réussite de l’album est qu’on arrête rapidement de se demander quels sont justement les parallèles, ou les différences, entre ce que Silberman raconte et ce qu’il a vécu : on est uniquement happé par ce qui s’y passe, et on se fiche d’en déterminer la part de fiction et de réalité. L’interprétation vocale de Silberman, magnifique, tient tour à tour la comparaison avec Jeff Buckley, Antony Hogarth, Thom Yorke. La même passion, la même justesse, le même sentiment qu’il chante comme s’il n’aurait jamais de seconde chance.

La formation prend grand soin de ménager ses montées et ses descentes, de construire lentement, pièce par pièce, le grand édifice menant, en milieu de parcours, à l’intervention de Sylvia dans une superbe élégie chantée par Sharon Van Etten ("Thirteen"). Le cauchemar continue ainsi jusqu’au véritable tournant de l’album, "Two", longue confession dans lequelle le narrateur fait comme le bilan de la vie de la jeune femme, succession de désastres, de mauvais traitements, de brimades, et fruits d’une brisure fondamentale impossible à soigner. La machine à broyer est palpable, et les événements s’enchaînent avec une ignoble clarté. L’album, dès lors, se fait moins angoissé. Comme dans "In the Aeroplane Over the Sea" de Neutral Milk Hotel, c’est au moment le plus critique, où les dés sont irrémédiablement jetés pour ne plus jamais être relancés, que le lien entre mort et beauté est le mieux exprimé : "The sensation was scissors and too much to scream / So instead, I just started to laugh." Fascinant.

Julian Flacelière

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Prologue
Kettering
Sylvia
Atrophy
Bear
Thirteen
Two
Shiva
Wake
Epilogue

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