A lire les différentes critiques du disque parues notamment chez nos confrères de Magic et Benzine, il est une connexion entre Fairguson, dont « Tales From the 47 Willows » est la seconde parution, et un ancien groupe phare de la scène indépendante américaine, Grandaddy, apparemment aussi évidente que celle liant à jamais Moïse et Yahvé. Filiation de style d’abord, décrit comme un mélange amplement réussi d’americana pastorale et de folk hybride, de talent ensuite, la formation parisienne étant dès lors considérée comme le légitime et inconstestable héritier des auteurs de « The Sophtware Slump » dont l’idéale trajectoire s’était brisée il y a un couple d’années, aussi soudainement qu’un mariage en toc dans une chapelle kitsch de Las Vegas. Sur ces deux points, nous n’irons pas à contre-courant : l’album est effectivement excellent, assez pour en faire oublier les origines évidemment suspectes, puisqu’un groupe français ayant la suprême audace de désirer faire les choses en grand est presque immédiatement suspect de contrefaçon, alors que leurs voisins anglo-saxons feraient partie d’une grande famille dès lors qu’ils s’influencent, tirent leur eau à la même source, reprennent là où les autres se sont arrêtés ou ont bifurqué. Injuste traitement, condescendance mêlée de frustration difficilement ravalée de n’être qu’une nation d’éternels seconds couteaux médiatiques aux armes tout de même aiguisées, tranchantes même parfois lorsque l’oreille passe près d’un « Let It Go », parcourant assez de sentiers pour que des plus besogneux et moins talentueux en fasse un album entier. Nonchalance et air enivrant font de la suivante, « We Never Met Chris Cool », une perle certes déjà pêchée par d’illustres prédécesseurs mais que la troupe de Thomas Sadoun polit pour en faire ressortir tout l’harmonieux éclat.
Il est cependant un autre groupe yankee auxquelles les premières secondes de la charmante chanson d’introduction, « Lost Again », font à mes yeux bien davantage penser, Midlake, sortant par ailleurs ces jours-ci un troisième LP appréciable malgré son développement inégal et son caractère quelque peu falot. Avec davantage d’aplomb et de richesse que ce dernier, Fairguson articule un chant suave et cordial, d’une justesse et d’une finesse la plupart du temps mémorables, entre autres autour de synthétiseurs jumeaux du mémorable « Bamnan and Silvercork« . Le piano, instrument roi – souvent réduit dans ce genre de productions au rôle ingrat de décorum dont l’élégante patine sert de sauf-conduit vers l’honorabilité classique, développe de beaux thèmes intelligement menés à leur terme ainsi que sur l’éblouissante, lente et délicieusement apathique « 47 Willows ». Le piano charpente discrètement l’ensemble du morceau, laissant aux claviers et aux guitares aux lignes fuyantes cette belle respiration qui est l’une des réussites de l’album. Sur « Leaving the Captain », un judicieux déploiement de notes tour à tour allègres et graves permet au morceau de s’achever superbement. Cette utilisation presque toujours impeccable des multiples moyens dont disposent les six musiciens maintient le disque dans un imperturbable et robuste équilibre, pas même troublé par les rythmiques saccadées, éclatées, à la modulation riche malgré des effets par moments redondants.
Grandaddy, Midlake, « grands espaces américains » et « bois dans la cheminée » pour citer la très brève et superficielle chronique des Inrocks. Ces images à la force de frappe éphémère et ces comparaisons ressassées, comme autant de tags à appliquer sur son scrobbler lastfm, ne servent, il faut l’avouer, pas toujours leur sujet. Faut-il réellement ces récapitulatifs pour faire comprendre, quitte à forcer le trait, que Fairguson n’est pas un groupe d’imitateurs clampins et pour leur attribuer une authenticité dont ils n’ont probablement que faire, auditeurs à leur suite ? Peut-être l’hameçon doit-il nécessairement être le plus gros possible pour attirer davantage qu’un très maigre banc de poissons se dirigeant par instinct vers l’appât le plus facile et, surtout, le plus visible ? Ainsi adoubé, Fairguson demeurerait tout de même vassal, alors qu’ils méritent sans aucun doute des éloges bien plus appuyés qu’à l’ordinaire. Dans notre chronique du deuxième album de Megafaun, nous notions qu’un tel disque, passé sans surprise inaperçu, aurait affolé la blogosphère s’il avait été l’oeuvre, au hasard, de Fleet Foxes. Nous pourrions dire de même pour Fairguson, qui, quittant le capitaine, prend la barre de leur propre vaisseau et par là-même le large. Espérons qu’ils ne jettent pas l’ancre de sitôt et qu’ils fassent mentir la comparaison avec Grandaddy, du moins en ce qui concerne le déroulement de leur carrière.
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