OH NO ONO – Eggs
(The Leaf Label / Differ-Ant) [site] – acheter ce disque
L’ambition du groupe était démesurément naïve et donc fidèle au cliché selon lequel il n’y a pas de grand album sans folie ou, à défaut de cerveaux court-circuités par le LSD, cocasseries savamment organisées. Brian Wilson s’enfermait dans un bac à sable à l’intérieur de son propre salon ; nos Scandinaves enregistrent dans un hôpital militaire désaffecté aux environs de Berlin, plongent leur blancs popotins dans la mer en une étrange tentative pour recréer les bains rituels des pygmés Baka et se connecter à leur supposé "groove", composent notamment leurs textes à partir de spams reçus dans leurs boîtes à lettres électroniques.
On ne s’étonnera donc pas d’avoir affaire à un album d’abord fat, ampoulé et légèrement agaçant tant il ressemble à l’une de ces gigantesques attractions jouant sur la vitesse et les à-coups pour étourdir l’esprit d’un chaland qui ne comprend ce qu’il s’est passé qu’une fois touché terre. Les premières écoutes de "Eggs" provoquent ainsi malaises, vertiges et incompréhension, la faute à une multitude d’idées dont la succession est si étrangement organisée qu’on ne fait bientôt plus l’effort de suivre un hypothétique fil ni de chercher quelques clés susceptibles de nous ouvrir les portes de cet apparent chaos. Passé cette pénible période d’incubation, une fois que le cerveau parvient à peu près à assembler ce puzzle zinzin, l’auditeur que je suis parvient à deux conclusions dont la cohabitation paraît pourtant difficile.
Premièrement, Oh No Ono sonne tour à tour comme une dizaine de groupes différents et leurs chansons peuvent passer, si on les écoute distraitement, pour des trésors volés dans le meilleur des archives de Phil Spector ("Swim"), George Harrison ("Eleanor Speaks", réécriture sournoise de la suite d’accord de "While My Guitar Gently Weeps" croisée avec les malades shankaresies de "Love You To" et un chant… étrange – castrez John Lennon et faites-lui chanter "Tomorrow never Knows"), Scott Walker (le beau et vain pastiche "Eve"), Owen Pallett ("Icicles"). Le plus impressionnant étant que la plupart des titres se mesurent aisément à leurs références et, pour marquer le coup, battent certaines formations contemporaines sur leur propre terrain. Exemple avec cet "Internet Warrior" réduisant à peau de chagrin tout ce que MGMT a composé jusque-là. Un pied dans le passé, l’autre dans l’avenir, Oh No Ono joue avec les atmosphères et les références jusqu’à devenir cette créature hybride dont chaque tentacule rapporte une proie à gober et recracher aussi sec.
Deuxièmement, le résultat est excellent et addictif. Sa versatilité aurait pu faire tourner "Eggs" en superficiel exercice de décalquage ; il est finalement plus cohérent et solide qu’on ne le suppose, ses innombrables couches, arrangements, faux départs et vraies conclusions étant rivées à des mélodies souvent fantastiquement inspirées et impeccablement portées par la voix de caméléon de Malthe Fischer. Marchant constamment au-dessus de l’abîme, Oh No Ono, à la différence du danseur de cordes de "Zarathoustra", le contemple rigolard, nargue ses contempteurs en se permettant d’audacieuses acrobaties et, miraculeusement, atteint l’escarpement sain et sauf.
Julian Flacelière
Eleanor Speaks
Swim
Internet Warrior
Icicles
Helplessly Young
The Wave Ballet
The Tea Party
Miss Miss Moss
Eve
Beelitz