GIL SCOTT-HERON – I’m New Here
(XL Recordings / Beggars) [site] – acheter ce disque
Toujours là. Plus en forme qu’il n’y paraît (au moins artistiquement). S’il n’a jamais vraiment quitté la scène, Gil Scott-Heron, 61 ans, renoue avec le studio (seize ans après "Spirits"), après un détour par la case prison pour trafics de drogues minables. Adulé par les milieux arty bien avant que les rappeurs en fassent leur mascotte, le vieux poète à la santé chancelante, cramé par trop d’excès, s’offre une résurrection plutôt inattendue. Un disque court (28 minutes), ponctué d’interludes, une chanson-titre empruntée à Bill Callahan qu’il transforme en un poème folk poignant ("I’m New Here"). Point de sirop funk/jazz à l’instar de ses productions les plus emblématiques, plutôt des ambiances électroniques cafardeuses, nappées de samples, de synthés et de traitements sonores dignes du labo de Massive Attack. Point de longues harangues vibrantes mais une confession simple, comme si tout avait déjà été dit et que l’heure du testament avait sonné. Par sa forme surprenante, ce disque est une main tendue vers une nouvelle génération de public et de musiciens. Le vieux poète, auréolé de la sagesse des repentis, caresse l’espoir que son spoken word porte encore. Vœux exaucés. "I’m New Here" est une réussite de bout en bout. Un disque émouvant, crépusculaire, presqu’un chant du cygne. On est suspendu au souffle de cette voix caverneuse, devenue étrangement calme, qui s’ouvre à la confession plutôt qu’à la chronique sociale. Comme dans cette dédicace bouleversante à sa famille ("On Coming From a Broken Home") qui ouvre et referme l’album, comme dans ce gospel minimaliste où il expose ses dernières volontés : être enterré à Jackson Tennessee, la terre de son enfance ("New York is Killing Me"). Le chanteur soul au chaud baryton a aussi de beaux restes. Notamment sur "Me and the Devil" et sur le standard blues "I’ll Take Care of You" avec Damon Albarn au piano. Mais ce sont les interludes qui glacent le plus l’échine, cette voix samplée, déjà lointaine, semblant venir d’outre-tombe, par saccade, pour livrer ses dernières prophéties.
C’est au producteur Richard Russel, patron de XL Recordings que l’on doit ce petit miracle et à Kanye West les brumes qui nimbent le disque. Voilà pour le son. Pour l’image, le relooking a été confié aux clippers surdoués Cookie & Chike et au photographe Michael Sterling Eaton. Sur le papier, cette entreprise passerait presque pour un coup marketing habile autour d’un vieil artiste un peu à la ramasse. C’est sans compter sur l’immense respect que GSH inspire autour de lui, toutes générations confondues, sur la force de son message et sur sa lucidité. Le vieux briscard ne cédera jamais à la parodie, comme les membres survivants des Last Poets souvent réduits à de la figuration dans les festivals où l’on veut bien les inviter, ou comme Terry Callier remixé à tout-va par les clubbers anglais. Avec ce disque, "le vautour" prouve qu’il vole encore haut et qu’il entend dignement préparer sa succession.
Luc Taramini
On Coming From a Broken Home (Pt. 1)
Me and the Devil
I’m New Here
Your Soul and Mine
Parents (Interlude)
I’ll Take Care of You
Being Blessed (interlude)
Where Did the Night Go
I Was Guided (Interlude)
New York Is Killing Me
Certain Things (Interlude)
Running
The Crutch
I’ve Been Me (Interlude)
On Coming From a Broken Home (Pt. 2)